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Bail commercial : le mémoire préalable et l’interruption de la prescription. Par Marie Allix, Avocat.
Parution : mardi 31 janvier 2023
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Aux termes de 4 arrêts publiés le 25 janvier 2023, la Cour de cassation se prononce sur différents sujets relatifs aux baux commerciaux. L’un d’eux est l’occasion pour la Cour de cassation d’apporter un éclairage important sur l’interruption de la prescription d’un mémoire préalable en fixation du prix du bail révisé ou renouvelé (Cour de cassation, 3ème civ, 25 janvier 2023, n°21-20.009).

I) Les faits de l’espèce.

Un bailleur, donnait à bail, un local commercial à une société, locataire. Ce bail était consenti pour une durée de 12 ans à compter du 11 mars 2002.

Le bail venant à échéance, le bailleur adressait par acte d’huissier de justice un congé prenant effet au 31 mars 2014 avec offre de renouvellement à compter du 1er avril 2014, pour une durée de 12 ans moyennant la fixation du loyer de base à la somme annuelle de 1 500 000 euros.

Le locataire acceptait le principe du renouvellement mais exprimait son désaccord sur le montant du loyer du bail renouvelé. Il proposait la fixation du nouveau loyer à la somme annuelle de 800 000 euros.

Le bailleur notifiait à son locataire un mémoire préalable le 30 mars 2016 dans lequel, il sollicitait une nouvelle fois la fixation du loyer de renouvellement à compter du 1er avril 2014, à la somme de 1 500 000 euros.

Le preneur, notifiait un mémoire en réponse le 4 octobre 2016 et proposait la fixation du loyer à la somme de 800 000 euros.

Le 14 mars 2018, le bailleur, tenu de saisir le juge dans les deux ans du mémoire préalable, assignait son preneur devant le Tribunal de grande instance de Bobigny en validation du congé et, accessoirement seulement, en fixation du loyer.

Le Tribunal judiciaire de Bobigny déclarait irrecevable comme prescrites, les demandes du bailleur.

Ce dernier interjetait appel du jugement de première instance.

II) L’arrêt d’appel.

Le bailleur exposait que la prescription biennale de l’action en fixation du prix du bail renouvelé, avait pour point de départ le 1er avril 2014, jour de la prise d’effet du nouveau bail.

Sur ce point, la Cour de cassation a déjà jugé que :

« La prescription de l’action en fixation du prix du bail renouvelé a, en cas de congé délivré par le bailleur, avec offre de renouvellement moyennant une modification du prix, pour point de départ le jour de la prise d’effet du nouveau bail » [1].

A cette fin, le bailleur relevait les dispositions de l’article L145-60 du Code de commerce : « Toutes les actions exercées en vertu du présent chapitre [bail commercial] se prescrivent pas deux ans ».

Le bailleur soutenait également que conformément aux dispositions de l’article 33 du décret du 30 septembre 1953, la prescription de l’action en fixation du loyer commercial était interrompue par la notification du mémoire préalable.

En effet, l’article 33 du décret dispose que : « La notification du mémoire institué par l’article 29 ci-dessus, interrompt la prescription ».

En l’espèce, le bailleur avait notifié son mémoire préalable le 30 mars 2016 ce qui avait, selon lui, interrompu la prescription et fait courir un nouveau délai de deux ans.

En suivant le raisonnement du bailleur, celui-ci avait ainsi jusqu’au 30 mars 2018 pour assigner le preneur.

En l’espèce, son action, ne pouvait donc être prescrite puisque l’assignation avait été adressée au locataire, le 18 mars 2018.

Le locataire, intimé, se prévalait cependant, en plus de l’article 33 du décret de 1953, des dispositions de de l’article R145-23 du Code de commerce :

« Les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace. Il est statué sur mémoire.

Les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes mentionnées à l’alinéa précédent.
La juridiction territorialement compétente est celle du lieu de la situation de l’immeuble
 ».

Le preneur soutenait ainsi qu’un mémoire ne pouvait être assimilé à une demande en justice au sens de l’article 2241 du Code civil de sorte qu’il ne pouvait avoir de caractère interruptif de prescription que s’il s’inscrivait dans une procédure de fixation ou de révision du loyer d’un bail commercial devant le président du tribunal de grande instance statuant en qualité de juge des loyers commerciaux.

Le locataire rappelait également, que l’article 33 du décret du 30 septembre 1953 instaurant l’effet interruptif du mémoire était un texte spécial et dérogatoire qui n’avait aucune vocation à s’appliquer devant le tribunal de grande instance.

Il soutenait que devant le juge de droit commun, seules les causes d’interruption de droit commun peuvent s’appliquer.

Aussi, le bailleur, en assignant devant le tribunal de grande instance et non pas devant le juge des loyers commerciaux, était prescrit depuis le 31 mars 2016. Son mémoire préalable du 30 mars 2016 n’avait jamais interrompu la prescription en l’absence de la saisine du juge des loyers commerciaux.

En d’autres termes, le bailleur, aurait dû :
- Soit assigner son preneur devant le Tribunal de grande instance de Bobigny avant le 31 mars 2016 ;
- Soit saisir le juge des loyers commerciaux avant le 31 mars 2018 afin de conférer l’effet interruptif de prescription au mémoire préalable du 30 mars 2016.

La Cour d’appel de Paris, dans cet arrêt pôle 5, chambre 3, du 26 mai 2021 n°18/28001 devait ainsi confirmer le jugement de première instance en toutes ses dispositions.

Le bailleur formait alors un pourvoi en cassation.

III) L’arrêt de la Cour de cassation.

La Cour de cassation va confirmer l’arrêt d’appel et rejeter le pourvoi.

La Cour de cassation précise que l’énumération des articles 2240, 2241 et 2244 du Code civil, des causes de droit commun d’interruption du délai de prescription, sont limitatives.

Rappelons que les causes de droit commun d’interruption du délai de prescription sont les suivantes :
- La reconnaissance par le débiteur du droit de celui contre lequel il prescrivait interrompt le délai de prescription [2] ;
- La demande en justice, même en référé et même portée devant une juridiction incompétente ou lorsque l’acte de saisine de la juridiction est annulé par l’effet d’un vice de procédure [3] ;
- Une mesure conservatoire prise en application du Code des procédures civiles d’exécution ou un acte d’exécution forcée [4].

Pour la Cour de cassation, le mémoire préalable, ne constitue pas une demande en justice au sens de l’article 2241 et n’est une cause d’interruption de prescription qu’en vertu de l’article 33 alinéa 1er du décret du 30 septembre 1953 (n°53-960) selon lequel la notification du mémoire institué par l’article R145-23 du Code de commerce interrompt la prescription.

Or, selon ce dernier article, les contestations relatives à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sont portées, quel que soit le montant du loyer, devant le Président du tribunal judiciaire ou le juge qui le remplace, qui statue sur mémoire, et les autres contestations sont portées devant le tribunal judiciaire (ancien tribunal de grande instance) qui peut, accessoirement, se prononcer sur les demandes susmentionnées.

Il en résulte que le mémoire préalable n’est institué que pour la procédure devant le juge des loyers commerciaux de sorte que sa notification n’interrompt la prescription que lorsque la contestation relative à la fixation du prix du bail révisé ou renouvelé est portée devant ce juge.

IV) Rappel des décisions déjà rendues en matière de mémoire préalable.

Cet arrêt est également l’occasion de rappeler quelques décisions déjà rendues par la Cour de cassation en matière de mémoire préalable.

Le mémoire préalable doit obligatoirement être notifié par lettre recommandée avec avis de réception et non par lettre simple pour pouvoir interrompre la prescription (Cour de cassation, 3e chambre civile, 2 Février 2005 - n° 03-18.042).

En revanche, il a été jugé que les mémoires préalables en fixation du prix du bail révisé ou renouvelé sur lesquels le juge des loyers commerciaux statue pouvaient être signifiés par huissier de justice, et non seulement, notifiés par lettre recommandée avec accusé de réception. (Cass, civ 3ème, 16 octobre 2013, n°12-19.352).

Le mémoire relatif à la fixation du prix du bail renouvelé, même affecté d’un vice de fond, a un effet interruptif de prescription lorsque l’irrégularité affectant ce mémoire a été couverte par l’assignation et les actes de procédure suivants. En l’espèce, il s’agissait d’un mémoire notifié par la seule usufruitière. La nue propriétaire était cependant intervenue volontairement dans le reste de la procédure (Cass. civ. 3, 8 juillet 2015, n° 14-15.192).

Il a également été jugé que la remise au greffe d’un mémoire aux fins de fixation d’une date d’audience conformément à l’article R145-27 du Code de commerce ne saisissait pas le juge des loyers commerciaux et ne pouvait de ce fait interrompre la prescription biennale. En l’espèce, l’action avait été déclarée irrecevable car le mémoire préalable avait été notifié le 7 décembre 2005 et enrôlé au greffe le 30 novembre 2007, or, l’assignation datait du 24 décembre 2007. La prise de date ne saisit donc pas le juge. (Cass. civ. 3, 23 janvier 2013, n° 11-20.313).

L’arrêt du 25 janvier 2023 (n°21-20.009) peut enfin être mis en parallèle avec celui rendu au sujet de saisine de la commission départementale des baux commerciaux. Aucun texte ne prévoyant que la demande de loyer soit interruptive de prescription, la saisine de la commission de conciliation, ne faisant pas partie des causes d’interruption de la prescription définies dans le Code civil. Dès lors, elle ne peut être interruptive de prescription. (Cour de cassation, Chambre civile 3, 18 Février 1998 - n° 96-14.525).

Marie Allix Avocat Barreau de Paris

[1Cour de cassation, 3ème civ, 8 janvier 1997, n°95-12.060.

[2Article 2240 du Code civil.

[3Article 2241 du Code civil.

[4Article 2244 du Code civil.