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Regards croisés sur la proposition d’Audience de règlement amiable en droit français et la Conférence de règlement à l’amiable du droit québécois. Par Sandra Karen Morin, Avocat.
Parution : lundi 30 janvier 2023
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En janvier 2023, dans le cadre de son “plan justice”, le ministre de la Justice français a annoncé la création d’un mécanisme d’“audience de règlement amiable”, présenté comme un outil de justice participative destiné à réduire les délais de la justice civile et inspiré de la procédure de “conférence de règlement à l’amiable” (CRA) existant au Québec.
L’article qui suit revient sur la pratique de la justice participative en France et apporte un éclairage sur la pratique de la CRA au Québec.

Article mis à jour par son auteure en octobre 2023.

1. Le 5 janvier 2023, dans le cadre de son « plan justice », le ministre de la Justice, Monsieur Éric Dupond Moretti, a présenté une série de mesures pour restaurer la confiance du justiciable dans l’institution judiciaire. Parmi celles-ci, le ministre a annoncé la création du système de « l’audience de règlement amiable ».

2. Cette mesure, qui s’inscrit dans le cadre des propositions du rapport du Comité des États généraux de la justice, "Rendre justice aux citoyens", remis le 8 juillet 2022 au Président de la République et publié le 18 juillet 2022 [1] , constitue également l’un des axes phares du ministère de la Justice, qui vise, dans un objectif de célérité et d’efficience, à favoriser l’autonomie des justiciables et la réappropriation du traitement de leurs différends par la justice participative [2].

3. Dans ce contexte, a été adopté le décret n° 2023-686 du 29 juillet 2023 portant mesures favorisant le règlement amiable des litiges devant le tribunal judiciaire, modifiant le livre II du Code de procédure civile avec un chapitre IV (au sous-titre I du titre Ier) intitulé « l’audience de règlement amiable » et prévoyant les nouveaux articles 774-1 et suivants [3], en vertu desquels les parties et le juge pourront, à partir du 1er novembre 2023, pour les audiences introduites devant le Tribunal judiciaire, utiliser l’audience de règlement amiable (ou « ARA ») comme mode de résolution amiable des litiges.

4. L’audience de règlement amiable serait considérée comme l’outil de justice participative destiné à réduire les délais de la justice civile. Ces derniers, bien plus significatifs que dans de nombreux autres pays européens, n’ont fait que s’allonger en première instance entre 2019 et 2023 [4] . Selon le ministre, les délais d’accès à la justice se situeraient « entre deux et trois ans en moyenne s’il y a un appel ». Dans sa mission de conciliateur (qu’il s’agisse d’un magistrat honoraire ou à titre temporaire), le juge constituerait la figure centrale la mieux à même de réinstaurer du dialogue entre les parties et de les rapprocher [5].

5. L’ARA s’inspirerait de la procédure de « conférence de règlement à l’amiable » du Québec, conçue pour être un mécanisme plus souple et personnalisé ayant vocation à favoriser un règlement moins onéreux et plus rapide qu’un procès et dont le taux de réussite serait évalué à « 72% » [6]. Ainsi, le ministre voit en ce processus un outil de réforme susceptible de diviser par deux la durée d’un procès.

6. Le ministre, qui veut conférer au juge (en tant qu’interlocuteur qualifié, indépendant et impartial) un rôle de conciliateur avant tout procès, a fait état d’une pratique de la médiation peu connue de la culture française et à laquelle les magistrats ne sont pas associés [7].

7. Cette perception nous invite à nous interroger sur la pratique de la justice participative en France et celle existant outre-Atlantique dans la Province de droit civil du Québec.

8. Dans ce contexte, il apparaît pertinent d’évoquer les différences entre la médiation judiciaire telle qu’exercée en France et celle qui s’applique dans la province de Québec.

En France.

9. D’emblée, à l’exclusion des matières dont les parties n’ont pas la libre disposition de leurs droits, à savoir les droits indisponibles ou extrapatrimoniaux, lesquels ne peuvent être cédés (c’est le cas en matière de filiation, de délégation de l’autorité parentale), la procédure participative peut être envisagée pour la plupart des litiges, en matière contractuelle ou prud’homale, y compris en matière de divorce ou de séparation de corps, dès lors que le litige n’a pas encore donné lieu à la saisine de la justice. Ce processus appartient aux parties et à leurs avocats [8].

10. Les processus de médiation conventionnelle, comme judiciaire, existent également déjà.

11. En 2014, Madame Chantal Arens (qui avant d’être première présidente de la Cour de cassation (de 2019 à 2022), était alors première présidente de la Cour d’appel de Paris), décidant de promouvoir la médiation au sein de cette Cour, y a créé une unité de médiation, devenue Unité des Modes Amiables de Résolution des Différends (UMARD) [9].

12. Les politiques volontaristes visant à promouvoir les modes amiables de résolution des différends dans le cadre judiciaire ont d’ailleurs été initiées en France dès 1995 avec, en tête, la loi n°95 125 du 8 février 1995 relative à l’organisation des juridictions et à la procédure civile, pénale et administrative [10] , qui avec le décret n°96-652 du 22 juillet 1996 relatif à la conciliation et à la médiation judiciaires, ont également introduit les articles 131CPC et suivants, permettant de gérer celles-ci [11].

13. S’agissant d’une loi plus contemporaine, dès le 12 octobre 2016, a été adopté par l’Assemblée nationale, en sa version définitive, le projet de Loi de modernisation de la justice du XXIe siècle, comportant plusieurs dispositions relatives à la médiation et à la conciliation. La loi a été promulguée le 18 novembre 2016 [12].

14. Dans le cadre de l’action gouvernementale, la loi avait déjà pour objectifs de rapprocher la justice des citoyens, avec « [u]ne justice plus proche » dans le cadre de laquelle « [l]es modes alternatifs de règlement des conflits ser[aient] favorisés. Une conciliation gratuite préalable sera[it] systématiquement tentée pour les litiges de moins de 4 000 euros. Des expérimentations de médiation préalable obligatoire en matière familiale (ex : fixation de pensions alimentaires pour les couples non mariés séparés) et devant le juge administratif (ex : certains contentieux intéressants la fonction publique) ser[aient] mises en place » [13].

15. Aussi, les parties ont juridiquement déjà été obligées de recourir à la conciliation avant de saisir le tribunal.

16. Par ailleurs, le décret n°2019 -1333 du 11 décembre 2019 (autrement désigné « décret Belloubet »), consacré par l’article 750-1 du Code de procédure civile, obligeait le demandeur à une action en justice de justifier, avant de saisir la juridiction, d’une tentative amiable de médiation. Ce décret a été présenté comme une nouveauté [14].

17. Néanmoins, une obligation en ce sens existait déjà dans le décret n° 2015-282 du 11 mars 2015 relatif à la simplification de la procédure civile à la communication électronique et à la résolution amiable des différends, qui imposait au requérant de préciser dans son assignation, sa requête ou sa déclaration au greffe, les tentatives menées afin de trouver un accord amiable avec son adversaire avant toute action en justice. Il est vrai toutefois que le manquement ne donnait pas lieu à sanction.

18. Le décret du 11 décembre 2019 est apparu comme une généralisation de l’obligation préalable d’avoir recours à la conciliation et la médiation.

19. Pour autant, l’article 750-1 du Code de procédure civile, qui imposait aux parties de recourir à une tentative de conciliation, de médiation ou de procédure participative avant toute demande en justice et sous peine d’irrecevabilité, lorsque le litige portait sur le paiement d’une somme inférieure à 5 000 euros, a été annulé par le Conseil d’État en date du 22 septembre 2022 (CE, 6e et 5e ch. réunies, 22 septembre 2022, n°436939, Conseil national des barreaux et autres et Syndicats des avocats de France et autre, Lebon T) [15]

20. L’annulation découle d’un recours pour excès de pouvoir formé, principalement, par le Conseil National des Barreaux, la Conférence des Bâtonniers et l’Ordre des avocats de Paris.

21. Le Conseil d’État a analysé cette disposition en une violation de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen relatif au droit d’exercer un recours effectif devant toute juridiction.

22. Mais qu’à cela ne tienne, à peine huit mois après l’annulation de l’article 750-1 du Code de procédure civile par le Conseil d’État, l’obligation de tentative de résolution amiable s’est trouvée rapidement rétablie par le décret n° 2023-357 du 11 mai 2023 relatif à la tentative préalable obligatoire de médiation, de conciliation ou de procédure participative en matière civile, avec un nouvel article 750-1 CPC [16] dont les termes sont quasi identiques à l’ancien [17]. Cela laisse craindre que l’article ne soit pas à l’abri de critiques voire d’éventuelles contestations quant à ce qui était déjà appréhendé comme une injonction de médiation, en porte-à-faux avec l’exercice du droit fondamental d’accès (concret et effectif) au juge… [18]

23. L’obligation de recourir à une tentative préalable de résolution amiable du litige, en vigueur au 1er octobre 2023, rend impossible l’accès au juge pour certains litiges, sous peine d’irrecevabilité de la demande en justice.

24. La démarche amiable préalable, qui se caractérise (de manière alternative) comme la tentative de conciliation, de médiation ou d’une procédure participative, s’impose (comme initialement) aux demandes de versement d’une somme ne dépassant pas le montant de 5 000 euros, ainsi désormais qu’aux demandes liées aux troubles anormaux du voisinage et demandes relatives au bornage, au curage de fossés et canaux, aux distances de plantations ou à l’élagage d’arbres [19].

25. Les cas de dispense, dans lesquels une démarche amiable n’est pas requise, demeurent les mêmes que dans le décret du 11 décembre 2019 [20], notamment les « cas d’urgence manifeste », « les circonstances rendant impossible cette tentative », ou « lorsqu’un recours préalable est imposé auprès de l’auteur de la décision ».

26. La précision majeure réside dans la précision du délai de trois mois à compter duquel la dispense de l’obligation préalable de tentative de résolution amiable du litige, sera considérée comme établie à l’égard des parties, en cas d’indisponibilité des conciliateurs de justice (avec les modalités de la preuve applicable), en particulier si la première réunion de conciliation intervient dans un délai supérieur à trois mois à compter de la saisine d’un conciliateur [21].

27. Dans les autres cas, l’article 1 du Décret n°2020 1452 du 27 novembre 2020 – consacré par l’article 127 du Code de procédure civile (en vigueur depuis le 1er janvier 2021) – et qui procédait d’une harmonisation avec l’ancien article 750-1 précité du décret Belloubet, s’inscrivait déjà dans la généralisation de la procédure amiable en disposant que : « [h]ors les cas prévus à l’article 750-1, le juge peut proposer aux parties qui ne justifieraient pas de diligences entreprises pour parvenir à une résolution amiable du litige une mesure de conciliation ou de médiation ».

28. La conciliation est un processus de résolution des litiges gratuit. Elle peut aboutir à un constat d’accord entre les parties. Elle doit, en principe, être menée et aboutie dans un délai de 3 mois par le conciliateur. Néanmoins, un accord n’est constaté que dans 50% des demandes environ.

29. Aussi, la généralisation du processus amiable, implique donc à la fois une plus forte disponibilité des conciliateurs (lesquels font parfois défaut) ainsi qu’une mise en œuvre effective de la mesure de conciliation dans un délai maximum de trois mois. L’indisponibilité du conciliateur ou une mesure de conciliation qui s’éternise, ne font que rallonger les délais de résolution du litige.

30. La médiation conventionnelle, qui constitue une procédure souple et flexible qui se déroule suivant des modalités convenues par les parties avec le médiateur, se distingue tout de même de celle sollicitée par le juge.

31. Dans le cadre d’une médiation conventionnelle, les négociations entre les parties sont facilitées par l’intervention du médiateur, dont la mission n’est pas de trancher un litige. Les parties restent clairement maîtresses de la solution à donner à leur différend. Le médiateur n’est là que pour restaurer le dialogue entre elles et les aider à trouver, ensemble, un accord durable et équitable.

32. Dans le cadre d’une médiation judiciaire (sollicitée par un juge), même si le médiateur reste un tiers neutre, indépendant et spécifiquement formé, les parties qui s’opposent peuvent avoir le sentiment d’avoir moins de latitude pour parvenir à une solution amiable en conformité avec leurs intérêts respectifs.

33. En effet, à défaut d’entériner un accord, dans l’hypothèse où la médiation achoppe, le même juge qui a renvoyé l’affaire à la médiation peut être amené à faire revenir l’affaire au rôle et à en connaître de nouveau.

34. De telles conditions peuvent soulever une difficulté quant à la confidentialité du processus. Le risque réside dans ce que le juge peut ainsi être informé par le médiateur de ce qu’une des deux parties en particulier, entre le demandeur et le défendeur, n’a pas voulu donner suite à la médiation. Or, aucune des deux parties ne devrait avoir à craindre les conséquences du défaut de son acceptation.

35. En matière de médiation judiciaire, telle que nous la connaissons, le juge n’intervient pas réellement comme un conciliateur. C’est un technicien du droit, désigné par ses soins, qui en a la charge et qui lui en rend compte. Or, cet aspect peut avoir une incidence défavorable pour la partie qui a rejeté l’accord. Même si tel n’est pas le cas, une crainte de partialité serait légitime.

36. Sans doute devons-nous considérer que ce qu’il y a de nouveau en France, ce n’est pas en soi la mesure de règlement amiable ou de justice participative. Comme nous l’avons vu précédemment, le souci des politiques a, depuis longtemps, été de « placer le citoyen au cœur du service public de la justice ». Cela s’est concrétisé sous différents modes, même si la mise en œuvre de ces modes amiables, au niveau judiciaire, n’a pas toujours été gratifiée des résultats escomptés, et ce, pour des raisons variées.

37. La nouveauté introduite par cette loi, qui entre en vigueur le 1er novembre 2023, est d’impliquer directement le juge. Or, celui-ci n’a jamais jusqu’à présent été médiateur, conciliateur, autrement que par délégation…

Au Québec.

38. Au Québec, la procédure de conférence de règlement à l’amiable est bien ancrée (voir les articles 161 à 165 du Code de procédure civile) [22].

39. L’institutionnalisation de la médiation judiciaire dans la belle province remonte à 1997. Le Québec constitue le premier système de justice participative intégré. Cela découle de la mise en place d’un projet pilote de 18 mois initié sous la gouvernance de l’honorable Louise OTIS, au sein de la Cour d’Appel du Québec (on constate, comme en France, avec l’implication de Madame Chantal Arens, que le processus est souvent développé au sein des Cours supérieures) [23].

40. Le processus, qui constituait une première au monde, a été législativement intégré à la Cour afin de confirmer son existence autonome et de régir son fonctionnement, et ainsi étendu à d’autres cours et tribunaux de la province, puis intégré comme modèle de fonctionnement dans le système judiciaire d’au moins huit provinces et trois territoires canadiens [24].

41. Dès à compter de son institutionnalisation, la médiation présidée par un juge a été voulue comme consensuelle et confidentielle.

42. C’est initialement la demande conjointe des parties qui en amorce le processus. La conférence de référence à l’amiable demeurait jusqu’alors une option purement facultative, la procédure appartenant aux parties. Le juge qui a toujours pu la recommander, ne pouvait jusqu’à présent l’imposer.

43. Depuis 1997, le principe demeure devant les Cours supérieure et d’Appel du Québec.

44. Néanmoins, depuis le 30 juin 2023, la règle du processus volontaire souffre d’un certain tempérament puisque les procédures engagées devant la Cour du Québec, à compter de cette date, doivent désormais, dans certaines circonstances, faire l’objet d’une tentative amiable obligatoire [25].

45. La tenue d’une conférence de règlement à l’amiable « automatique » découle de l’adoption par l’Assemblée nationale du Québec, en date du 15 mars 2023, du Projet de loi n°8 (2023, chapitre 3) intitulé « Loi visant à améliorer l’efficacité et l’accessibilité de la justice, notamment en favorisant la médiation et l’arbitrage et en simplifiant la procédure civile à la Cour du Québec », déposé par le ministre de la Justice, Simon Jolin-Barrette [26].

46. Ainsi, parallèlement aux réformes de la justice adoptées en France, c’est dans le cadre d’une même démarche de simplification de la procédure applicable à la Cour du Québec, que le Québec a lui-même modifié son code de procédure civile, avec l’ajout sous l’article 535 du Code du nouveau :« Titre I.1 – Les règles simplifiées particulières au recouvrement de certaines créances ». S’ensuit l’adoption du Chapitre III « La conciliation judiciaire, l’inscription et l’instruction », lequel prévoit entre-autres un nouvel article 535.12, imposant une mesure de conférence de règlement à l’amiable aux parties, pour les instances introduites devant la Cour du Québec, à compter du 30 juin 2023, entre le 130ème jour de la signification de l’avis d’assignation et le 160ème jour de cette celle-ci [27].

47. Aux termes du nouvel article 535.12 C.p.c., cette conférence de règlement à l’amiable peut, du consentement des parties, être remplacée par une conférence préparatoire à l’instruction, si les parties justifient alternativement « [d’avoir déjà] participé à une autre conférence de règlement à l’amiable », « d’une attestation délivrée par un médiateur accrédité ou par un organisme offrant la médiation en matière civile et confirmant que les parties ont eu recours à un mode privé de prévention et de règlement des différends ou d’une preuve qu’elles ont convenu d’un protocole pré-judiciaire ».

48. Ainsi, alors que jusqu’au 30 juin 2023, le processus a toujours été mis en œuvre sur une base volontaire des parties, la France et le Québec s’influencent pour faire peser sur les parties une obligation de tentative de règlement amiable, dans le cadre du recouvrement de certaines créances.

49. Notons que si le processus de l’ARA est imposé en France pour les créances inférieures ou égales à un montant de 5 000 euros, la CRA voit au Québec son application étendue à des créances d’un montant supérieur, dès lors que le taux de compétence de la Cour du Québec s’élève entre 15.000 et 75 000 dollars pour tous litiges dont la somme réclamée se trouve entre ces seuils, avec en outre le possible exercice (au choix du demandeur) d’une compétence concurrente de la Cour du Québec avec la Cour supérieure, pour toute réclamation d’un montant se situant entre 75 000 et 100 000 dollars (la Cour supérieure étant exclusivement compétente pour les demandes supérieures à 100 000 dollars) [28].

50. Toutefois, en cas d’échec de la CRA et si aucun règlement à l’amiable n’intervient, la conférence est convertie en conférence préparatoire à l’instruction devant un autre juge de la Cour du Québec.

51. En tout état de cause, l’une ou l’autre des parties peut, à toute étape du processus, revenir à la procédure décisionnelle.

52. Le processus de médiation judiciaire intègre tous les domaines du droit, incluant le droit civil, familial, administratif et même le droit pénal (criminel) avec la conférence de facilitation en matière criminelle et pénale, mise en place en 2004 au Canada [29]. L’honorable Louise Otis distingue dans le modèle québécois, un système hybride unifié et intégré, unique au monde par sa longévité et son exhaustivité, intégrant à la fois « la justice judiciaire et la justice médiationnelle » à tous les niveaux du droit et dans l’ensemble de ses matières, civiles et administratives, autant en droit familial, civil, commercial que criminel (ou pénal) [30].

53. Au Québec, la CRA a été codifiée dès 2002. Selon l’honorable François Rolland, juge de la Cour supérieure de 1996 à 2015 et juge en chef de celle-ci entre 2004 à 2015, qui a présidé de nombreux procès dans tous les domaines du droit, dont de nombreuses conférences de règlement à l’amiable, tant en matière civile, familiale que commerciale, ainsi que plusieurs conférences de facilitation en matière criminelle [31], la CRA « n’est pas une médiation comme telle, ce n’est pas un arbitrage, ce n’est pas de la conciliation, c’est un mélange de tout cela ! » [32].

54. En vertu du texte actuel, l’article 161 du Code de procédure civile du Québec, en vigueur depuis 2014 et qui modifie les art. 151.14, 151.15 du Code de procédure civile ayant institué la CRA dans le texte de 2002, dispose que : « [l]e juge en chef peut, à tout moment de l’instance mais avant la date fixée pour l’instruction, désigner un juge pour présider une conférence de règlement à l’amiable si les parties le lui demandent et lui exposent sommairement les questions à examiner ou si lui-même recommande la tenue d’une telle conférence et que les parties agréent sa recommandation. Il le peut également, même après la date fixée pour l’instruction, si des circonstances exceptionnelles le justifient ».

55. Le succès de la CRA réside dans sa nature confidentielle et le fait que les règles qui la gouvernent sont fixées par le juge et les parties, qui collaborent à sa mise en œuvre.

56. Loin de l’arène judiciaire où ils sont les acteurs du débat, les avocats ne sont pas les principaux protagonistes dans ces conférences où ils assument davantage un rôle d’assistance que celui de représentation qui leur est dévolu dans le cadre des audiences juridictionnelles. Les échanges avec le juge, dans le cadre de l’exposé du litige par les parties, s’effectuent de manière plus informelle et donc moins formaliste que dans une salle d’audience, où le juge se trouve en hauteur par rapport aux parties et à leurs avocats. Les parties ne sont pas intimidées par le décorum de l’audience traditionnelle où les parties n’échangent avec le juge que pour répondre limitativement à ses questions.

57. Dans le contexte de la CRA, les parties bénéficient d’un plein accès au juge, sans le formalisme d’une audience judiciaire traditionnelle. Ainsi, les parties (le cas échéant assistées de leurs avocats) et le juge, sont assis au même niveau, autour d’une seule et même table. La confidentialité est de mise, pour permettre aux parties de s’exprimer sans retenue et de faire avancer comme elles souhaitent leur dossier qui est parfois empreint de considérations et d’enjeux qui dépassent les seuls aspects juridiques. S’agissant des avocats, ils assistent leurs clients, tout en les laissant décider d’une perspective de rapprochement. Le juge, qui peut compter sur le concours des avocats, qui connaissent généralement mieux les parties, agit comme facilitateur au niveau de la communication entre les parties. Sa formation lui permet de leur donner les outils pour surmonter les obstacles à la reprise du dialogue et favoriser un cadre d’appropriation de la résolution du litige en vertu duquel les parties sont mieux à même de se rapprocher pour trouver une piste adéquate de règlement amiable.

58. Ni le juge, ni les avocats ne décident pour les parties, l’objectif n’étant pas de rechercher à gagner une cause au détriment de l’autre en vertu des seules règles de droit (les droits des parties n’étant pas indisponibles et les parties ayant la libre disposition de leurs droits dans les matières sujettes à CRA), mais d’entendre les positions de l’une et de l’autre et de préserver leurs intérêts, en tentant de lever les obstacles qui empêchent le règlement d’un litige.

59. À la différence du procès traditionnel, à l’issue duquel une partie peut triompher et l’autre succomber, l’objectif de la CRA est de permettre à chacune des parties en litige de trouver un avantage à une solution qu’elles trouveront elles-mêmes et dans le cadre de laquelle elles s’estimeront chacune gagnantes, par rapport à une issue judiciaire, longue, aléatoire et coûteuse.

60. Enfin, la valeur ajoutée de la CRA réside aussi dans le fait que l’investissement du juge présente un double intérêt, d’une part, celui de contribuer à la résolution des conflits dans leur ensemble et, d’autre part, de désengorger le processus juridictionnel traditionnel, dans le cadre duquel les juges n’ont pas d’autre choix que d’imposer une solution judiciaire.

61. La confidentialité, qui a contribué au succès de la CRA au Québec, implique que le juge ayant présidé la conférence ne puisse en aucune circonstance participer à aucune audition relative à l’affaire.

62. De surcroît, la transaction qui clôt une affaire est transmise, par le greffier, à une autre formation de la Cour afin d’être homologuée et rendue exécutoire. Cela garantit l’indépendance et le consentement éclairé des parties dans le cadre de l’accord obtenu.

63. La charge du juge conciliateur, dans le cadre d’une conférence de règlement à l’amiable, est donc une mission de conciliation et non de jugement.

64. Le juge qui préside une conférence de règlement à l’amiable n’exerce pas de fonctions juridictionnelles comme dans le cadre d’un tribunal.

65. Tout est fait au Québec, afin d’éviter toute confusion entre les fonctions du juge facilitant le règlement à l’amiable et celles du juge exerçant les prérogatives juridictionnelles du tribunal, y compris au stade de l’homologation de l’accord.

66. Par ailleurs, un arrêt Viconte Inc. c. Transcontinental Inc., rendu par la Cour du Québec en date du 3 avril 2020 (District de Beauharnois – Localité de Salaberry-de-Valleyfield (n° : 760-22-011264-184) [33] permet de souligner que la demande en homologation d’une transaction intervenue à la suite d’une conférence de règlement à l’amiable autorise une partie à contester la validité de la transaction au motif qu’il y aurait eu dol de l’autre partie, qui aurait communiqué une fausse information ou dissimulé une information importante.

67. Dans un tel contexte, le recours contre la transaction homologuée dans le cadre d’une conférence de règlement à l’amiable ne relève pas d’un appel, mais d’un recours en annulation de contrat.

68. Pour que la procédure d’audience de règlement amiable bénéfice du même accueil qu’au Québec, le juge ne doit pas intervenir en tant que juge exerçant des prérogatives juridictionnelles, mais comme juge conciliateur dont l’intervention est limitée à la recherche de conciliation des parties.

69. Toute suite consacrée à l’affaire, que ce soit en cas d’échec de l’audience amiable ou d’homologation de la transaction, doit être instruite par une autre formation, en vue de préserver la confidentialité du processus, d’accroître la confiance des parties en l’institution et de favoriser le succès de la conciliation amiable.

70. Le système judiciaire doit garantir que les deux processus demeurent parallèles et le plus étanches possible, de manière à empêcher qu’un juge qui préside une CRA ou une ARA ne soit pas le même que celui qui homologue la transaction ou s’acquitte du règlement juridictionnel du litige.

71. Il en va, en réalité de l’indépendance de la justice et de la réussite d’une réforme répondant à un réel besoin, le tout afin que celle-ci n’ait pas l’effet d’un coup d’épée dans l’eau.

72. Les systèmes de la CRA et de l’ARA dont la mise en œuvre est attendue à compter de son entrée en vigueur, le 1er novembre 2023, semblent sensiblement se rapprocher dans leurs objectifs, sous réserve de certains aspects dont celui de l’homologation, puisque les parties parvenues à un accord total ou partiel dans le cadre de l’ARA, peuvent demander au juge qui en a été chargé de constater leur accord et d’en dresser un procès-verbal [34]. Cet aspect, pouvant dans les faits soulever une difficulté, tant au niveau du consentement des parties qu’à celui de la préservation de la confidentialité, il conviendra d’être attentif à la manière dont seront assurés le consentement des parties et la confidentialité dans le cadre de ce nouveau dispositif.

Sandra Karen Morin Avocat - Membre des barreaux de Paris et du Québec (Montréal) Associée gérante SK.M Cross Borders - Avocats [->smorin@skm-crossborders.com] www.skm-crossborders.com

[1Rendre justice aux citoyens - Rapport du Comité des États généraux de la justice (octobre 2021-avril 2022) remis le 8 juillet 2022 sur le site Vie publique.

[2Voir le Projet de loi d’orientation et de programmation du ministère de la justice 2023-2027 dans ses paragraphes 2.4 « Des réponses sectorielles fortes dans le champ de la justice civile et pénale » et « 2.4.1. Pour la justice civile : développer une véritable politique de l’amiable » https://www.assemblee-nationale.fr/....

[4Voir rapport du Comité des États généraux de la justice « Rendre justice aux citoyens » - (octobre 2021-avril 2022) précité sous note 1. Voir également le rapport de la Fondation IFRAP « Des délais de jugement 3 fois plus longs par rapport à l’Allemagne ».

[6Comme nous le verrons ci-après, ces taux de réussite parfois portés à 80% sont à relativiser si nous nous fions au Tableau récapitulatif des conférences de règlement à l’amiable (CRA) tenues pour l’année 2017-2018 pour l’ensemble du Québec.

[8Articles 2062 à 2068 du Code civil et article 1528 à 1567 du Code de procédure civile (Livre V : La résolution amiable des Différends Articles 1542 à 1564-4 et 1542 à 1567 du Code de procédure civile, en ceux compris les articles 1542 à 1564-4 sur La procédure participative).

[13La justice du 21e siècle (site gouvernement.fr).

[17Voir Article 750-1 – version en vigueur du 1er janvier 2020 au 27 février 2022 - Annulé par Décision n°436939, 437002 du 22 septembre 2022 – (v. init. art. 4 du Décret n°2019-1333 du 11 décembre 2019).

[18La protection de l’accès au juge judiciaire par les normes fondamentales – Antoine STEFF (Magistrat, Avocat général, substitut du procureur général près la cour d’appel de Paris depuis le 7 août 2023, Magistrat professeur à l’université de Corse (2007-2015) ) Les Annales de droit n° 11-2017 (p. 233-253) https://doi.org/10.4000/add.561 ; https://journals.openedition.org/add/561.

[19Il semblerait que l’ajout résulte d’un oubli dans la version initiale de l’article qui a pu être rectifié dans l’article en vigueur au 1er octobre 2023.

[20Voir note 12 précitée.

[22c-25.01 - Code de procédure civile – Chapitre IV – La conférence de règlement à l’amiable.

161.Le juge en chef peut, à tout moment de l’instance mais avant la date fixée pour l’instruction, désigner un juge pour présider une conférence de règlement à l’amiable si les parties le lui demandent et lui exposent sommairement les questions à examiner ou si lui-même recommande la tenue d’une telle conférence et que les parties agréent sa recommandation. Il le peut également, même après la date fixée pour l’instruction, si des circonstances exceptionnelles le justifient.
La charge de présider une conférence de règlement à l’amiable entre dans la mission de conciliation du juge.
2014, c. 1, a. 161.

162. La conférence de règlement à l’amiable a pour but d’aider les parties à communiquer en vue de mieux comprendre et évaluer leurs besoins, intérêts et positions et à explorer des solutions pouvant conduire à une entente mutuellement satisfaisante pour régler le litige.
2014, c. 1, a. 162.
163. La conférence est tenue en présence des parties et, si elles le souhaitent, de leurs avocats. Elle a lieu à huis clos, sans frais ni formalités.
La conférence ne suspend pas le déroulement de l’instance, mais le juge qui la préside peut, s’il l’estime nécessaire, modifier le protocole de l’instance pour en tenir compte.
Tout ce qui est dit, écrit ou fait au cours de la conférence est confidentiel.
2014, c. 1, a. 163.

164. De concert avec les parties, le juge établit le calendrier des rencontres, les règles applicables à la conférence et les mesures propres à en faciliter le déroulement.
Ces règles peuvent notamment prévoir que le juge pourra rencontrer les parties séparément et que les personnes dont la présence est considérée utile au règlement du litige pourront y participer.
Les parties sont tenues de s’assurer que les personnes autorisées à conclure une entente sont présentes à la conférence ou qu’elles peuvent être consultées en temps utile pour donner leur accord.
2014, c. 1, a. 164
165. Si un règlement à l’amiable intervient, le juge peut, sur demande, homologuer la transaction.
Si aucun règlement n’intervient, le juge peut prendre les mesures de gestion appropriées ou, avec le consentement des parties, convertir la conférence de règlement à l’amiable en conférence de gestion. Il ne peut cependant par la suite instruire l’affaire ou décider d’une demande incidente à celle-ci.

[23Panorama des médiations du Monde – premières assises internationales de la médiation judiciaire (Actes du colloque de Paris des 16 et 17 octobre 2009) Allocutions du Juge en Chef du Québec, Michel Robert (pp.176 et 177) et de la juge honoraire à la Cour d’appel du Québec, Louis Otis (pp.178 à 180) / Site Observatoire des médiations.org.

[30Louise Otis – Un phénomène de justice transcendant : La médiation judiciaire au Québec – note 18 précitée.

[32Le procès, c’est forcément un gagnant et un perdant ; ce que vise la conférence de règlement à l’amiable, ce sont deux gagnants ! Entretien avec François Rolland, Entretien réalisé par Maurice Lemelin, dans Négociations 2017/2 (n° 28), pages 151 à 157 – mis en ligne sur Cairn.info le 06/10/2017

[33Viconte Inc. c. Transcontinental Inc., 2020 QCCQ 1475 ; 2020EXP-1182 (C.Q.) ; EYB 2020-351760 (C.Q.).

[34Art. 774-4, Code de procédure civile – « A l’issue de l’audience, les parties peuvent demander au juge chargé de l’audience de règlement amiable, assisté du greffier, de constater leur accord, total ou partiel, dans les conditions de l’article 130 et du premier alinéa de l’article 131. Le juge informe le juge saisi du litige qu’il est mis fin à l’audience de règlement amiable et lui transmet, le cas échéant, le procès-verbal d’accord ». https://www.lexbase.fr/texte-de-loi/100245556-autre-version.