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Action de l’emprunteur contre sa banque : point de départ du délai de prescription. Par Anne Bernard-Dussaulx, Avocat.
Parution : mardi 31 janvier 2023
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Par un arrêt en date du 25 janvier 2023, la Chambre commerciale de la Cour de cassation a jugé que le point de départ du délai de prescription quinquennal de l’article L110-4 du Code de commerce commence à courir à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face et non à la date de souscription du prêt.

En 2008, une banque octroie à un emprunteur un prêt spécial dirigeants remboursable in fine deux ans plus tard. Ce prêt est destiné à être apporté en compte courant à une société qui se trouve finalement placée en redressement puis en liquidation judiciaire.

L’emprunteur, qui n’est pas en mesure de faire face au remboursement des échéances du prêt engage la responsabilité de la banque, à qui il reproche de ne pas l’avoir mis en garde contre les risques d’endettement excessif.

L’article L110-4 du Code de commerce dispose que les obligations nées à l’occasion de leur commerce entre commerçants ou entre commerçants et non commerçant se prescrivent pas cinq ans si elles ne sont pas soumises à des prescriptions spéciales plus courtes.

Mais quel est le point de départ de cette prescription quinquennale ? Est-ce le jour de la conclusions du contrat de prêt - ici en 2008 - ou le jour où l’emprunteur réalise avoir été victime du défaut de conseil de son banquier, c’est-à-dire le jour où il ne peut faire face au remboursement de son emprunt ?

La Cour d’appel avait fixé ce point de départ au jour de la conclusion du contrat de prêt.

La Chambre commerciale de la Cour de cassation censure l’arrêt d’appel au visa des articles 2224 du Code civil et L110-4 du Code de commerce. Elle juge que

« le manquement d’une banque à son obligation de mettre en garde un emprunteur non averti sur le risque d’endettement excessif né de l’octroi d’un prêt prive cet emprunteur d’une chance d’éviter le risque qui s’est réalisé, la réalisation de ce risque supposant que l’emprunteur ne soit pas en mesure de faire face au paiement des sommes exigibles au titre du prêt. Il en résulte que le délai de prescription de l’action en indemnisation d’un tel dommage commence à courir, non à la date de conclusion du contrat de prêt, mais à la date d’exigibilité des sommes au paiement desquelles l’emprunteur n’est pas en mesure de faire face ».

Par cette décision, la Chambre commerciale de la Cour de cassation s’éloigne quelque peu d’une jurisprudence abondante qui fixe le point de départ du délai de prescription de l’article L 110-4 du Code de commerce au jour de la conclusion du contrat (Cass civ 1, 16 janvier 2019, no 17-21477 ; Cass civ, 8 avril 2021, no 20-13493 ; Cass com 9 septembre 2020, no 19-12728).

Cette position doit néanmoins être saluée dès lors qu’elle protège les intérêts de l’emprunteur qui, dans le cadre d‘un prêt in fine, peut prendre conscience du caractère excessif de son endettement et par conséquent de la faute de son banquier, bien après l’expiration du délai de prescription.

Décision commentée : Cass com 25 janvier 2023 Pourvoi no 20-12.811.

Anne Bernard-Dussaulx Avocat au Barreau de Paris [->anne.dussaulx@richemont-delviso.com] www.richemont-delviso.com