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L’enjeu des formes juridiques des clubs esport. Par Pierre-Xavier Chomiac de Sas, Avocat.
Parution : mardi 31 janvier 2023
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Reprenant les développements de l’ouvrage « Droit & métiers de l’esport », les clubs esportifs se sont développés pour organiser les équipes professionnelles de joueurs de jeu vidéo. La forme que ces dernières choisissent pour exercer leurs activités varient selon leurs objectifs, fonctionnement et sources de revenus.

L’encadrement de leurs activités ainsi que celui de leurs effectifs notamment des joueurs constitue un enjeu majeur de leur développement et leur stabilité.

Exclu du régime sportif depuis la Loi pour une république numérique de 2016, le droit de l’esport [1] n’impose pas de forme sociale spécifique pour les clubs esportifs : certains exercent leurs activités en tant qu’association - de fait ou de droit - ou sous la forme de sociétés commerciales - SARL et SAS principalement.

Pour fonder leur choix, les structures s’appuient sur une variété d’éléments : contexte de leur création, objectifs de développement, circuits de compétition associés, sources de revenus, etc. Il n’est malheureusement pas rare que des clubs négligent l’encadrement de leur structure d’un point de vue juridique avec le risque ultérieur de voir les activités de la société gelées, les besoins d’un club pouvant parfois aller au-delà de ce que permet leur statut juridique.

Le développement de jeux vidéo proposant un affrontement en équipe a rapidement encouragé l’émergence de « clubs esportifs » organisant la participation des joueurs [2] dans les évènements esportifs. Par mimétisme des sports collectifs, la majorité des circuits de compétition de jeux vidéo promeuvent autant les joueurs que les clubs sous les couleurs desquelles ces derniers s’affrontent. Le même phénomène se reproduit dans les scènes amateures ou à l’occasion d’évènements non officiels.

En réalité, le terme de « club esport » renvoie à une grande variété d’entités, personnes morales de fait ou de droit aux origines diverses : certaines sont issues d’une pratique amateur de l’esport structurant progressivement leur fonctionnement pour participer à des compétitions de plus grande ampleur ; d’autres prennent la forme d’associations recherchant des subventions publiques. Enfin, certaines équipes sont créées à l’initiative de clubs sportifs ou de sociétés commerciales pour assurer la promotion directe de leurs marques et produits.

Terme récurrent depuis plusieurs années, la « professionnalisation » du secteur esportif vise principalement les clubs esportifs. Leur évolution au sein de circuits de compétition plus avancés nécessite rapidement une restructuration quasi-intégrale et souvent difficile de l’ensemble de leur organisation, leurs activités et l’encadrement de leurs membres.

A. Le choix de la forme juridique.

Association. Très répandu dans le monde esportif, issu de sa pratique historiquement amateure, le statut associatif présente de nombreux avantages, tant du point de vue de sa création que du bénéfice de charges sociales et fiscales allégées.

L’association se présente comme un contrat encadrant plusieurs personnes mettant en commun, de façon permanente, leurs connaissances ou leur activité dans un but autre que de partager des bénéfices [3].

Sauf à constituer une association de fait [4], la constitution d’une association est soumise à un formalisme limité : une simple déclaration préalable en préfecture, intégrant les titres, objets, siège et identification des mandataires et administrateurs de l’association, suivie d’une publication dans un journal d’annonces officielles [5]. Des précisions peuvent être apportées dans ses statuts, notamment quant à ses activités et à ses organes direction.

Cependant, le statut associatif peut rapidement handicaper voire bloquer le développement d’une structure :
- A l’inverse d’une société, aucune levée de fonds ou cession de l’association ne peut être envisagée. Seuls des subventions ou dons peuvent être envisagés comme sources de financement extérieures ;
- Les avantages sociaux et fiscaux accordés aux associations peuvent être remis en cause si les critères de non-lucrativité et de gestion désintéressée ne sont pas respectés ou si l’association entre en concurrence avec des sociétés commerciales [6] ;
- La transformation d’une association en structure commerciale n’est pas impossible mais extrêmement complexe ;
- Fréquemment utilisé, le statut de bénévole pour les joueurs empêche tout contrôle effectif de ces derniers, notamment en cas de départ pour un club concurrent.

Société commerciale. Une société commerciale est une société dont la forme juridique et/ou l’objet social sont commerciaux. Préférées par les entrepreneurs, les sociétés par actions simplifiée (SAS) et les sociétés à responsabilité limitée (SARL) offrent les avantages majeurs de protéger les patrimoines personnels de leurs fondateurs ainsi que bénéficier d’un encadrement légal réduit. Les distinctions entre les deux formes relèvent principalement de règles liées à la gestion quotidienne de l’activité et aux régimes sociaux des dirigeants.

L’exploitation d’une activité esportive sous forme de société apporte de nombreux privilèges par rapport aux associations :
- Les parts ou actions du club peuvent faire l’objet de commerce, permettant d’augmenter sa valeur en cas de levée de fonds voire de vente de slot de compétition ou de la structure elle-même ;
- La facturation avec TVA permet de déduire une part non négligeable des dépenses liées à l’activité de la société ;
- Les relations contractuelles entre professionnels disposent de règles complémentaires plus efficaces et protectrices ;
- Les sponsors et partenariats sont généralement rassurés face à des structures commerciales.

Si les clubs esportifs intervenant dans des circuits de compétition importants ou bénéficiant de contrats de partenariats se structurent sous ces formes, la création d’une société commerciale demeure pour beaucoup impressionnante quant aux implications d’une aventure entrepreneuriale.

B. Les risques de la forme juridique choisie.

L’évolution d’un club esportif dépend de nombreux critères notamment les performances esportives de ses joueurs ou encore l’accès à de nouveaux circuits de compétitions. Dans ce contexte, la forme juridique du club peut soulever des problématiques non anticipées, notamment lorsque les charges associées à l’activité nécessitent d’importants investissements financiers.

Principal enjeu du développement d’une structure, cette dernière peut au cours de son existence avoir besoin d’exercer des activités commerciales et lucratives. En cas de statut associatif, le club devra prévoir dans ses statuts de telles activités et sera soumis aux même règles légales et fiscales que toute autre société commerciale pour empêcher une concurrence déloyale.

Transformation en société commerciale. Les objectifs des associations et sociétés étant profondément différents, la transformation d’une association en société est juridiquement impossible.

Un transfert d’activité d’une association vers une société demeure envisageable sous réserve de respecter l’ensemble des règles en matière de cession de fonds, impliquant notamment la dissolution de l’association à l’issue du transfert. La cession impliquerait dès lors une valorisation crédible de l’ensemble des biens matériels et immatériels apportés.

En pratique, de nombreuses associations optent pour la création d’une nouvelle entité juridique pour structurer leurs nouvelles obligations. Des solutions intermédiaires permettent toutefois de combiner une activité commerciale avec un engagement associatif par des montages peu pertinents en matière esportive [7].

Paracommercialisme & concurrence déloyale. La variété des activités esportives, pouvant inclure des prestations de participation à des compétitions de jeu vidéo, de représentation de la structure, de promotion de marques, produits ou services partenaires appellent une vigilance toute particulière sur le risque de paracommercialisme [8].

La situation concurrentielle d’une association s’apprécie au regard de quatre critères portant sur (i) l’intérêt social des produits en cause, (ii) l’offre de ces produits à un public alternatif, (iii) la proposition de prix modulés ou inférieurs à ceux du secteur concurrentiel et (iv) l’analyse des moyens de publicité mis en place sur le secteur donné, excédant le simple besoin d’information du public. A défaut, l’association sera assujettie aux mêmes impôts et taxes que les entreprises commerciales et/ou s’exposera à des sanctions civiles et pénales.

En matière esportive, plusieurs auteurs s’interrogent sur l’éventuelle qualification d’acte de commerce d’une participation habituelle d’association esportives à des spectacles publics au sens de l’article L110-1,6° du Code de commerce. Une telle reconnaissance pourrait avoir des conséquences très graves pour l’ensemble des structures esportives associatives actuellement existantes.

C. L’agrément esportif.

Seule référence indirecte dans l’article 102 de la loi pour une République Numérique définissant le contrat de travail du joueur esportif, les structures esportives seraient tenues d’obtenir un agrément ministériel pour l’emploi de joueurs. Toutefois, le texte ne semble pas faire de cet agrément une condition obligatoire pour l’exercice d’une activité esportive. Dès lors, cette formalité administrative d’agrément apparait facultative [9], sauf à souhaiter recourir au contrat à durée déterminé esportif spécifique prévu par la loi.

Précisée par les décrets d’application de 2017 [10], la demande d’agrément s’adresse au ministre chargé du numérique et doit présenter plusieurs informations relatives à la structure, aux évènements esportifs envisagés ainsi qu’à ses ressources et moyens mis en œuvre pour assurer leur objet social. Délivré pour une durée de trois ans renouvelable, l’agrément pourra toutefois être retiré, a priori à tout moment et sans formalisme précis, notamment en cas de violation des règles relatives à la protection des salariés [11]. En tant qu’acte administratif, sa contestation se fera devant le juge administratif.

En pratique, le CDD esportif est jugé trop complexe et onéreux à mettre en place par les structures esportives limitant considérablement l’utilisation de l’agrément esportif par les professionnels.

« Art 2. Décret n°2017-872 du 9 mai 2017 relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs
La demande d’agrément comporte :
1° L’adresse et la raison sociale de l’association ou de la société ;
2° L’adresse du principal établissement de l’association ou de la société ainsi que l’adresse de ses établissements secondaires, le cas échéant ;
3° L’objet de la société ou de l’association ;
4° Les événements compétitifs et les disciplines auxquelles l’association ou la société envisage de participer ;
5° Le cas échéant, les activités secondaires de l’association ou de la société ;
6° La description des moyens humains, matériels et financiers mis en œuvre pour satisfaire l’objet pour lequel l’agrément est sollicité ;
7° La description des conditions d’emploi des joueurs professionnels salariés, en particulier leurs conditions d’entraînement, de formation et d’encadrement physique et mental ;
8° La description des moyens mis en œuvre pour prévenir les risques professionnels liés à l’exercice du métier de joueur professionnel de jeux vidéo compétitif
 ».

Maître Pierre-Xavier Chomiac de Sas Avocat au Barreau de Paris http://pcs-avocat.com/ [->px@chomiacdesas.com]

[3La loi 1901 ne s’applique pas aux associations siégeant en Alsace-Moselle. Des dispositions spécifiques sont prévues pour les structures associatives situées dans les départements de la Moselle, du Haut-Rhin et du Bas-Rhin.

[4Art. 2. Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association ; Groupement de personnes physiques ou morales qui n’a pas souhaité accomplir les formalités de déclaration et ne pouvant en conséquence pas bénéficier d’une personnalité juridique limitant l’autonomie de l’association en matière de contrats, de compte bancaire, embauches, dons subventions, etc.

[5Art 5. Loi du 1er juillet 1901 relative au contrat d’association.

[6Les textes légaux prévoient que les associations peuvent être exonérées d’impôt sur les sociétés, de contribution économique territoriale et de TVA à condition que, d’une part, leur gestion présente un caractère désintéressé et que leurs activités soient non lucratives et, d’autre part, les services qu’elles rendent ne sont pas offerts en concurrence dans la même zone géographique d’attraction avec ceux proposés au même public par des entreprises commerciales exerçant une activité identique.

[7Il est possible d’envisager la création d’une société commerciale filiale dont l’association serait l’actionnaire unique au sein de laquelle elle exercerait son activité lucrative. L’association doit constituer un secteur lucratif pour appréhender les dividendes éventuels, ce qui suppose de réunir plusieurs conditions (notamment, prépondérance des activités non lucratives et des ressources affectées à ces activités non lucratives).

[8Acte de concurrence déloyale qui consiste, pour une association, à se livrer à une activité commerciale sans le mentionner dans ses statuts et/ou sans en supporter les charges fiscales et sociales correspondantes (telles que la TVA, la contribution économique territoriale ou l’impôt sur les sociétés).

[9En ce sens, G. Rabu, Fasc 655 : compétitions de jeux vidéo, JurisClasseur Communication, 20.10.2020.

[10D. n° 2017-872, 9 mai 2017, relatif au statut des joueurs professionnels salariés de jeux vidéo compétitifs : JO 10 mai 2017, texte n° 51.

[11Art. 9 D. n°2017-872, 9 mai 2017.