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L’animal comme divertissement et le droit. Par Mario Gheza, Etudiant.
Parution : mercredi 1er février 2023
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Entre la corrida, les combats de coqs et les cirques, le cadre législatif et jurisprudentiel réalise un certain favoritisme.
De quelle façon le droit arrive-t-il à concilier la survivance de traditions basées sur la souffrance des animaux et la mouvance politique actuelle visant à renforcer la protection de ces derniers ? C’est ce qui sera analysé ci-après.

Plus de 2 000 ans n’ont pas suffit à ne serait-ce qu’esquinter cette question commune du buffle des venationes romaines et du taureau de Francis Cabrel : « Est-ce que ce monde est sérieux ? ».
Traditions et cultes survivent aux différentes moeurs dont le temps est traversé et c’est bien là que résident leur essence. La légitimité d’une pratique est majoritairement tirée de son ancienneté, posant ainsi une remise en cause plus que délicate de coutumes allant de l’Aïd el-Kebir au massacre des dauphins sur les îles Féroé, en passant par les combats de coqs. Analyser les spectacles traditionnels d’un point de vue juridique, et plus spécifiquement pénal, s’avère propice aux controverses du fait d’une pluralité des matières ( divertissement, alimentation, religion...).

La législation française est-elle synchronisée à la revendication politique croissante fondée sur le bien-être des animaux ? Le droit opère-t-il une préférence en confortant certaines coutumes tout en expédiant au purgatoires d’autres pratiques ?

Ces derniers temps, tout porte à croire que le cadre législatif relatif au bien-être des animaux est considérablement impliqué dans les multiples revendications : la proposition de loi visant l’interdiction de la corrida par le député Aymeric Caron ; la proposition de loi du député Charles Fournier souhaitant interdire la chasse à courre, la chasse en enclos, les chasses traditionnelles ainsi que la chasse les jours fériés, week-ends et vacances scolaires ; la loi du 30 novembre 2021 visant à l’interdiction des cirques itinérants à compter du 1er décembre 2028...

La loi dite « Grammont » du 2 juillet 1850, pierre angulaire du dispositif pénal français à l’égard des actes de violence commis contre des animaux, avait prévu la répression des mauvais traitements envers les animaux domestiques seulement lorsqu’ils étaient exercés publiquement et abusivement. Force est de constater que le régime s’est étoffé, que ce soit dans son champ d’application ou dans la coercition des sanctions possibles. L’objectif est simplement de prendre le pouls du cadre juridique applicable aux diverses activités de divertissement liées aux animaux. En scelle !

Les images du show « Le plus grand cabaret du monde » animé par Patrick Sébastien relèveront peut-être un jour, à l’instar des scènes de « Droit de réponse » ou « Apostrophes », de la catégorie des archives d’un autre temps. Par la loi du 30 novembre 2021 de lutte contre la maltraitance animale, la profession de dompteur en spectacles itinérants semble être en voie d’extinction.

Le nouveau dispositif met en place une mort programmée du cirque dans sa forme traditionnelle. D’une part, l’article L.214-10-1 du Code rural dispose que sont interdits les manèges à poneys, entendus comme attractions permettant, pour le divertissement du public, de chevaucher tout type d’équidé, via un dispositif rotatif d’attache fixe privant l’animal de liberté. Dans une démarche progressive, cette même loi prévoit dans un délai de 2 ans, l’interdiction totale d’acquérir, de commercialiser et de faire se reproduire des animaux appartenant aux espèces non-domestiques en vue de les présenter au public dans des établissements itinérants [1]. Par l’intermédiaire de l’article 413-12 du Code de l’environnement, la loi énonce qu’à l’issue d’un délai de 5 ans, seront interdits les spectacles incluant une participation de spécimens de cétacés et les contacts directs entre les cétacés et le public, et de les détenir en captivité ou de les faire se reproduire en captivité, sauf exceptions.

Enfin, disposition déjà mentionnée, sera définitivement interdit la détention, le transport et les spectacles incluant des espèces non-domestiques à compter du 1er décembre 2018. Cependant, ce calendrier bien précis laisse entendre une certaine survivance du cirque sous d’autres formats. En effet, les interdictions concernant les animaux sauvages et les cirques itinérants reconnaissent implicitement l’admission des animaux domestiques en cirques itinérants, mais aussi, la présence d’animaux sauvages dans les cirques permanents. Par ailleurs, dans le cas où les solutions d’accueil envers les animaux concernés par la loi de lutte contre la maltraitance animal ne seraient pas réalisables, le ministre de l’Environnement pourra déroger aux interdictions apportées par ladite loi. La tradition d’Achille Zavatta, bien qu’encore debout, vacille un peu plus à chaque disposition législative. Si l’on peut encore émettre quelques réserves quant à la disparition totale de cette coutume, rien n’interdit de penser à une transformation en profondeur de cette dernière. Néanmoins, le régime juridique applicable au cirque est bien moins complaisant que celui de la corrida, par exemple.

Aujourd’hui, et malgré les doléances d’une partie de l’opinion publique, la double protection à la fois législative et jurisprudentielle dont bénéfice la corrida lui confère probablement le statut de tradition la moins chancelante.

En effet, toute la logique repose aujourd’hui sur l’article 521-1 du Code pénal prévoyant une peine de 3 ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende pour « le fait, publiquement ou non, d’exercer des sévices graves ou de commettre un acte de cruauté envers un animal domestique, ou apprivoisé, ou tenu en captivité » et une exception inscrite dans ce même article : « Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux courses de taureaux lorsqu’une tradition locale ininterrompue peut être invoquée ».

Cette irresponsabilité pénale réservée à la tradition tauromachique a suscité son lot d’interrogations quant à sa légalité. Une question prioritaire de constitutionnalité a été posée sur la conformité de l’article 521-1 à l’article 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, lequel énonce le principe d’égalité de tous devant la loi.
Dans sa décision du 21 septembre 2012, le Conseil constitutionnel a jugé que les disparités de l’engagement ou non de la responsabilité pénale selon l’appartenance géographique ne portaient pas atteinte au principe d’égalité de tous devant la loi, pourvu que « la différence de traitement qui en résulte soit en rapport direct avec l’objet de la loi qui l’établit ». La notion de « tradition locale ininterrompue », par l’intermédiaire des juges, tend davantage à développer peu à peu le spectacle de tauromachie, plutôt qu’à circonscrire ce dernier. Initialement, la loi du 24 avril 1951 indiquait les villes où une tradition locale ininterrompue de tauromachie existait. Était considérée comme tradition ininterrompue celle qui s’exerçait durant plus de dix ans.

Dans une décision du 4 novembre 1959, le Conseil d’Etat décida que toutes les villes se réclamant d’une tradition tauromachique vieille d’au moins 50 ans s’inscrivaient dans la notion de « tradition ininterrompue ». C’est peu dire que cela a ouvert le champ des autorisations de Bordeaux à Fréjus, ainsi qu’à Vichy. La localité, elle, est aujourd’hui un instrument permettant l’extension de la pratique de tauromachie par un mécanisme de rattachement.
Le juge, adoptant parfois cette logique qu’une localité peut être considérée comme un ensemble géographique, à l’instar de la décision de la Cour d’appel de Bordeaux le 29 octobre 1968, pourrait alors étendre progressivement la pratique de la tauromachie, une commune de rattachement après l’autre.
Toutefois, ce développement s’effectuerait dans un temps considérablement long, puisque la Cour d’appel de Nîmes, le 2 décembre 1965, a refusé de considérer qu’une habitude de quelques années puisse constituer une tradition. Un frein parmi les nombreuses permissions accordées à la tradition tauromachique, notamment la non- distinction entre une corrida organisée par un professionnel et un amateur [2] et la non-interdiction de banderilles agressives lors d’un spectacle tant que l’existence d’une tradition locale ininterrompue est caractérisée [3].

Entre le régime très restrictif des cirques et celui bien plus conciliant de la corrida, se situe celui des combats de coqs.
Le fondement juridique du combat de coqs est identique à celui des spectacles de tauromachie : le onzième alinéa de l’article 521-1 du Code pénal énonce que les dispositions de l’article « ne sont pas non plus applicables aux combats de coqs dans les localités où une tradition ininterrompue peut être établie ».

Cependant, le régime juridique de cette tradition assimile cette dernière à un état quelque peu végétatif. En effet, l’alinéa 12 de l’article 521-1 du Code pénal pose une interdiction de la création de nouveaux gallodromes, sous peine de se voir appliquer les sanctions prévues dans ledit article.

Tandis que la pratique de la corrida pourrait connaître a minima une survie assurée et au mieux une légère expansion géographique, puisque la construction de nouvelles arènes est autorisée, les combats de coqs eux, se cantonnent à l’existant. Cette différence de traitement a donné lieu à une question prioritaire de constitutionnalité devant le Conseil constitutionnel, au motif du non- respect au principe d’égalité devant la loi.
L’argument fut jugé irrecevable par la juridiction le 31 juillet 2015, en estimant que le législateur, en souhaitant accompagner et favoriser l’extinction de ces pratiques, a traité différemment des situations différentes. La motivation ne peut être plus explicite sur le sort réservé aux combats de coqs.

Mario Gheza, Juriste Candidat au CRFPA à Strasbourg.

[1L.413-10 du Code de l’environnement.

[2CA, Nîmes, 1er décembre 2000.

[3Cass, 2ème, 22 novembre 2001.