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Atteintes à l’autorité parentale, emprise, aliénation parentale, état de la Jurisprudence. Par Cyril Braniste, Avocat.
Parution : jeudi 2 février 2023
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Au terme de l’article 371-1 du Code civil, « l’autorité parentale est un ensemble de droits et de devoirs ayant pour finalité l’intérêt de l’enfant. Elle appartient aux parents jusqu’à sa majorité pour le protéger dans sa sécurité, sa santé et sa moralité, pour assurer son éducation, et permettre son développement dans le respect dû à sa personne ».

En pratique, le retrait par un juge de l’autorité parentale est réservé à des situations particulièrement graves (condamnation pénale pour violences, constats objectifs d’abandon, de désintérêt ou de mise en danger).

Or, les cabinets des juges aux affaires familiales et des juges des enfants sont régulièrement confrontés à la problématique du conflit de loyauté. L’enfant étant incité plus ou moins consciemment à prendre parti pour un parent, voir à rejeter l’autre.

Les situations les plus graves, qualifiées d’aliénation parentale, consistant en des manipulations psychologiques et agissements délibérées et perpétrées par un parent, pour amener l’enfant à rompre le lien avec l’autre parent (souvent le parent non gardien).

On peut observer une certaine évolution dans la manière d’appréhender ces problématiques, jusque-là bien souvent incluses dans le terme très général de « conflit parental ».

Il y a lieu de constater le sérieux et la fermeté des réponses apportées par les juridictions à ces formes de violation grave de l’autorité parentale.

La décision la plus emblématique est l’arrêt de la Cour de Cassation (cass civ 1 du 16 /11/2022).

Dans cette affaire, la décision de la Cour d’Appel de Versailles attaquée, avait attribué l’autorité parentale exclusive au père, et ce après avoir expressément constaté divers agissements destructeurs de la mère ; et notamment :
- La multiplication des procédures judiciaires et démarches non concertées à propos de la scolarisation de l’enfant, créant un état d’insécurité permanente, ayant conduit la mère à désigner son enfant comme « l’enfant de la guerre » ;
- Les manquements répétés dans l’exercice du droit de visite (retards du retour de l’enfant auprès de son père) ;
- Un dénigrement constant.

Ayant retenu qu’était ainsi établie une escalade dans le conflit parental alimentée par la mère, la cour d’Appel a fait, selon la Cour de Cassation, ressortir l’existence de motifs graves tenant à l’intérêt de l’enfant au sens de l’article 3&1 de la convention relative aux droits de l’enfant du 20 novembre 1989, et justifiant que l’autorité parentale soit confiée au père.

La Cour de Cassation reconnaît ainsi de façon formelle que la conflictualité exacerbée par un parent à l’égard de l’autre, et l’instrumentalisation à outrance de l’enfant commun, sont un motif de retrait de l’autorité parentale au même titre qu’un acte de violence physique, de graves carences éducatives, ou la mise en danger de l’enfant.

L’arrêt de la Cour d’Appel de Nîmes du 13 Avril 2022.

Saisi de l’appel de la mère d’une décision de placement de trois enfants mineurs prise par le juge des enfants d’Avignon, la Cour d’Appel de Nîmes a rendu une décision très motivée et particulièrement intéressante.

En l’espèce, depuis la séparation intervenue huit ans auparavant, la mère n’avait eu de cesse d’éloigner le père des enfants :
- Par son déménagement, véritable Coup de force à 900 kilomètres du domicile familiale avec les enfants, décidant ainsi seule d’un éloignement brutal ;
- Par sa prise de décision unilatérale concernant la scolarité des enfants ;
- Ses manœuvre répétées et systématiques pour associer ses enfants à sa volonté d’éliminer le père et toute la famille paternelle ;
- Ses mensonges, envois de messages de haine au nom des enfants, son dénigrement systématique ;
- Ses accusations infondées ;
- La production de faux certificats médicaux pour se faire passer pour une victime de violences conjugales (faits pour lesquels elle est condamnée en correctionnel pour faux en écritures) ;
- Ses démarches en vue de leur faire changer de nom ;
- Ses multiples non présentation d’enfant ;
- La mise en échec de la mesure éducative initialement mise en place par le juge des enfants.

Mandatés respectivement par le juge aux affaires familiales et le juge des enfants, les deux experts psychiatre, utilisant une terminologie différente, en arrivent aux mêmes conclusions :

Pour l’un :

« Aliénation parentale grave, avec présence de tous les critères du syndrome confirmant la fanatisation des enfants. Risque important pour eux de sentiments ultérieurs de culpabilité inconscient et de comportements auto destructeurs ».

Pour l’autre :

« Relation d’emprise exercée par la mère, de conditionnement, d’influence. L’image du père a été tellement mise à mal que désormais, il faudrait un changement de paradigme pour faire prendre conscience aux enfants qu’ils ont possiblement été instrumentalisés et que leur père n’est pas le monstre qu’il croit. Piégeage des trois enfants par principe de cohérence et d’engagement dans un discours pro mère et anti père. Discours qui est induit par la conviction que leur mère a été et sera toujours victime de leur père. Et que eux aussi sont victimes de leur père (selon un raisonnement par amalgame). Les trois enfants s’identifient projectivement à leur mère, épousent son discours et deviennent les portevoix de leur mère ».

La motivation de la Cour d’Appel de Nîmes est parlante :

«  En ayant instillé chez ses enfants peu à peu la haine qu’elle a de leur père, en les privant de leur père depuis 4 ans, la mère les ampute d’une partie d’eux-mêmes.
Elle leur a volé, non seulement l’accès à leur père et une partie de l’étayage de leur construction identitaire, mais également leur libre arbitre, en les conditionnant par la répétition de son erreur de jugement, répétée et amplifiée sur un mode anxiogène pour eux.
Cette erreur de jugement qui est la sienne, est devenue par emprise et par influence en chaîne de la mère à chacun des enfants, une erreur collective de jugement dans la coalition mère -enfants.
La mère a donné à ses enfants l’exemple très négatif de son comportement de toute puissance et leur enseigne ainsi cette toute puissance, se servant d’eux pour faire échec aux décisions judiciaires.
Les conditions de leur éducation sont sur ce plan gravement compromises au sens de l’article 375 du Code civil, et les enfants sont en grave danger dans leur développement psychique et affectif, même si en apparence, ils peuvent donner à voir qu’ils semblent aller bien
 ».

Au regard de l’ensemble de ces observations, et se fondant sur le 3ème alinéa de l’article 375 -2 du Code civil, la Cour d’Appel de Nîmes rend une décision très spécifique et exemplaire en ce qu’elle n’ordonne pas l’éloignement et le placement immédiat des enfants, mais subordonne leur maintien chez la mère a l’exécution d’un certain nombre de conditions très strictes, soit :
- La mise en œuvre immédiate des droits du père ;
- Une collaboration réelle avec les services éducatifs ;
- La mise en œuvre d’un suivi thérapeutique, en donnant connaissance de la présente décision et des rapports d’expertise aux psychologues et psychiatres qui les prendront en charge, et la remise d’une attestation de ces derniers de leur connaissance prise de ces documents.

On peut dire ainsi que le placement des enfants est ici assorti pour la mère d’un « vrai sursis avec mise à l’épreuve, sous peine de révocation en cas de manquement à ses obligations »

Le jugement du Tribunal correctionnel de Brives du 13 Octobre 2022.

Dans cette affaire, la mère avait porté plainte contre le père des enfants pour violences psychologiques (l’article 222-14-3 du Code pénal), décrivant un processus d’humiliation au sein de la famille.

Elle avait produit des enregistrements, faisant état de menaces et de propos orduriers tenus par le père devant les enfants. Ceux-ci reprenant mot pour mot les propos orduriers de leur père pour désigner leur mère, l’un d’entre eux expliquant qu’il n’avait d’ailleurs « plus de mère ».

Dans son réquisitoire le ministère public précise : «  les enfants, c’est le moyen qu’a trouvé Monsieur pour commettre des violences à l’égard de sa femme !  »

Le tribunal correctionnel a été de cet avis en condamnant le père, pour violences psychologiques habituelles, à la peine de 12 mois de prison, dont 6 avec sursis.

La notion d’aliénation parentale en tant que syndrome fait l’objet de controverses scientifiques, et de remises en cause par certaines associations.

Pour autant, les trois exemples cités confirment que selon les cas, nos juridictions (dont la plus haute) se font l’écho de situations inadmissibles de violations de l’autorité parentale, et savent y apporter les réponses qui s’imposent.

Il s’agit d’une avancée importante susceptible de décourager certains abus de parents convaincus d’être propriétaires de leurs enfants.


Avertissement de la Rédaction du Village de la Justice :
Le concept du "Syndrome d’aliénation parentale" fait l’objet de controverses. Il ne fait à ce jour l’objet d’aucun fondement scientifique - mais à l’inverse il n’est pas interdit et est utilisé dans de nombreux dossiers juridiques.
L’expression et l’usage du concept sont fortement déconseillés au niveau européen (https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-9-2021-0406_FR.html), étudiée au niveau français avec une note d’information mise en ligne sur le site intranet de la direction des affaires civiles et du Sceau du ministère de la Justice pour informer les magistrats du caractère controversé et non reconnu du syndrome d’aliénation parentale). Note introuvable à notre connaissance (voir à ce sujet : https://www.senat.fr/questions/base/2017/qSEQ171202674.html ).
Les enjeux sont multiples et nous semblent devoir être tranchés par une autorité publique.
Dans l’attente de clarification, nous vous invitons à prendre avec grandes précautions cette expression qui est ici employée sous la seule responsabilité de l’auteur.

Cyril Braniste Avocat
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