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Prescription en matière disciplinaire : mon manager est un employeur ! Par Mehdi Djaghloul, Responsable des relations sociales.
Parution : jeudi 2 février 2023
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Le marteau de la discipline interne doit être manié par l’employeur dans le respect du cadre légal. L’une des limites imposées à son pouvoir disciplinaire est de nature temporelle : il s’agit de la prescription des faits fautifs.

Le fameux délai de deux mois, bien connu des opérationnels, était au centre du litige soumis à l’examen de la Cour de cassation le 18 janvier 2023. A l’ordre du jour : un précieux rappel relatif au point de départ du délai !

Propos liminaire.

La gestion opérationnelle des ressources humaines dans le cadre de l’entreprise amène les acteurs internes qui en partagent la responsabilité (qu’ils soient responsables des ressources humaines ou juristes en droit social) à traiter de façon quotidienne une très large diversité de thématiques.

Il en est une qui, toutefois, occupe dans le quotidien RH une place bien à part : la matière disciplinaire.

Cette place privilégiée dans le quotidien des opérationnels, l’action disciplinaire la doit tant à son encadrement très strict par une légion de normes issues de sources multiples (Code du travail, conventions collectives, règlement intérieur de l’entreprise ou encore inspiration du Juge) qu’à son objet : le comportement des femmes et des hommes qui composent l’entreprise.

Porteur du pouvoir disciplinaire, l’employeur a le pouvoir de sanctionner les fautes commises par les salariés. Il ne saurait toutefois être question de despotisme. Le marteau de la discipline interne doit être manié par l’employeur dans le respect du cadre établi par le législateur.

Les limites sont nombreuses : l’employeur ne peut « frapper au portefeuille » (l’interdiction des sanctions pécuniaires) [1] ; il ne peut sanctionner à plusieurs reprises un même comportement fautif ; il exerce son pouvoir disciplinaire dans le cadre de son règlement intérieur, etc.

Mais la limite qui intéresse cette étude est d’ordre temporelle : la prescription de la faute, visée à l’article L1332-4 du Code du travail.

La prescription du fait fautif.

Aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l’engagement de poursuites disciplinaires au-delà d’un délai de deux mois à compter du jour où l’employeur en a eu connaissance (à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l’exercice de poursuites pénales) [2].

Il est opportun de rappeler ici que, si l’employeur dispose d’un délai de deux mois pour agir, son action doit emporter « engagement de poursuites disciplinaires », et non pas forcément achèvement de la procédure disciplinaire.

Il lui appartient donc, dans ce délai :
- soit de notifier la mesure disciplinaire (pour les sanctions mineures n’imposant pas la tenue d’un entretien préalable) ;
- soit d’adresser au salarié fautif une convocation à un entretien préalable.

En ce début d’année, la Cour de cassation était appelée à expliciter la notion d’ « employeur » au sens de l’article susvisé.

Faits.

- Un salarié avait, du point de vue de son employeur, commis une faute. S’agissant d’un litige portant sur une question de prescription, il est opportun de dresser ici une présentation chronologique des faits :

- Le salarié tient, le 18 juillet 2015, des propos « fautifs » envers son manager. Précisons à ce stade que le manager n’avait pas compétence pour engager une action disciplinaire [3].

- Un autre responsable, investi quant à lui du pouvoir disciplinaire, est informé de ces faits par le manager en date du 26 septembre 2015.

- Le salarié est, le 23 octobre 2015, convoqué à un entretien préalable. L’envoi de cette convocation acte l’engagement des poursuites disciplinaires, au sens de l’article L1332-4 du Code du travail.

L’entreprise faisait observer que le responsable hiérarchique du salarié n’était pas investi du pouvoir disciplinaire et, consécutivement, qu’il n’avait pas la qualité d’employeur au sens de l’article L1332-4 du Code du travail. Elle situait le point de départ du délai de deux mois à la date à laquelle les faits avaient été portés à la connaissance d’une autorité pouvant, elle, engager l’action disciplinaire (c’est-à-dire au 26 septembre 2015).

Une cour d’appel avait fait sienne ce raisonnement et considéré, de fait, que l’engagement de la procédure disciplinaire avait valablement pu intervenir le 23 octobre 2015.

Décision.

Ce raisonnement n’a pas été approuvé par la Cour de cassation [4].

La Chambre sociale a considéré que l’employeur, au sens de l’article L1332-4 du Code du travail, s’entendait

« non seulement du titulaire du pouvoir disciplinaire mais également du supérieur hiérarchique du salarié, même non titulaire de ce pouvoir  ».

En d’autres termes, la connaissance du fait fautif par le manager du salarié marque le point de départ du délai de deux mois, sans qu’il ne soit nécessaire de vérifier que ce manager avait compétence pour engager des poursuites disciplinaires [5].

Il est heureux que le juge suprême n’ait pas retenu la solution inverse. Considérer, comme le soutenait la cour d’appel, que l’information d’un manager sans autorité disciplinaire ne déclenchait pas la prescription aurait, de facto, permis à un employeur malicieux de reporter aux « calendes grecques » l’engagement des poursuites disciplinaires.

Maître du temps, l’employeur aurait disposé de tout le temps nécessaire pour soigner et parfaire son dossier. Quant au salarié, il lui aurait fallu supporter la menace imprévisible donc intimidante d’une « épée de Damoclès » pouvant frapper à tout moment sous la forme d’une lettre avec accusé de réception.

A retenir.

- Aucune faute ne peut donner lieu à l’engagement d’une procédure disciplinaire au-delà d’un délai de deux mois.

- Ce délai de deux mois démarre à la date où l’employeur a eu connaissance de la faute.

- Pour l’application de cette prescription, le supérieur hiérarchique du salarié (même non investi du pouvoir disciplinaire) est assimilé à l’employeur.

Mehdi Djaghloul Responsable des relations sociales

[1Article L1331-2 du Code du travail : « Les amendes ou autres sanctions pécuniaires sont interdites. Toute disposition ou stipulation contraire est réputée non écrite ».

[2Article L1332-4 du Code du travail.

[3Ce fait ne doit pas étonner le lecteur. En pratique, dans les entreprises de taille importante, l’action disciplinaire relève bien souvent de la compétence exclusive des Ressources humaines.

[4Cour de cassation, Chambre sociale, 18 janvier 2023, n° 21-20.645.

[5Voir aussi : Cour de cassation, Chambre sociale, 23 juin 2021, 20-13.762 ; Cour de cassation, Chambre sociale, 18 novembre 2020, 19-14.511.

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