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La rente AT/MP ne répare pas le déficit fonctionnel permanent. Par Vincent Levaufre-Houis, Avocat.
Parution : vendredi 3 février 2023
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Par un arrêt inédit et publié au rapport, l’Assemblée plénière de la Cour de cassation vient d’opérer un revirement majeur de sa jurisprudence en matière d’indemnisation du dommage corporel.
Ainsi, la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle (rente AT/MP) n’est plus considérée par la Cour de cassation comme réparant le déficit fonctionnel permanent (Assemblée Plénière, 20 janvier 2023, n°21-23.947).
Cet arrêt, rendu en matière de faute inexcusable de l’employeur, a vocation à s’étendre à tous les cas de réparation d’un dommage corporel.

Il convient de rappeler que selon les articles L434-1, R434-1 et L434-2 du Code de la sécurité sociale, la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle atteinte d’une incapacité permanente au moins égale à 10% a droit au versement d’une rente dont le montant est égal au salaire annuel de référence multiplié par le taux d’incapacité, lequel peut être réduit ou augmenté en fonction de la gravité.

Selon l’article L452-3 du Code de la sécurité sociale, outre la majoration de sa rente, la victime a droit de demander à l’employeur la réparation du préjudice causé par ses souffrances endurées, de ses préjudices esthétique et d’agrément ainsi que l’indemnisation de la perte ou la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle.

L’interprétation de l’article L452-3 du Code de la sécurité sociale a donné lieu à une jurisprudence abondante, mais surtout à une décision du Conseil constitutionnel en date du 18 juin 2010 [1] et selon laquelle la victime d’une faute inexcusable de l’employeur peut prétendre à l’indemnisation de tous ses préjudices non couverts par le livre IV du Code de la sécurité sociale.

Depuis 2009, la Cour de cassation jugeait systématiquement que la rente versée à la victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle indemnise, d’une part, les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle de l’incapacité et, d’autre part, le déficit fonctionnel permanent [2].

La réparation distincte des souffrances physiques et morales de la victime n’était admise qu’à condition qu’il soit démontré que celles-ci n’ont pas été déjà indemnisées au titre du déficit fonctionnel permanent [3].

De son côté, le Conseil d’Etat juge de manière constante que la rente d’accident du travail ou de maladie professionnelle doit être regardée comme ayant exclusivement pour objet de réparer, forfaitairement, les préjudices subis par la victime dans sa vie professionnelle en conséquence de l’accident, soit uniquement les pertes de gains professionnels et l’incidence professionnelle. Ainsi, le recours subrogatoire de la caisse ne peut s’exercer que sur ces deux postes à l’exclusion de tout poste de préjudice personnel, dont le déficit fonctionnel permanent [4].

Par son arrêt du 20 janvier 2023, la Cour de cassation aligne ainsi sa jurisprudence sur celle du Conseil d’Etat et fait avancer le droit à réparation des victimes de façon majeure.

Cette décision emporte effectivement deux conséquences directes et non négligeables :
- Les victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle causée par la faute inexcusable de leur employeur pourront ainsi solliciter l’indemnisation de leur déficit fonctionnel permanent, ce qui était exclu jusqu’alors ;
- Dans tous les cas d’accidents ouvrant droit à réparation pour les victimes, les Caisses d’assurance maladie ne pourront plus solliciter l’imputation de la rente ainsi versée sur le montant revenant à la victime au titre de son déficit fonctionnel permanent, l’imputation se fera ainsi exclusivement sur les postes de perte de gains professionnels et incidence professionnelle.

Vincent Levaufre-Houis Avocat au barreau de Rouen Indemnisation du dommage corporel https://www.avocats-dethier.fr/

[1Décision n°2010-8 QPC du 18 juin 2010.

[2Crim., 19 mai 2009, n008-86.050 et 08-86.485 ; Civ. 2ème, 11 juin 2009, n°08-17.581.

[3Civ. 2ème, 28 février 2013, n°11-21.015.

[4CE, section, avis, 8 mars 2013 n°361273 ; CE, 23 décembre 2015, n°374628 ; CE, 18 octobre 2017, n°404065.