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Accident complexe et implication d’un véhicule à l’arrêt. Par Charles Merlen, Avocat.
Parution : vendredi 3 février 2023
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Au travers d’un arrêt rendu le 15 décembre 2022 (Cass. 2e Civ. 15 déc. 2022 n°21-11.423), la Cour de cassation a pu réaffirmer la définition extrêmement large qu’elle livre de la notion d’implication dans un accident de la circulation. Cette décision fut également l’occasion pour la cour de confirmer la définition qu’elle a adoptée de l’accident complexe.

L’article premier de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 tendant à l’amélioration de la situation des victimes d’accident de la circulation et à l’accélération des procédures d’indemnisation, dite loi Badinter, prévoit que

« Les dispositions du présent chapitre s’appliquent, même lorsqu’elles sont transportées en vertu d’un contrat, aux victimes d’un accident de la circulation dans lequel est impliqué un véhicule terrestre à moteur (...) ».

La notion d’implication dans le cadre d’un accident complexe (appelé couramment carambolage) s’est retrouvée au cœur d’un arrêt rendu par la Cour de cassation le 15 décembre 2022 [1].

Dans cette affaire une personne, qui roulait en scooter, avait été percutée par un premier véhicule. Le conducteur du scooter avait ensuite atterri sur le capot d’un deuxième véhicule, son deux-roues terminait sa course, sans pilote, en heurtant un troisième véhicule en stationnement.

Le troisième véhicule était régulièrement stationné, à une vingtaine de mètres du premier choc, n’était pas entré en contact avec la victime et n’avait provoqué aucun dégât matériel.

Une cour d’Appel, saisie de cette affaire, avait rejeté les demandes dirigées contre l’assurance du troisième véhicule. La juridiction du second degré avait estimé qu’un véhicule ne peut être impliqué au sens de la loi du 5 juillet 1985 que s’il est intervenu, d’une manière ou d’une autre, dans l’accident, ou a joué un rôle quelconque dans sa réalisation.

La Cour de cassation a censuré cette analyse de la cour d’Appel. La Haute juridiction a estimé que les collisions successives avaient constitué un accident complexe dans lequel le troisième véhicule était impliqué.

Implication d’un véhicule dans un accident complexe : état de la jurisprudence.

La notion d’implication a toujours été entendue dans un sens large. Les débats préparatoires au Sénat de la loi n°85-677 du 5 juillet 1985 relevaient qu’« on ne devrait pas avoir à discuter du rôle causal ou non, actif ou passif du véhicule pour déterminer le champ d’application du texte » [2].

La jurisprudence a suivi la volonté du législateur et considère qu’un véhicule est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il y a « joué un rôle quelconque dans la réalisation de l’accident » [3].

Dans le cadre d’accidents complexes, la notion d’implication peut se compliquer. Dans de tels circonstances de faits, la jurisprudence retient encore une acception étendue de la notion d’implication.

Il a ainsi déjà été jugé que trois véhicules, qui étaient venus s’encastrer dans une dépanneuse à l’arrêt, étaient tous impliqués dans l’accident subis par la dépanneuse, quand bien même le dernier des ces trois véhicules n’avait causé que de légers dégâts matériels [4].

La Cour de cassation considère qu’un véhicule à l’arrêt, heurté par une victime elle-même projetée par un autre véhicule, est impliqué dans l’accident [5].

Toujours dans le cadre d’un accident complexe, la jurisprudence a déjà estimé qu’un véhicule était impliqué alors même qu’il n’avait pas été en contact avec la victime [6] ou quand bien même il n’avait joué aucun rôle perturbateur [7].

Une décision à l’image de la jurisprudence antérieure.

Au travers de l’arrêt du 15 décembre 2022, la Cour de cassation a offert un rappel des précédentes décisions évoquées plus haut.

Il est tout d’abord intéressant de relever que la cour a, une fois encore ici, livré la formule consacrée selon laquelle

« un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation ».

De plus au regard des faits d’espèce on peut retenir que l’absence de contact entre le véhicule et la victime n’exclut pas l’implication de ce véhicule. On peut également relever que l’absence de dommages matériels causés par le véhicule n’a pas permis d’exclure son implication.

On voit également, au travers de cette décision, que le fait qu’un véhicule soit régulièrement stationné et immobile ne permet pas d’exclure son implication dans un accident complexe de la circulation.

Implication : une définition à revoir ?

Au regard de ce rappel et des jurisprudences déjà citées on peut estimer que la formule « dans sa réalisation » issue de la phrase « un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il a joué un rôle quelconque dans sa réalisation » est superflue.

En effet le troisième véhicule, dont l’implication a été retenue, n’a joué aucun rôle dans la survenance de l’accident. Il n’a pas non plus été en contact avec la victime et n’a pas aggravé les préjudices matériels. Si le véhicule impliqué n’avait pas été garé là, l’accident aurait eu lieu et ses conséquences auraient été tout à fait identiques.

La formule « un véhicule terrestre à moteur est impliqué dans un accident de la circulation dès lors qu’il y a joué un rôle » pourrait donc suffire.

Une définition de l’accident complexe réaffirmée.

Au-delà des rappels de la jurisprudence actuelle cette décision livre encore une définition de l’accident complexe.

L’accident complexe, appelé dans le langage courant carambolage, est défini ici comme des « collisions successives intervenus dans un même laps de temps et dans un enchaînement continu ».

La deuxième chambre civile reprend une définition déjà livrée par la Chambre criminelle [8] et par elle-même [9].

Une jurisprudence protectrice des victimes.

Dans la droite ligne de l’esprit de la loi Badinter et de la jurisprudence construite depuis, la Cour de cassation livre, une fois encore, une acception élargie de la notion d’implication d’un véhicule dans un accident de la circulation.

Cette analyse est tout à fait favorable aux victimes d’accidents de la circulation complexes.

Grâce à cette définition élargie de « l’implication », une victime d’accident complexe pourra solliciter l’indemnisation de ses préjudices en direction d’un nombre accru de conducteurs et d’assurances.

Cet état de la jurisprudence facilite les démarches des victimes et leur offre une garantie supplémentaire, si elles se trouvent confrontées à un délit de fuite ou à un véhicule non assuré, de diriger leurs demandes vers une personne solvable et identifiable et d’obtenir réparation de leurs préjudices.

Charles Merlen, Avocat Barreau de Lille www.charles-merlen-avocat.fr

[1Cass. 2e Civ. 15 déc. 2022 n°21-11.423.

[2JO Sénat, 11 avr.1985, p.193.

[3Civ. 2e, 15 mai 1992, n°90-20.322.

[4Cass. 2e Civ. 24 juin 1998 n° 96-20.575.

[5Cass.2e Civ. 6 janvier 2000 n° 97-21.360 et 24 février 2000 n° 98-18.448.

[6Cass. 2e Civ. 11 septembre 2014 / n° 13-22.104.

[7Cass. 2e Civ. 29 mars 2018 n° 17-10.976 et n° 17-11.198.

[8Cass. Crim. 3 mai 2017 n°16-84.485.

[9Cass. 2e Civ. 17 janvier 2019 n°18-11.320 et 18-11.440.