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La nullité du licenciement : motifs et conséquences. Par Florent Suxe, Avocat.
Parution : samedi 4 février 2023
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le licenciement nul est un licenciement injustifié. La différence réside dans la nature des motifs injustifiés du licenciement, qui, alors, révèle une faute de l’employeur d’une particulière gravité, que le législateur a érigé en motif d’annulation du licenciement.

La nullité du licenciement : différences et motifs.

Différence avec le licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Tout comme le licenciement sans cause réelle et sérieuse, le licenciement nul est un licenciement injustifié. La différence réside dans la nature des motifs injustifiés du licenciement, qui, alors, révèle une faute de l’employeur d’une particulière gravité, que le législateur a érigé en motif d’annulation du licenciement.

Différence avec l’irrégularité de la procédure de licenciement.

La nullité du licenciement en lui-même ne doit pas être confondue avec l’invalidité de la procédure de licenciement résultant de la violation par l’employeur, au préjudice du salarié, des règles de forme et garanties entourant le processus de licenciement (convocation à l’entretien individuel, respect des délais prévus, respect du droit du salarié d’être assisté…) [1].

L’irrégularité de la procédure de licenciement n’emporte pas la nullité du licenciement, qui demeure valable si les motifs du licenciement le sont aussi.

Sur le plan indemnitaire, les sommes en jeu pour la réparation du préjudice découlant de l’irrégularité de la procédure de licenciement sont nettement inférieures à celles susceptibles d’être allouées au salarié, victime d’un licenciement nul. Elles ne peuvent être supérieures à un mois de salaire.

Les motifs de nullité du licenciement.

Les motifs de nullité sont expressément prévus au deuxième alinéa de l’article L1235-3-1 du Code du travail et sont :
- La violation d’une liberté fondamentale ;
- Le harcèlement moral ou sexuel [2] ;
- Le licenciement discriminatoire [3] ;
- Le licenciement consécutif à une action en justice, en matière d’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes [4] ou à une dénonciation de crimes et délits ;
- Le licenciement intervenu en méconnaissance des protections accordées au salarié protégé par l’exercice de son mandat [5], aux femmes enceintes, aux salariés en congé de maternité ou de paternité et au salarié victime d’un accident de travail [6].

Cette liste des causes de nullités du licenciement édictées par le Code du travail est en principe limitative, ainsi que l’a récemment rappelé la jurisprudence, estimant par exemple que le défaut d’organisation de l’entretien professionnel au retour du congé de maternité d’une salariée ne figurait pas au nombre des causes de nullité du licenciement visées par l’article L1235-3-1 du Code du travail [7].

La violation d’une liberté fondamentale elle-même est une notion faisant l’objet d’une interprétation stricte.

Quelques illustrations jurisprudentielles.

- Le juge doit annuler le licenciement qui trouve sa cause dans la tenue de propos d’un salarié révélant un exercice non abusif de sa liberté d’expression [8].

- Le licenciement d’un salarié prononcé pour avoir relaté ou témoigné, de bonne foi, de faits dont il a eu connaissance dans l’exercice de ses fonctions et qui, s’ils étaient établis, seraient de nature à caractériser des infractions pénales ou des manquements à des obligations déontologiques prévues par la loi ou le règlement, est frappé de nullité, comme contraire à la liberté d’expression, en particulier au droit pour les salariés de signaler les conduites ou actes illicites constatés par eux sur leur lieu de travail [9].

- La jurisprudence ajoute que la seule référence dans la lettre de rupture à une procédure contentieuse envisagée par le salarié qui a menacé l’employeur d’entamer des procédures à l’encontre de la société, est constitutive d’une atteinte à la liberté fondamentale d’ester en justice entraînant à elle seule la nullité de la rupture. En l’espèce, le salarié s’était estimé victime de harcèlement moral et avait signifié à l’employeur son intention d’exercer une action à son encontre [10].

- Lorsqu’un accident du travail donnant lieu à arrêt de travail est survenu avant l’arrivée du terme d’un contrat de mission alors que celui-ci a postérieurement été requalifié en contrat à durée indéterminée, la jurisprudence récente estime que la rupture du contrat de travail a trouvé sa cause dans l’accident du travail et non dans l’arrivée du terme de sorte que la rupture étant intervenue à un moment où le contrat était suspendu, celle-ci ne pouvait intervenir valablement que si l’employeur justifiait soit d’une faute grave de l’intéressé, soit de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à l’accident ou à la maladie [11]. Faute de caractériser l’un de ces éléments, le licenciement était nul [12].

Important : N’oublions pas que nombreux sont les motifs de nullité du licenciement qui permettent au salarié de prendre acte de la rupture de son contrat de travail aux torts de l’employeur et de bénéficier des indemnités prévues à l’alinéa 1er de l’article L1235-3-1 du Code du travail [13].

Les conséquences d’un licenciement nul.

Indemnité minimale bien plus élevée et déplafonnée au bénéfice du salarié non réintégré !

Lorsque le licenciement est nul, rappelons que l’article L1235-3 du Code du travail n’est pas applicable.

Ainsi, l’indemnisation n’intervient pas dans les conditions du droit commun de l’article L1235-3 et des barèmes dits « Macron » qui prévoient au bénéfice du salarié qui n’est pas réintégré :
- des planchers ; le plancher des 0,5 à 3 mois de salaire est remplacé par les salaires des six derniers mois, quelle que soit l’ancienneté du salarié ;
- des plafonds. Le préjudice du salarié est réparé intégralement.

Notons toutefois qu’en cas de pluralité des motifs de licenciement, le juge doit tous les examiner pour en tenir compte dans l’évaluation des indemnisations à allouer [14]. Le juge peut ainsi être amené à modérer (et non à plafonner) l’indemnité allouée si l’un des motifs de licenciement est fondé, sans pouvoir aller en dessous du plancher minimal des six derniers mois de salaires [15].

Solution alternative : Réintégration du salarié avec indemnité d’éviction couvrant la période du licenciement à la réintégration du salarié.

Lorsque le licenciement est nul, le salarié a le droit d’être réintégré dans son emploi ou à défaut dans un emploi équivalent (sauf si sa réintégration est matériellement impossible).

Auquel cas, une indemnité dite « d’éviction » correspondant aux salaires qu’il aurait perçus s’il n’avait pas été licencié et avait travaillé durant la période comprise entre son licenciement et sa réintégration effective, lui est allouée.

Il faut toutefois déduire de cette indemnité les revenus de remplacement ou les salaires perçus par le salarié d’un autre employeur pendant cette période [16].

Notons que cette règle est écartée lorsque la nullité de son licenciement découle de la violation d’un principe de valeur constitutionnelle ou d’une liberté garantie par la Constitution [17].

Ainsi par exemple.

- lorsque le licenciement d’un salarié est intervenu en violation du droit d’ester en justice à l’encontre de son employeur, prévu par l’alinéa premier du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 et l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen du 26 août 1789 [18].

- lorsque le licenciement est intervenu en raison d’une discrimination liée à l’état de santé du salarié. Ce qui n’est pas nécessairement le cas lorsque le salarié a été licencié en violation de la protection accordée par les articles L1226-9 et L1226-13 du Code du travail au salarié victime d’un accident du travail [19].

Attention toutefois à ne pas demander trop tardivement sa réintégration. Auquel cas, si le juge constate un retard abusif, le salarié n’a le droit qu’à la rémunération qu’il aurait perçue du jour de sa demande de réintégration à celui de sa réintégration effective [20].

N’oublions pas enfin que les salariés protégés que sont, ceux qui exercent un mandat représentatif du personnel ou encore, les femmes enceintes et pères et mères en congé maternité ou paternité, licenciés en méconnaissance de la protection qui leur est accordée, ont le droit de solliciter d’une part une indemnité pour nullité de licenciement, mais également de percevoir les salaires couvrant la période couverte par la nullité - ainsi que les indemnités de licenciement, légales, conventionnelles voire contractuelles - et ce, même s’ils ne demandent pas à être réintégrés.

Les obstacles à la réintégration.

Sauf impossibilité matérielle de réintégration, il ne peut être refusé au salarié, ni sa réintégration, ni l’indemnité d’éviction à laquelle il a droit [21].

Quelques illustrations jurisprudentielles.

- (non) : le simple fait pour le salarié d’être entré au service d’un autre employeur ne peut le priver de son droit à réintégration [22].

- (oui) : évidemment, la disparition de l’entreprise fait obstacle à la réintégration du salarié [23].

- (oui) si le salarié sollicite concomitamment la résiliation judiciaire de son contrat de travail. En l’espèce, le salarié s’estimant victime de harcèlement moral, avait sollicité la résiliation judiciaire de son contrat de travail aux torts exclusifs de l’employeur et avait fait l’objet d’un licenciement pour cause réelle et sérieuse, l’employeur estimant que les accusations du salarié étaient infondées. Même si les accusations du salarié ont été jugées infondées, générant le rejet de sa demande de résiliation judiciaire du contrat de travail, le licenciement du salarié a été jugé nul, faute pour ce dernier de démontrer que le salarié avait porté ces accusations de mauvaise foi [24].

- (oui) En respect de son obligation de sécurité, l’employeur ne peut réintégrer un salarié bénéficiant d’une protection contre le licenciement et dont l’autorisation de licenciement a été annulée, lorsque celui-ci était le supérieur hiérarchique des autres salariés de l’entreprise, qui soutenaient avoir été victimes du harcèlement moral de ce dernier et avaient, à ce titre, exercé leur droit de retrait [25].

Sur quel poste le salarié est-il réintégré ?

La réintégration du salarié doit normalement se faire dans le même emploi ou, lorsque qu’il n’existe plus ou est occupé, dans un emploi « équivalent ».

Il doit s’agir d’un emploi offrant le même niveau de rémunération, la même qualification et les mêmes perspectives de carrière au salarié, et qui lui permettent l’exercice d’un mandat représentatif le cas échéant.

Cette obligation doit s’effectuer de façon loyale, l’employeur ne pouvant, par exemple, utiliser des procédés dilatoires pour licencier son salarié après l’écoulement de la période de protection dont bénéficiait le salarié au motif qu’il a, à cette issue, refusé plusieurs propositions de réintégration qui entraînaient une modification de son lieu de travail (modification qu’il était en droit de refuser durant la période de protection) [26].

Délais de prescription de l’action.

En matière prud’hommale, le délai de prescription de l’action dépend de la nature des faits invoqués par le salarié au soutien de ses prétentions. Deux illustrations :

- Lorsque le salarié soutient être victime de harcèlement moral, son action en réparation est enfermée dans le délai de prescription de droit commun de 5 ans [27] à compter du jour où le titulaire d’un droit a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l’exercer. Il s’agit de la date de notification du licenciement [28].

- Lorsque le salarié soutient être victime d’une discrimination, son action en réparation n’est possible que dans les 5 ans qui suivent la révélation des faits [29].

Florent Suxe Avocat au barreau de Paris https://florent-suxe-avocat.fr/

[1Articles L1232-2, L1232-3, L1232-4, L1233-11, L1233-12 et L1233-13 du Code du travail.

[2Dans les conditions prévues aux articles L1152-3 et L1153-4 du Code du travail.

[3Dans les conditions des articles L1134-4 et L1132-4 du Code du travail.

[4Dans les conditions mentionnées à l’article L1144-3 du Code du travail.

[5Au sens des articles L2411-1 et L2412-1 du Code du travail.

[6Les protections sont celles visées aux articles L1225-71 et L1226-13 du Code du travail.

[7Cass, soc, 7 juillet 2021 - pourvoi n° 21-70011.

[8Cass, soc, 16 février 2022 - pourvoi n° 19-17871.

[9Cass, soc, 19 janv. 2022, n° 20-10057.

[10Cass. soc, 21 nov. 2018, pourvoi n° 17-11122

[11Article L1226-9 du Code du travail. S’agissant du CDD, l’article L1226-18 du Code du travail évoque, en lieu et place du « motif étranger à l’accident ou à la maladie » le « cas de force majeure ».

[12Cass. soc., 17 février 2021, pourvoi n° 18-15972.

[13Article L1235-3-2 du Code du travail.

[14Article L1235-2-1 du Code du travail.

[15Cass, soc, 19 octobre 2022, pourvoi n° 21-15533.

[16Cass, soc, 3 juillet 2003, pourvoi n° 01-44522 ; Cass, soc, 14 décembre 2016, pourvoi n° 14-21325.

[17Cass, soc, 2 février 2006, pourvoi n° 03-47481.

[18Cass, soc, 21 novembre 2018, pourvoi n° 17-11122.

[19Cass. soc, 16 oct. 2019, pourvoi n° 17-31624.

[20Cass, soc, 13 janvier 2021, pourvoi n° 19-14050.

[21Cass, soc, 25 mars 2015, pourvoi n° 14-10956.

[22Cass, soc, 10 février 2021, n° 19-20397.

[23Cass, soc, 24 juin 1998, pourvoi n° 95-44757.

[24Cass, soc, 27 janvier 2021, n° 19-21200.

[25Cass, soc, 1er décembre 2021, pourvoi n° 19-25715.

[26Cass. Soc, 5 décembre 2018, pourvoi n° 16-19912.

[27Article 2224 du Code civil.

[28C.Cass, soc, 9 juin 2021, n°19-21931.

[29Article L1134-5 du Code du travail.