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Se pourvoir en cassation par devant la Chambre criminelle sans avocat : délais et formalisme. Par Samy Merlo, Élève-Avocat.
Parution : vendredi 3 février 2023
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Contrairement aux chambres civiles, sociale et commerciale de la Cour de cassation, et contrairement au Conseil d’État, le ministère d’un avocat n’est jamais obligatoire pour se pourvoir en cassation par devant la Chambre criminelle, en matière pénale [1]. Le justiciable a donc tout intérêt à connaître les délais et formalisme pour ce faire. Mode d’emploi.

Rappelons tout d’abord que le justiciable n’a jamais le droit de prendre la parole lors des audiences devant la Cour de cassation (quelle que soit la chambre) ou le Conseil d’État.

Les seules personnes ayant ce privilège sont les avocats.

Tous les avocats ?

Non : uniquement une toute petite poignée d’entre eux [2] ayant reçu une formation spécifique, inscrits dans un barreau tout aussi spécifique, à savoir les avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, également appelés « avocats aux Conseils ».

Mais il n’est pas ici question de prendre la parole, et pour cause : la procédure est strictement écrite une fois arrivée en cassation.

Le demandeur au pourvoi dépose son mémoire, un conseiller désigné à cet effet rend un rapport assorti d’un avis sur l’issue du litige, le Ministère public, et parfois le défendeur, déposent leurs conclusions à leur tour, avec à chaque fois la possibilité pour le demandeur de répliquer par de « brèves observations écrites » [3].

Quel est donc l’intérêt de plaider oralement en cassation ?

A peu près aucun, si bien que les avocats aux Conseils eux-mêmes ne se rendent jamais aux audiences de la Cour de cassation, à de rares exceptions près [4].

Point vocabulaire.

Par devant la Chambre criminelle, on appelle « mémoire » le document sur lequel sont rédigés les moyens dont se prévaut le justiciable, ainsi que ses prétentions subséquentes [5].

Le mémoire est « ampliatif » lorsqu’il est rédigé - et signé - par un avocat aux Conseils pour le compte du demandeur.

Le mémoire est « personnel » lorsqu’il est rédigé par toute personne, autre qu’un avocat aux Conseils, pour le compte du demandeur.

Le mémoire est « en défense » lorsqu’il est rédigé - et signé - par un avocat aux Conseils pour le compte du défendeur. En effet, ce dernier, contrairement au demandeur, n’a jamais la possibilité de déposer de mémoire personnel.

Enfin, si le justiciable entend contester la constitutionnalité d’un texte de loi applicable à son litige, il doit déposer, même pour la première fois en cassation, un mémoire « spécial QPC » [6] dans des délais et dans un formalisme rigoureusement identiques à ceux du mémoire « au fond » contenant les moyens de cassation.

Tout mémoire, quel qu’il soit, peut être complété par un ou plusieurs mémoires « additionnels », aussi longtemps que les délais impartis n’ont pas expiré et suivant le même formalisme.

Pourquoi déposer un mémoire personnel par devant la Chambre criminelle ?

Tout d’abord parce qu’il n’y a aucun état d’âme à avoir à ne pas prendre la parole à l’audience : ainsi qu’on l’a vu, les avocats aux Conseils eux-mêmes ne s’y rendent pas, la procédure se fait uniquement à l’écrit.

Ensuite, parce-que les honoraires d’un avocat aux Conseils ne sont clairement pas à la portée de toutes les bourses : compter au minimum 3 000 euros TTC pour un seul pourvoi.

Pour cette raison, le demandeur peut préférer opter pour une solution plus économique en s’adressant, par exemple, à un juriste pour rédiger un mémoire personnel à un prix abordable.

Et l’aide juridictionnelle ?

Ainsi que nous l’expliquions et le déplorions dans un précédent article (De l’admission des pourvois et de l’objectif de bonne administration de la (l’in ?)justice), non seulement les critères économiques pour y avoir droit sont si restrictifs qu’ils laissent énormément de justiciables aux revenus modestes sur le carreau, mais il vient encore s’ajouter un second critère, à savoir que le Bureau d’aide juridictionnelle (« BAJ ») doit pouvoir relever un « moyen de cassation sérieux », sans quoi cette aide ne sera pas accordée.

Or, l’analyse du BAJ n’est pas nécessairement celle de la cour.

Autrement dit, le demandeur se retrouve tributaire d’une analyse juridique potentiellement erronée en sa défaveur de la part du BAJ, alors que la cour pourrait lui donner gain de cause.

Dès lors, il a tout intérêt à déposer un mémoire personnel, même bancal, dans l’incertitude de savoir si l’aide juridictionnelle lui sera accordée.

Car en effet, s’il attend que l’aide juridictionnelle lui soit refusée, il sera hors délai pour déposer un mémoire personnel, sauf dérogation dans certaines hypothèses [7].

Enfin, dernière raison et non la moindre : les mémoires personnel et ampliatif sont cumulables !

Lorsqu’un malade sollicite l’avis de deux médecins différents, si les deux avis divergent, il sera bien obligé de choisir l’un ou l’autre des deux traitements proposés.

Mais lorsqu’un justiciable consulte, tout à la fois, un juriste pour déposer un mémoire personnel, et un avocat aux Conseils pour déposer un mémoire ampliatif, les deux sont recevables et la cour doit analyser chacun d’entre eux, cumulativement, si bien que les lacunes de l’un pourront être compensées par l’autre.

En aucun cas l’un n’« annule » l’autre, et il n’est absolument pas préjudiciable que les moyens soulevés dans le second fassent « doublon » avec ceux du premier [8].

Et, de fait, s’il est clair que les avocats aux Conseils sont des professionnels du droit extrêmement compétents, ils n’en demeurent pas moins faillibles, comme tout être humain, et leur responsabilité civile professionnelle est susceptible d’être engagée, comme pour tout avocat, en cas d’omission à soulever un moyen pertinent.

Aussi, pour minimiser les probabilités d’un scénario aussi fâcheux, il n’est pas superflu de solliciter une analyse indépendante de celle de l’avocat aux Conseils.

En résumé, le dépôt d’un mémoire personnel intéresse donc tout demandeur au pourvoi, avec ou sans l’assistance d’un avocat aux Conseils, avec ou sans l’aide juridictionnelle.

Comment déposer son mémoire personnel, dans quels délais et avec quel formalisme ?

Première étape : déclarer son pourvoi.

Le demandeur, quel qu’il soit, commence par déclarer son pourvoi dans un délai :
- de cinq jours francs en principe,
- ou trois jours francs dans les cas énumérés à l’article 568-1 du Code de procédure pénale [9].

Ce délai court à compter du jour où la décision est rendue.

Dans certains cas, il court à compter du jour où la décision est signifiée par huissier de justice [10].

S’agissant d’un délai « franc », le premier jour est celui du lendemain du point de départ. Si le dernier jour est un samedi, dimanche ou jour férié, le délai est prorogé au jour ouvrable suivant.

Dans le doute, y procéder le plus rapidement possible.

Attention : la demande d’aide juridictionnelle ne suspend pas les délais de pourvoi en matière pénale ! [11].

Pour déclarer son pourvoi, le demandeur doit se rendre en personne au greffe de la juridiction ayant rendu la décision attaquée, s’il est libre.

S’il est détenu, il doit s’adresser au chef de l’établissement pénitentiaire.

Le demandeur signe la déclaration, et le greffier lui en délivre copie.

Alternativement, la déclaration de pourvoi peut aussi être effectuée - et signée - par un avocat du barreau de la juridiction, ou par un fondé de pouvoir spécial, le pouvoir étant alors annexé à la déclaration.

Une fois cette diligence accomplie, une copie doit être adressée à chacune des parties en cause, y compris le ministère public, par courrier recommandé avec accusé de réception, ceci dans un délai de trois jours, au risque que la partie ne l’ayant pas reçue ne fasse opposition [12] [13].

Pour résumer.

Le demandeur procède à la déclaration de pourvoi :
- dans un délai de cinq jours, ou seulement trois dans certains cas prévus par la loi,
- à compter de la décision, ou de la signification par huissier de justice dans certains cas prévus par la loi,
- en se rendant au greffe en personne ou par l’intermédiaire d’un avocat ou d’un fondé de pouvoir spécial,
- puis il transmet copie de la déclaration à toutes les parties par courrier recommandé avec avis de réception.

Seconde étape : rédiger son mémoire personnel.

Le mémoire personnel est rédigé :
- en langue française,
- sur papier libre,
- en autant d’exemplaires qu’il y a de parties en cause [14].

En pratique, compter trois exemplaires.

Il peut être rédigé par, littéralement, n’importe qui : le demandeur lui-même [15], un avocat, un juriste, un parent, un ami, un proche …

Le rédacteur peut tout à fait se faire (re)connaître, par exemple en apposant son logo en en-tête.

Toutefois, quelle que soit la personne qui rédige, chaque exemplaire devra impérativement comporter la signature manuscrite du justiciable en personne au bas de la dernière page [16].

Il ne peut en aucun cas s’agir d’une signature reproduite [17], ni électronique, ni numérisée [18].

Autrement dit, le demandeur doit signer physiquement, de sa propre main, à même le mémoire.

Si le demandeur est une personne morale, le mémoire doit non seulement être signé, pareillement, de la main de son représentant [19], mais il doit encore comporter explicitement le nom de cette personne et sa qualité de représentant [20].

Pour résumer.

Le mémoire personnel est rédigé :
- en trois exemplaires,
- par n’importe qui,
- et comporte la signature manuscrite du justiciable en personne, au bas de la dernière page.

Troisième et dernière étape : déposer son mémoire personnel.

En toute hypothèse, le demandeur, quel qu’il soit, peut déposer son mémoire personnel au greffe de la juridiction ayant rendu la décision attaquée, soit en même temps qu’il effectue sa déclaration de pourvoi, soit dans un délai de dix jours à compter de la déclaration [21].

Attention : il s’agit d’un délai non franc [22], ce qui signifie que le premier jour est celui où la déclaration est effectuée, et non le lendemain.

Si le dernier jour tombe un samedi, dimanche ou jour férié, le délai est-il prorogé au jour ouvrable suivant ?

Sauf erreur, aucune jurisprudence n’existe à ce jour. Mieux vaut donc ne pas prendre le risque.

Par ailleurs, il s’agit bien d’un dépôt en mains propres au greffe, et non d’un envoi postal [23].

La remise du mémoire au greffe peut être le fait du demandeur en personne ou de son représentant.

Passé ce délai, plus aucun mémoire ne peut être déposé au greffe de cette juridiction par quiconque.

En revanche, il reste encore possible, pour certains demandeurs, d’adresser leur mémoire personnel au greffe de la Cour de cassation, par voie postale ou en mains propres.

Cette possibilité n’est toutefois offerte que dans un nombre restreint d’hypothèses, à savoir lorsque le demandeur :
- soit est condamné pénalement, non dispensé de peine [24] ;
- soit conteste sa détention provisoire [25] ;
- soit conteste une ordonnance de mise en accusation ou de renvoi devant le Tribunal correctionnel [26] ;
- soit est partie civile ou prévenu condamné civilement ou pénalement en matière de délits de presse. [27].

Le mémoire doit parvenir au greffe de la Cour de cassation au plus tard un mois après la déclaration de pourvoi (soit vingt jours après l’expiration du premier délai dix jours mentionné ci-avant), sauf dérogation accordée par le président de la Chambre criminelle [28].

Un délai de cinq jours à compter de la réception du dossier est également prévu concernant le cas spécifique du mandat d’arrêt européen. [29]

Pour tous les autres, la seule solution restante à ce stade consiste à mandater un avocat aux Conseils.

De même, le défendeur, quel qu’il soit, ne peut jamais déposer de mémoire sans le ministère d’un avocat aux Conseils.

Les mémoires additionnels et QPC obéissent aux mêmes règles [30].

Si le justiciable souhaite déposer de « brèves observations » en réplique, il doit les adresser à la Cour de cassation, là encore en trois exemplaires signés.

Enfin, il appartient au justiciable ou à son avocat d’adresser copie de chaque mémoire à toutes les parties au procès en temps utile, [31] sans quoi la partie ne l’ayant pas reçue pourra former opposition [32] Aucun formalisme n’est prévu à cet égard.

Pour résumer.

Le mémoire personnel est déposé en mains propres au greffe de la juridiction ayant rendu la décision attaquée :
- par tout demandeur,
- en même temps que la déclaration de pourvoi,
- ou dans un délai de dix jours suivant la déclaration.

Le mémoire personnel est transmis, en mains propres ou par voie postale, au greffe de la Cour de cassation :
- par le demandeur condamné pénalement,
- ou détenu provisoirement,
- ou contestant une ordonnance de renvoi aux assises ou en correctionnelle ;
- ou, en matière de presse, par le prévenu condamné pénalement ou civilement ou par la partie civile ;
- après l’expiration du premier délai de dix jours,
- dans un délai d’un mois à compter de la déclaration de pourvoi (soit vingt jours après l’expiration du premier délai) [33] ;
- avec possibilité de prorogation du délai par le président de la Chambre criminelle.

Enfin, une copie est transmise à chacune des parties, en temps utile et sans formalisme particulier.

Samy Merlo, Juriste Mail: [->samy.merlo.juriste@laposte.net]

[1Crimes, délits et contraventions.

[2Environ une centaine.

[3Observations dont l’incidence est très relative, sinon inexistante.

[4Contrairement aux audiences du Conseil d’État, en raison du fait que les conclusions du rapporteur public ne sont justement révélées qu’à l’audience, afin d’en rendre compte à leur client et, si besoin, y répliquer par de « brèves observations » orales ou par une note en délibéré.

[5i.e. la cassation de la décision ayant suscité son mécontentement.

[6« Question prioritaire de constitutionnalité ».

[7Article 585-1 du Code de procédure pénale ; une dérogation pourra aussi lui être accordée pour rémunérer un avocat aux Conseils … avec de l’argent qu’il n’a pas.

[8Exemple : Crim 9 mars 2022 n° 21-83.557.

[9Lequel dispose : " Lorsque la décision attaquée est un arrêt d’une chambre de l’instruction, statuant dans les conditions énoncées au quatrième alinéa de l’article 695-31 ou au quatrième alinéa de l’article 695-46, le délai de pourvoi mentionné au premier alinéa de l’article 568 est ramené à trois jours francs.

Le dossier est transmis, par tout moyen permettant d’en conserver une trace écrite, au greffe de la chambre criminelle de la Cour de cassation dans les quarante-huit heures à compter de la déclaration de pourvoi".

[10Ainsi qu’il est prévu à l’article 568 du Code de procédure pénale : « Le ministère public et toutes les parties ont cinq jours francs après celui où la décision attaquée a été prononcée pour se pourvoir en cassation.

Toutefois, le délai de pourvoi ne court qu’à compter de la signification de l’arrêt, quel qu’en soit le mode :

1° Pour la partie qui, après débat contradictoire, n’était pas présente ou représentée à l’audience où l’arrêt a été prononcé, si elle n’avait pas été informée ainsi qu’il est dit à l’article 462, alinéa 2 ;

2° Pour le prévenu qui a été jugé en son absence, mais après audition d’un avocat qui s’est présenté pour assurer sa défense, sans cependant être titulaire d’un mandat de représentation signé du prévenu ;

3° Pour le prévenu qui n’a pas comparu, soit dans les cas prévus par l’article 410, soit dans le cas prévu par le cinquième alinéa de l’article 411, lorsque son avocat n’était pas présent ;

4° Pour le prévenu qui a été jugé par itératif défaut.

Le délai du pourvoi contre les arrêts ou les jugements par défaut ne court, à l’égard du prévenu, que du jour où ils ne sont plus susceptibles d’opposition. A l’égard du ministère public, le délai court à compter de l’expiration du délai de dix jours qui suit la signification.

Les dispositions de l’article 498-1 sont applicables pour déterminer le point de départ du délai de pourvoi en cassation de la personne condamnée à une peine d’emprisonnement ferme ou à une peine d’emprisonnement assortie d’un sursis partiel ».

[11Contrairement aux matières civiles et administratives (article 44 du décret n° 2020-1717 du 28 décembre 2020).

[12Article 579 du Code de procédure pénale.

[13Oui, y compris au ministère public qui siège au sein de la juridiction où la déclaration de pourvoi a été effectuée, aussi contre-intuitif que cela puisse paraître.

[14Article 585 du Code de procédure pénale.

[15Encore faut-il qu’il ait des connaissances juridiques et qualités rédactionnelles adéquates.

[16Et non sur une feuille à part ; Crim 22 août 2017 n° 17-85.031.

[17Crim 20 décembre 2006 n° 06-84.314.

[18Crim 9 avril 2019 n° 18-82.315.

[19Crim 23 février 1988 n° 87-84.467.

[20Crim 11 mars 1991 n° 89-80.205.

[21Article 584 du Code de procédure pénale.

[22Crim 13 mai 1986 n° 85-91.170

[23Crim 18 décembre 2013 n° 13-80.918.

[24Article 585 du Code de procédure pénale, Crim 12 avril 1988 n° 87-81.374.

[25Article 567-2 du Code de procédure pénale.

[26Article 574-1 du Code de procédure pénale.

[27Article 58 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse, Crim 13 décembre 2016 n° 16-80.812.

[28Article 585-1 du Code de procédure pénale.

[29Article 574-2 du code de procédure pénale.

[30Crim 5 novembre 2014 n° 14-81.366.

[31La copie destinée au ministère public étant déjà incluse dans les trois exemplaires.

[32Article 589 du Code de procédure pénale.

[33Ou dans un délai de cinq jours à compter de la réception du dossier par la Cour de cassation, en matière de mandat d’arrêt européen.

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