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Parlons sérieusement d’intelligence artificielle pour les juristes.
Parution : vendredi 10 février 2023
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On en dit du bien, on en dit du mal, on en a peur ou on a rit... ChatGPT est partout dans les médias et discussions.
Mais regardons un peu plus précisément et concentrons-nous sur le secteur juridique. Quel est l’apport de l’intelligence artificielle (IA) pour les professions du Droit ?

Nous avons profité du rachat récent de Della [1] par Wolters Kluwer, pour discuter d’IA avec Grégoire Miot, spécialiste de la Legaltech chez Wolters Kluwer [2] et nouveau Président du groupe international d’experts ELTA.

Village de la justice : Que peut-on dire, de votre point de vue d’éditeur de solutions et de spécialiste de la Legaltech, de la polémique ou engouement actuel pour ChatGPT et autres outils d’intelligence artificielle ?

Grégoire Miot

Grégoire Miot : Ce débat actuel sur l’IA permet de sensibiliser et d’ouvrir des possibilités de marché, d’améliorer la maturité de la technologie chez tous les acteurs et l’accueil du public. Toutes les innovations sont donc positives.

Concernant ChatGPT par exemple, il nous interpelle sur la façon d’interroger l’information, sur l’amélioration des interfaces, et à terme sur la génération de contenu, qui finalement devient de plus en plus une demande des utilisateurs. Même si aujourd’hui ce n’est pas assez sérieux sur le fond pour des juristes, la demande émergente des utilisateurs ce sont bien des outils proposant davantage d’interactions et d’automatisme, c’est un fait... On s’y dirige.

VJ : Les technologies liées à l’IA existent déjà, en quoi aident-elles les juristes au quotidien (gain de temps, productivité, réduction des coûts...) ?

GM : Le premier cas d’usage sérieux, c’est l’identification de données dans un ou plusieurs contrats pour vérifier, donc récupérer facilement de l’information (dates, limites de responsabilités, durée, engagement de confidentialité...).
Une fois localisée la réponse, il s’agit de répondre plus précisément à des questions (quelle juridiction, montant total du contrat etc).

Ensuite on peut intégrer un grand volume de contrats, indexer d’importants volumes de données, puis envisager une consolidation, pour faire face par exemple aux nouvelles règlementations et à la conformité à respecter, par exemple la publication de la Loi Sapin II qu’il aura fallu anticiper.
Un autre exemple concret : une recherche de contrats dans lequel un sous-traitant est identifié sur le sujet des données personnelles. On peut avoir une sorte de cartographie de ses contrats, des intervenants, de la conformité sur un point précis.

Concernant la fiabilité, sujet qui se pose rapidement, ce n’est pas tant la question : l’IA n’est pas fiable à 100% - comme pour la lecture humaine - mais l’IA est bien plus rapide et moins coûteuse. L’IA pour les juristes s’adresse donc aujourd’hui à ceux qui naviguent à vue, sans certitude sur la couverture des risques - qui ne sera jamais parfaite de toute façon, il faut bien l’avouer, sauf à engager une armée de personnes. Et qui peut le faire au quotidien ?

Il y a ensuite des points très positifs pour l’avenir : l’intelligence artificielle est évolutive, elle s’améliore rapidement à travers l’ensemble des clients et leurs données. Par ailleurs on est "agnostique" par rapport au droit et à la langue, l’IA apprend très vite pour les futurs contrats.

VJ : Comment l’IA s’insère-t-elle dans la culture de l’entreprise, risque-t-elle de la bouleverser ?

GM : Ce qui est intéressant quand on déploie Della sur des portails collaboratifs, c’est que des non juristes peuvent alimenter la base d’information, et obtenir des informations de base qui n’ont pas besoin d’être validées par des juristes (date de contrat, montant...). Vous imaginez le gain de temps, l’amélioration du partage, le déploiement possible d’une culture juridique...
On obtient aussi de l’assistance instantanée en cours de négociation, par exemple pour extraire des clauses et les comparer avec des standards, et cela vient assister les juristes et les non-juristes.

On ne va pas supprimer des juristes. A la limite on pourrait envisager qu’à terme, ce sont les non-utilisateurs de technologie avancée qui disparaitront, mais les juristes seront toujours là - avec leur culture juridique dans chaque entreprise.

VJ : Comment l’IA est-elle intégrée dans les offres Wolters Kluwer ?

GM : Della est déjà intégré dans nos solutions depuis 2020, pour les directions juridiques et les cabinets d’avocats. En développant les usages, on a vu l’intérêt de l’intégrer économiquement et commercialement dans nos offres, d’où ce rachat.
Della est une technologie très moderne, qui s’appuie sur du langage naturel.
A terme cela pourra être intégré plus loin dans nos solutions pour DJ puis pour les avocats, y compris à l’international, car Della est déjà utilisée aux USA.

Notre offre est "clé en main", mais il faut parfois adapter quelques paramètres à chaque client et son secteur d’activité - et pourquoi pas à ses processus ou culture.
La mise en route est très rapide, accessible aux juristes tout autant qu’à un paralegal ou un stagiaire.

VJ : Comment est accueilli ce produit dans les DJ et avocats ?

GM : Nous avons passé l’étape de défiance pour tous les grands projets autour du contract management, ça commence à rentrer dans les priorités.
En terme d’utilisation il faut encore gagner la confiance des utilisateurs, elle se gagne peu à peu, mais dans les grandes entreprises, "faire sans" devient inenvisageable à court terme.

Les tarifs deviennent tout à fait accessibles. Le critère n’est pas vraiment la taille d’entreprise, mais plutôt le volume d’information, le temps dont on manque et la recherche d’économies ou l’amélioration de la couverture du risque.

En terme d’utilisateurs, il y a de nouveaux types de profils, les legalops par exemple (de nouveaux métiers qui émergent à la jonction des équipes business et équipes juridiques), ou encore les utilisateurs d’autres directions de l’entreprise.
Pour les avocats, il y a clairement un intérêt pour les grandes négociations.

VJ : Dernière question... Que ne fait pas l’IA ?

GM : Elle ne fait pas le café !

Plus sérieusement, elle ne fait pas le travail des juristes, par contre certaines tâches des juristes peuvent être effectuées par quelqu’un qui saura utiliser les outils avancés, dont l’IA.
Il faut donc comprendre le fonctionnement pour bien l’utiliser, et savoir l’utiliser surtout sur les sujet répétitifs et sur grands volumes.
Pour les sujets hautement stratégiques, le juriste reste la personne clé, l’IA ne produit pas de la donnée juridique, ni l’intelligence du métier.

Propos recueillis par la Rédaction du Village de la justice

[1Revue de Contrats.

[2"Lead Evengelist" dit-on...