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Le mécanisme de la réclamation dans les marchés publics : le mémoire de réclamation. Par Laurent Frölich et Orane Cliquennois, Avocats.
Parution : mardi 7 février 2023
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Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le mécanisme de la réclamation dans les marchés publics sans oser le demander : mémoire de réclamation, contenus, délais, acteurs, procédure.

I. Le principe et le contenu de la réclamation.

Le principe d’une réclamation préalable en cas de différends survenant dans l’exécution des marchés publics fait désormais l’objet d’une rédaction pratiquement unifiée dans les nouveaux cahiers des clauses administratives générales (CCAG) approuvés par l’arrêté du 30 mars 2021. Ainsi,

« tout différend entre le titulaire et l’acheteur doit faire l’objet, de la part du titulaire, d’un mémoire en réclamation exposant précisément les motifs de ce différend et indiquant, le cas échéant, pour chaque chef de contestation, le montant des sommes réclamées et leur justification [1] ».

Les seules particularités tiennent au CCAG Travaux, pour lequel il est ajouté qu’une telle réclamation doit également intervenir en cas de différend entre le maître d’œuvre, et le titulaire du marché [2] ; ainsi qu’au CCAG Maîtrise d’œuvre (CCAG-MOE), qui remplace le terme « titulaire » par le terme « maître d’œuvre [3] ».

Une réclamation, introduite via un mémoire de réclamation par le titulaire auprès du maître d’ouvrage, peut porter sur le décompte général (notamment pour les marchés de travaux et de maîtrise d’œuvre), mais également sur tout autre différend découlant du marché (application de pénalités, résiliation, absence de paiement des factures, etc.). A noter toutefois qu’en matière de pénalités, si le pouvoir adjudicateur a choisi d’émettre un titre exécutoire pour recouvrer les sommes qu’il pense lui être dues, le titulaire du marché, destinataire de l’avis de sommes à payer, peut introduire directement un recours de plein contentieux devant le juge administratif sans passer par la case du mémoire de réclamation [4].

Si la réclamation doit contenir, aux termes des CCAG, l’exposé d’un différend, les motifs du différend, et, pour chaque chef de contestation, le montant des sommes réclamées et leur justification, le Conseil d’Etat est plus précis en indiquant que les bases de calcul des sommes réclamées doivent figurer dans la réclamation [5].

Les juges s’attachent à ce que chaque élément ressorte clairement du mémoire en réclamation. Ainsi, le mémoire de réclamation doit exposer avec précision les motifs du différend ; tel n’est pas le cas d’un mémoire demandant le règlement de travaux supplémentaires sans référence au bordereau des prix unitaires, au détail quantitatif estimatif, aux quantités déjà admises ou à la nature des erreurs de calcul alléguées [6].

De même, le mémoire de réclamation qui ne comporte pas les bases de calcul de la somme réclamée ne peut pas être regardé comme un mémoire en réclamation, car son contenu n’est pas complet [7].

Le titulaire d’un marché qui entend élever une réclamation doit veiller à énoncer un différend dans son mémoire, et à ne pas laisser la porte ouverte à d’éventuelles négociations. Le Conseil d’Etat a pu considérer qu’un mémoire demandant l’augmentation de la rémunération du titulaire, mais indiquant également « je demeure à votre entière disposition pour m’entretenir avec vous de la faisabilité de cette solution », ne constituait pas une réclamation [8].

L’importance qu’un tel mémoire soit qualifié de mémoire de réclamation tient au fait qu’il conditionne la recevabilité du recours ultérieur devant le juge [9].

Dès lors, si la réclamation n’est pas précédée d’un mémoire à l’acheteur, ou si le mémoire transmis ne respecte pas le contenu, le formalisme ni les délais requis par les CCAG et la jurisprudence, toute requête ultérieure devant le juge du contrat sera vaine.

II. Les délais, la forme, et les acteurs de la réclamation.

1. Les délais.

Le délai dans lequel le mémoire de réclamation doit être envoyé à l’acheteur diffère selon le CCAG et le type de réclamation.

Ainsi, pour les marchés qui font référence au CCAG Travaux ou au CCAG Maîtrise d’œuvre, et si la contestation porte sur le décompte général, le mémoire de réclamation doit être transmis au pouvoir adjudicateur - avec copie au maître d’œuvre dans le cas d’un marché de travaux - dans un délai de trente jours à compter de la notification du décompte général [10].

S’agissant des autres types de contestations dans un marché de travaux ou de maîtrise d’œuvre, le CCAG n’enferme la réclamation dans aucun délai.

A noter toutefois que pour les contestations relatives au rejet des prestations dans les marchés faisant référence au CCAG Maîtrise d’œuvre, le titulaire du marché dispose d’un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de rejet pour adresser au pouvoir adjudicateur un mémoire de réclamation [11].

Pour les marchés faisant référence aux quatre autres CCAG, le délai pour communiquer le mémoire de réclamation à l’acheteur est de deux mois à compter du jour où le différend est apparu, sans distinction du type de différend [12].

Les dispositions du CCAG, confirmées par la jurisprudence, imposent que le mémoire soit parvenu à l’acheteur dans ces délais [13], et non seulement envoyé dans les délais. La voie de la lettre recommandée avec accusé de réception reste la plus certaine, et est conseillée.

En effet, il a déjà été jugé qu’un envoi dématérialisé n’était pas valide, dès lors que, selon les CCAG, les conditions d’utilisation des moyens dématérialisés ou des supports électroniques doivent être précisés par les documents contractuels, et que de telles conditions n’étaient pas précisées dans le marché [14]. Toutefois, les CCAG dans leur dernière version indiquent que la notification peut être faite par le biais du profil acheteur ou par courriel, à l’adresse électronique des parties mentionnée dans les documents du marché [15].

La seule contrainte est que la date de réception doit pouvoir être déterminée de manière certaine (en pratique, cela signifie envoyer un courriel avec un accusé de réception ou de lecture).

La computation des délais - c’est-à-dire la manière de comptabiliser les délais - s’entend de la manière suivante : tout délai commence à courir le lendemain du fait générateur point de départ du délai, à 0h. Par exemple, si la notification du décompte ou de la décision de rejet des prestations a eu lieu le 1 février 2023, le point de départ du délai sera le 2 février 2023.

Lorsque le délai est fixé en jours, il inclut les samedis, dimanches, et jours fériés, et expire à minuit le dernier jour du délai. Si le délai est de trente jours, alors, en reprenant l’exemple ci-dessus, le titulaire du marché aura jusqu’au 3 mars 23h59 pour faire parvenir son mémoire de réclamation à l’acheteur.

Mais si le délai est de deux mois, alors le titulaire aura jusqu’au 2 avril 2023 pour faire parvenir un tel mémoire, car lorsque le délai est fixé en mois, il est compté de quantième en quantième.

Enfin, lorsque le dernier jour du délai est un samedi, dimanche, ou jour férié, le délai est prolongé jusqu’à la fin de premier jour ouvrable qui suit, à minuit.

Si la notification d’un décompte ou d’une décision de rejet des prestations permettent de dater précisément le point de départ du délai laissé au titulaire pour envoyer son mémoire de réclamation, tel n’est pas le cas de tous les différends. Or, tous les CCAG hormis le CCAG Travaux et Maîtrise d’œuvre, indiquent que le titulaire dispose d’un délai de deux mois pour faire parvenir son mémoire en réclamation « à compter de la naissance du différend ».

La question s’est donc posée de savoir ce qui constitue un différend ou non. La jurisprudence est pléthorique sur ce point ; nous nous contenterons d’en dresser les grandes lignes.

Il est de jurisprudence constante que le silence du pouvoir adjudicateur ne peut pas faire naître le différend. Ainsi, le fait que l’acheteur ne s’acquitte pas des factures dues au titulaire du marché, qui lui ont été adressées, ne fait pas naître un différend.

Seul un refus explicite de les honorer fera naître le différend, car le différend résulte d’une prise de position écrite, explicite, et non équivoque, émanant du pouvoir adjudicateur et faisant apparaître le désaccord [16]. Cette définition du différend est désormais reprise dans les quatre CCAG précités [17].

Mais alors, comment faire naître le différend, si l’acheteur reste silencieux face aux courriers du titulaire exprimant une contestation ou face aux envois de factures ? Le Conseil d’Etat a admis depuis un certain temps la possibilité, pour le titulaire, d’adresser à l’acheteur une mise en demeure qui fixerait un délai au-delà duquel, en l’absence de réponse de l’acheteur ou de paiement des factures dans le délai fixé, un rejet implicite de l’acheteur serait né. Ce rejet implicite marquerait la naissance du différend [18], et donc le point de départ du délai de deux mois pour faire parvenir à l’acheteur un mémoire de réclamation. Cette jurisprudence, relative à la possibilité de fixer un délai dans une mise en défense, a également été reprise dans les quatre CCAG.

La naissance du différend doit s’apprécier au cas par cas. Des échanges de courriers entre l’acheteur et le titulaire pourront, par exemple, faire apparaître un différend. Il convient alors d’être extrêmement prudent sur ce qui peut caractériser, au sein de ces courriers, un différend, faisant courir le délai de deux mois.

Il a également été jugé qu’une résiliation ne pouvait faire naître, à elle seule, le différend [19]. C’est le décompte de résiliation qui fait normalement naître le différend, point de départ du délai d’envoi du mémoire de réclamation [20]. En l’absence d’un tel décompte notifié par l’acheteur, les juridictions administratives ont pu juger que les dispositions des CCAG relatives au délai pour envoyer le mémoire de réclamation n’étaient pas opposables au titulaire du marché [21] : le titulaire peut donc envoyer un mémoire de réclamation sans condition de délai. Et ce, même lorsque le décompte de résiliation a finalement été notifié au titulaire par l’acheteur, mais postérieurement au délai de deux mois qui lui est laissé pour notifier un tel décompte [22].

Toutefois, on peut se poser la question du maintien d’une telle jurisprudence, dès lors que tous les nouveaux CCAG à l’exception des CCAG Travaux et Maîtrise d’œuvre précisent, à deux reprises dans leur texte [23], que si l’acheteur ne notifie pas ce décompte de résiliation dans un délai de deux mois après la date d’effet de résiliation du marché, alors ce défaut de notification constitue un différend. Le titulaire aurait donc deux mois à compter de la naissance de ce différend pour faire parvenir à l’acheteur son mémoire de réclamation, alors que de telles conditions de délais lui étaient, jusqu’alors, non opposables en l’absence d’un tel décompte.

En résumé, les délais imposés au titulaire pour faire parvenir son mémoire de réclamation à l’acheteur sont les suivants :
- Dans les marchés de travaux et de maîtrise d’œuvre, si la contestation porte sur le décompte général, le titulaire dispose de trente jours à compter de la notification du décompte général ;
- Dans un marché de maîtrise d’œuvre, si la contestation porte sur le rejet des prestations, le titulaire dispose d’un délai de trente jours à compter de la notification de la décision de rejet ;
- Dans les marchés de travaux et de maîtrise d’œuvre, si la contestation porte sur un autre élément que le décompte général ou que le rejet des prestations (dans un marché de maîtrise d’œuvre uniquement), la réclamation n’est enfermée dans aucun délai ;
- Dans les marchés relevant des autres CCAG, le titulaire dispose d’un délai de deux mois à compter de la naissance du différend.

A noter que, si l’entrepreneur peut présenter une réclamation en cours d’exécution du marché, il devra quand même former, après la notification du décompte général et dans le délai requis, une réclamation portant sur ce décompte, et dans laquelle il lui appartient de reprendre de manière précise et détaillée les demandes précédentes qu’il entend maintenir et qui n’auraient pas été acceptées en cours d’exécution par l’acheteur [24]. Plusieurs mémoires de réclamation peuvent donc intervenir pour un même marché.

Une fois que le titulaire a pris connaissance des délais imposés pour la présentation d’une réclamation, il faut alors qu’il s’intéresse à la forme de la réclamation.

2. La forme.

Une telle réclamation doit être portée par voie de mémoire au pouvoir adjudicateur, contenant précisément les motifs de ce différend et indiquant, le cas échéant, pour chaque chef de contestation, le montant des sommes réclamées et leur justification, c’est-à-dire les bases de calcul des sommes réclamées. Le mémoire de réclamation doit contenir, en pièces jointes, les documents permettant d’appuyer les éléments juridiques et factuels présentés.

S’il est préférable qu’un tel document s’intitule « mémoire » et se présente comme tel, c’est-à-dire avec des considérations juridiques et factuelles, les juridictions administratives ont pu admettre des simples lettres ou demandes de paiement comme constituant des mémoires de réclamation au sens des CCAG.

Ainsi, un simple courrier, permettant de déterminer que la contestation portait sur l’application de pénalités à hauteur d’une certaine somme et sur l’application d’une réfaction de 30% par l’acheteur sur la mission PRO du prestataire, a été regardé comme valant lettre de réclamation [25].

Deux lettres, dont l’une demandait le paiement des travaux réalisés, joignait la facture détaillée et exposait le motif de la demande, et dont l’autre, envoyée par la suite et présentée comme une réclamation, demandait de nouveau le paiement de la somme et joignait à nouveau la facture et la lettre précédente, constituent un mémoire de réclamation [26].

En revanche, la motivation d’un tel mémoire par référence à un document qui n’est pas joint au mémoire, même s’il a été antérieurement transmis au pouvoir adjudicateur ou que celui-ci en a connaissance, n’est pas admise [27]. Il ne s’agit donc pas d’un mémoire de réclamation au sens des CCAG.

Ne constituent pas non plus un mémoire de réclamation :
- une simple demande de paiement, qui indique comprendre les raisons qui ont poussé l’acheteur à résilier le contrat mais ne pas accepter la retenue sur le montant des prestations [28] ;
- un courrier adressé par le titulaire à l’acheteur par un huissier de justice en vue d’un paiement des sommes dues sous 48h, dès lors qu’il ne comporte pas de façon précise et détaillée les chefs de la réclamation [29] ;
- un courrier envoyé postérieurement à l’établissement du décompte de travaux, qui fait référence à des réclamations antérieures sans les reprendre dans le courrier [30].

La forme du mémoire, et son contenu, sont donc importantes car si le mémoire ne respecte pas le formalisme requis, le recours devant le juge sera irrecevable.

3. Les acteurs de la réclamation.

Le mémoire doit évidemment être envoyé aux bonnes personnes, et par les bonnes personnes.

Ainsi, le mémoire doit être transmis au maître d’ouvrage. Plus précisément, il doit être transmis à la personne responsable du marché, dont les coordonnées figurent normalement dans les documents contractuels.

Pour les mémoires de réclamation relatifs à un marché de travaux, le titulaire devra veiller, en sus d’une forme et d’un contenu adéquats, à en envoyer copie au maître d’œuvre. La question se pose de savoir si l’absence d’envoi du mémoire au maître d’œuvre rend toute contestation ultérieure devant le juge irrecevable. Des décisions contradictoires ont été rendues sur ce point : deux décisions ont considéré que l’absence d’envoi du mémoire au maître d’œuvre rendait le décompte général définitif [31], tandis qu’un jugement a indiqué que l’absence d’un tel envoi au maître d’œuvre n’était pas de nature à rendre la requête ultérieure irrecevable [32].

C’est évidemment le titulaire d’un tel marché qui doit envoyer le mémoire en réclamation, donc l’entreprise signataire de l’acte d’engagement. La signature d’un tel mémoire importe peu, puisqu’il a déjà été jugé que l’absence de signature n’était pas de nature à rendre la réclamation irrecevable [33]. Il a aussi été jugé qu’il importe peu que le pouvoir donné à la personne signataire du mémoire de réclamation ne soit pas produit en cours d’instance, dès lors qu’il est établi qu’un tel mémoire émane bien de l’entreprise [34]. Ainsi, s’il est préférable que le signataire du mémoire soit le dirigeant de l’entreprise concernée, la signature par une autre personne de l’entreprise ne rend pas irrecevable ledit mémoire.

En cas de groupement, seul le mandataire du groupement, qu’il soit conjoint ou solidaire, est habilité à porter les réclamations [35].

La question s’est posée de savoir si l’avocat, conseil du titulaire, pouvait être signataire du mémoire de réclamation. Le Conseil d’Etat a répondu par l’affirmative, en indiquant que « l’avocat du titulaire du marché doit toujours être regardé, lorsqu’il s’adresse au maître d’ouvrage au nom de celui-ci, comme le représentant valablement, sans qu’il ait à justifier du mandat qu’il a reçu pour ce faire » [36]. Il a donc annulé l’arrêt de la cour, qui avait considéré que le mémoire de réclamation ne constituait pas une contestation régulière, dès lors qu’il n’émanait pas de la personne désignée pour représenter le titulaire du marché.

Une fois le mémoire reçu par l’acheteur, celui-ci doit décider des suites à donner à la réclamation. Selon la réponse ou le silence de l’acheteur, le titulaire envisagera l’introduction ou non d’un recours contentieux.

III. Les suites de la réclamation.

Dans tous les CCAG, sauf le CCAG Travaux, l’acheteur dispose d’un délai de deux mois à compter de la réception du mémoire de réclamation pour y répondre [37]. Pour les marchés de travaux, le délai de réponse laissé à l’acheteur est de trente jours [38].

Dans tous les cas, l’absence de réponse dans ces délais équivaut à un rejet de la demande.

Si l’acheteur répond favorablement à la demande, le titulaire du marché n’aura pas besoin d’introduire un recours devant le juge. En revanche, si l’acheteur refuse d’accéder aux demandes, ou reste silencieux, le titulaire du marché sera contraint d’aller devant le juge du contrat s’il souhaite que le litige aboutisse.

Pour ce faire, dans les marchés de travaux et de maîtrise d’œuvre, il disposera d’un délai de six mois à compter du refus explicite ou implicite du maître d’ouvrage, pour les réclamations auxquelles a donné lieu le décompte général du marché [39].

S’agissant des marchés relevant des autres CCAG, le titulaire disposera d’un délai de deux mois, pour les réclamations auxquelles a donné lieu le solde du marché [40].

La question se pose de savoir si, pour les réclamations autres que celles relatives au décompte général ou au solde du marché, le titulaire est également enfermé dans des délais de recours à compter du refus explicite ou implicite de l’acheteur sur sa réclamation.

Par exemple, si le titulaire souhaite contester des pénalités en cours d’exécution du marché, et porte à ce titre une réclamation auprès de l’acheteur, sera-t-il contraint d’introduire son recours auprès du juge dans un délai maximum de deux mois à compter du refus implicite ou explicite de l’acheteur ?

Deux cours administratives d’appel ont pu juger, s’agissant du CCAG Fournitures courantes et services dans une version antérieure, que l’article du CCAG relatif aux différends n’imposait aucun délai entre le rejet implicite d’un mémoire en réclamation et la saisine du juge du contrat [41]. Toutefois, dans cette version du CCAG, aucun délai n’était imposé, même pour les contestations relatives au solde.

Mais si aucun délai n’est imposé par les CCAG actuels pour les réclamations qui ne sont pas relatives au décompte général ou au solde du marché, reste que l’article R. 421-1 du Code de justice administrative prévoit une saisine du juge administratif dans un délai de deux mois à compter de la notification ou de la publication de la décision attaquée.

Cependant, le dernier alinéa de cet article précise que le délai fixé par cet article n’est pas applicable à la contestation des mesures prises pour l’exécution d’un contrat.

A première vue, il semblait donc que, s’agissant des réclamations qui ne concernent pas le décompte général ni le solde, le titulaire n’est enfermé dans aucun délai pour saisir le juge du contrat une fois la décision de rejet implicite ou explicite intervenue.

Il est important toutefois de préciser que la jurisprudence Czabaj [42], qui contraint le justiciable à saisir le juge dans un délai raisonnable d’un an à compter de la décision, semble trouver parfois application en matière de litiges d’exécution de marché.

Ainsi, le Tribunal administratif de Lyon, après avoir rappelé que le CCAG Prestations intellectuelles n’imposait aucun délai entre le rejet d’un mémoire de réclamation et la saisine du juge du contrat, a rejeté la requête comme étant irrecevable car formulée plus d’un an après le rejet de l’acheteur [43]. Le titulaire contestait le décompte de résiliation. Mais la Cour administrative de Lyon, elle, a considéré que le délai d’un an pour saisir le juge à partir du rejet de la réclamation, ne s’appliquait pas aux litiges relatifs au règlement financier d’un marché. Le titulaire contestait ici une facture de travaux impayée [44].

Pour résumer, les contestations relatives au décompte ou au solde sont enfermées dans un délai de six ou deux mois pour saisir le juge selon le type de marché. Les contestations qui ne sont pas relatives au décompte ou au solde ne sont théoriquement pas enfermées dans des délais pour saisir le juge, sauf celles pour lesquelles le délai d’un an est applicable. Le plus simple est donc encore de respecter les délais les plus stricts en cas de doute.

Enfin, s’agissant de l’auteur du recours devant le juge du contrat en cas de groupement, les règles diffèrent selon la forme du groupement. Si le groupement est solidaire, chaque membre du groupement peut s’adresser au juge du contrat car la désignation d’un mandataire n’a pas pour effet de confier à ce mandataire la représentation exclusive des autres entreprises devant le juge [45]. Si le groupement est conjoint, c’est le mandataire qui doit introduire un recours et pas les autres membres du groupement, jusqu’à l’expiration du délai de garantie d’un an. A l’expiration de ce délai de garantie, chaque membre du groupement est ensuite seul habilité à poursuivre les litiges qui le concernent, sauf ceux relatifs au décompte.

Laurent Frölich et Orane Cliquennois Avocats au Barreau de Paris et Lille Cabinet Laurent Frölich www.clfavocats.fr

[146.2 CCAG-FCS, 43.2 CCAG-PI, 55.2 CCAG-TIC, 49.2 CCAG-MI

[255.1.1 CCAG-TR

[335.2 CCAG-MOE

[4CAA Douai, 21 janvier 2021, n°19DA01656 ; TA Montpellier, 8 janvier 2016, n°1402032

[5CE, 3 octobre 2012, n°349281

[6CAA Marseille, 11 oct. 2021, n°19MA01244

[7CE, 31 mai 2010, n°313184

[8CE, 26 avril 2018, n°407898

[9CE, 15 oct. 1976, n°95163, n°95164 ; CAA Bordeaux, 08 fév. 2019, n°16BX01862

[1055.1.1 CCAG-TR et 35.2 CCAG-MOE

[1121.4.1 CCAG-MOE

[1246.2 CCAG-FCS, 43.2 CCAG-PI, 55.2 CCAG-TIC, 49.2 CCAG-MI

[13CAA Nantes, 19 février 2021, n°20NT00068

[14Même décision

[153.1.1 de tous les CCAG

[16CE, 22 novembre 2019, Etablissement Paris La défense, n°417752

[1746.1 CCAG-FCS, 43.1 CCAG-PI, 55.1 CCAG-TIC, 49.1 CCAG-MI

[18CE, 23 janvier 2012, n°388725 ; CE, 22 novembre 2019, Etablissement Paris La défense, n°417752

[19CE, 24 novembre 2008, Centre Hospitalier de la région d’Annecy, n°291539

[20CAA Bordeaux, 14 novembre 2019, n°19BX02480

[21CE, 27 novembre 2019, n°422600

[22CAA Bordeaux, 04 mai 2022, n°22BX00311

[2343.5 et 46.1 CCAG-FCS, 41.5 et 43.1 CCAG-FCS, 52.5 et 55.1 CCAG-TIC, 46.5 et 49.1 CCAG-MI

[2455.1.1 CCAG-TR, 35.2 CCAG-MOE, CAA Lyon, 24 septembre 2020, n°20LY00608

[25Les CCAG, dans leur version antérieure, faisaient mention d’une lettre de réclamation, et pas d’un mémoire de réclamation. CAA Marseille, 15 mars 2021, n°18MA02833

[26CAA Bordeaux, 14 avril 2022, n°22BX00534

[27CE, 27 septembre 2021, Société Amica, n°442455

[28CAA Bordeaux, 4 février 2020, n°18BX00864

[29CAA Nantes, 21 juin 2019, n°18NT01692

[30CAA Lyon, 24 septembre 2020, n°20LY00608

[31CAA Lyon, 6 octobre 2022, n°20LY03286 ; TA Lille, 23 juillet 2019, n°1600265

[32TA Lille, 8 février 2016, n°1306031

[33CAA Versailles, 29 mars 2005, n°02VE01940

[34CAA Douai, 17 juin 2008, n°06DA00881

[3512.5.2 CCAG-TR, 12.1.4 CCAG-MOE, CCAG-FCS, CCAG-PI, CCAG-TIC, 13.1.4 CCAG-MI, CAA Bordeaux, 12 juillet 2021, n°19BX01920

[36CE, 18 décembre 2020, n°427850

[3735.2 CCAG-MOE, 46.3 CCAG-FCS, 43.3 CCAG-PI, 55.3 CCAG-TIC, 49.3 CCAG-MI

[3855.1.2 CCAG-TR

[3955.3.2 CCAG-TR, 35.5 CCAG-MOE

[4046.5 CCAG-FCS, 43.5 CCAG-PI, 55.5 CCAG-TIC, 49.5 CCAG-MI

[41CAA Paris, 7 décembre 2010, n°09PA01834 ; CAA Nancy, 25 février 2020, n°19NC01316

[42CE, 13 juillet 2016, n°387763

[43TA Lyon, 12 juillet 2018, n°1609526

[44CAA Lyon, 7 octobre 2021, n°21LY00022

[45CE, 25 juin 2004, n°250573