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Chantage à la sextape et autre contenu compromettant - les infractions visées. Par Pierre-Henri Bovis, Avocat.
Parution : lundi 6 février 2023
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Benjamin Griveaux, Mathieu Valbuena, Gilles Artigues et désormais Aya Nakamura... Nombreux sont ceux victimes de chantage consistant en la remise d’un bien, de fonds, d’un service en échange d’une non-publication d’un contenu à caractère sexuel mettant en scène la victime. Ce procédé, appelé « chantage à la sextape » ou « sextorsion » se différencie du délit de « revenge porn » et peut revêtir plusieurs infractions pénales.

Le chantage à la sextape, ou plus généralement au contenu pornographique pouvant porter atteinte à l’honneur, à la considération de la personne et plus généralement à sa vie privée, consiste à solliciter de la part de la victime la remise d’un bien, de fonds, ou un service en échange de quoi le maître-chanteur s’engagerait à ne rien diffuser, sur internet ou auprès de tiers.

Par honte ou peur, certains pourraient être tentés de céder à la menace. Or, il ne faut pas perdre à l’esprit que le maître-chanteur n’aurait plus aucun moyen de solliciter quoi que ce soit de la part de la victime si ledit contenu est publié sur le net. Céder au chantage revient à s’exposer à devoir régler d’autres sommes à l’avenir ou rendre d’autres services le cas échéant.

Il est ainsi conseillé pour la victime de recueillir le maximum de preuves possibles à soumettre au procureur de la République ou au juge d’instruction selon la procédure pénale engagée : échanges de sms, e-mails, messages sur les réseaux sociaux, identifiants, éléments de reconnaissance divers etc.

Quelles sont les peines encourues ?

En droit, le chantage est défini à l’article 312-10 du Code pénal :

« Le chantage est le fait d’obtenir, en menaçant de révéler ou d’imputer des faits de nature à porter atteinte à l’honneur ou à la considération, soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque.

Le chantage est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende ».

Malgré la menace, si la victime ne cède pas, le maître-chanteur peut être poursuivi pour tentative de chantage et donc, atteinte à la vie privée.

Si la victime cède, le chantage est donc avéré car le maître-chanteur est allé au bout de sa manœuvre illégale et encourt donc jusqu’à 5 ans d’emprisonnement et 75 000 euros d’amende.

Dans l’intervalle, si le maître-chanteur décide de mettre sa menace à exécution et divulgue le contenu compromettant, celui-ci risque 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende. Dans ce cas, l’auteur cumule les actes illégaux puisqu’il réalise un acte prémédité avec volonté de porter atteinte à l’honneur et à la considération de sa victime.

En cas de publication, la plateforme du ministère de l’Intérieur permet de lancer une alerte en quelques secondes [1] Bien entendu, la CNIL devra être saisie ainsi que le moteur de recherche (Google, Yahoo etc.) par la voie d’un avocat afin de faire effacer le contenu au plus vite.

En sus du chantage, et selon ce que le maître-chanteur sollicite de la victime et les manœuvres employées, le délit de tentative d’extorsion pourrait également être retenu. En droit, l’extorsion est définie à l’article 312-1 du Code pénal :

« L’extorsion est le fait d’obtenir par violence, menace de violences ou contrainte soit une signature, un engagement ou une renonciation, soit la révélation d’un secret, soit la remise de fonds, de valeurs ou d’un bien quelconque.

L’extorsion est punie de sept ans d’emprisonnement et de 100 000 euros d’amende ».

Enfin, il est courant que le maître-chanteur n’agisse pas seul. Il peut s’agir d’un groupe d’individus dont les rôles sont clairement définis. Des complices peuvent également être présents et engagent leur responsabilité, tant pénale que civile.

Dans cette hypothèse, l’autorité de poursuite pourrait retenir l’association de malfaiteurs et/ou la bande organisée. Ces notions sont étroitement similaires mais ne sont en aucun cas identiques.

L’association de malfaiteurs est prévue par l’article 450-1 du Code pénal qui prévoit

« Constitue une association de malfaiteurs tout groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’un ou plusieurs crimes ou d’un ou plusieurs délits punis d’au moins cinq ans d’emprisonnement ».

La bande organisée est envisagée par l’article 132-71 du Code pénal qui dispose que

« Constitue une bande organisée au sens de la loi tout groupement formé ou toute entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d’une ou de plusieurs infractions ».

Ainsi, l’association de malfaiteurs est une infraction pénale en tant que telle, tandis que la bande organisée n’est qu’une circonstance aggravante à la commission d’une infraction pénale.

Dans sa décision du 2 mars 2004, décis. n° 2004-492, le Conseil constitutionnel a rappelé que

« la bande organisée suppose la préméditation des infractions et, à la différence de l’association de malfaiteurs, une organisation structurée entre ses membres ».

Il a déjà été jugé que le prévenu coupable d’escroquerie en bande organisée ne pouvait pas être condamné également des faits constitutifs d’association de malfaiteurs indissociables de ceux caractérisant la bande organisée, selon le principe ne bis in idem

Toutefois, cela ne signifie pas que les cumuls soient prohibés de manière automatique dès lors que les qualifications portent sur des faits dissemblables.

Enfin, les victimes pourraient être découragées de porter plainte en raison de l’absence de peine prison ferme prononcée par les juridictions en raison d’un aménagement de peine parfois difficilement compréhensible par les justiciables. Toutefois, une réforme importante du seuil d’aménagement des peines est entrée en vigueur le 24 mars 2020 concernant cet aménagement :
- Moins d’1 mois d’emprisonnement : interdiction de prononcer une peine ferme,
- Entre 1 mois et 6 mois d’emprisonnement : aménagement obligatoire sauf impossibilité résultant de la personnalité ou de la situation du condamné,
- Entre 6 mois et 1 an d’emprisonnement : aménagement facultatif,
- Au-delà de 1 an d’emprisonnement : plus aucun aménagement possible, alors qu’auparavant une peine ferme était aménageable jusqu’à deux ans hors récidive et jusqu’à un an en cas de récidive.

Pierre-Henri Bovis Avocat au Barreau de Paris [->phb@raultbovis.fr]