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Forfait jour : nullité de la convention en cas de contrôle insuffisant de l’employeur. Par Xavière Caporal, Avocate et Madeleine Salomon, Stagiaire.
Parution : mardi 7 février 2023
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Dans un arrêt récent de la Cour de cassation du 9 novembre 2022 (n°21-13.389), la chambre sociale est venue préciser les conditions dans lesquelles l’employeur doit exercer le contrôle de la charge de travail du salarié au forfait.

Elle a considéré que l’entretien annuel portant sur la charge de travail ainsi que l’engagement du salarié chargé de veiller lui-même au respect de ses temps de repos, ne constituaient pas un contrôle suffisant de la charge de travail de la part de l’employeur, et provoquaient alors la nullité de la convention de forfait jour du salarié.

Nous reverrons les notions clés, puis l’apport de cet arrêt.

I. Les notions clés.

A. La convention de forfait jour dérogatoire au temps de travail.

Le temps de travail est en principe décompté en heures, à raison de 35 heures de travail effectif par semaine. Tout autre mode d’organisation constitue un mode dérogatoire.

Selon le Code du travail, la durée du travail peut être forfaitisée en heures ou en jours [1]. De cette manière, le salarié en forfait jour est tenu de travailler un certain nombre de jours dans l’année, fixé à 218 jours maximum par la loi. Un accord collectif d’entreprise ou d’établissement, ou à défaut une convention ou un accord de branche, peut fixer un nombre de jours de travail inférieur à 218. Le salarié n’est donc pas soumis au respect des durées maximales quotidienne et hebdomadaire de travail.

Comme les conventions de forfait sont dérogatoires à la durée légale du travail, ces dernières répondent à des exigences particulières pour pouvoir être mises en place.

B. La nécessité du contrôle du temps de travail du salarié par l’employeur.

Le Code du travail encadre par de nombreuses dispositions le recours au forfait et met à la charge de l’employeur une obligation de contrôle de la charge de travail de ses salariés.

1) Les dispositions légales.

Il est indispensable que l’employeur s’assure régulièrement que la charge de travail de son salarié au forfait jour est raisonnable et permette une bonne répartition dans le temps de son travail [2].

En effet, dès lors que la possibilité de conclure des conventions de forfait jour est expressément autorisée l’accord doit déterminer les modalités :
- Selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié,
- Selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise,
- Selon lesquelles le salarié peut exercer son droit à la déconnexion [3].

A défaut de ces stipulations conventionnelles, la convention individuelle de forfait en jours peut être valablement conclue :
- Si l’employeur établit un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées,
- Si l’employeur s’assure que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires,
- Si l’employeur organise au moins une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération [4].

2) L’intervention de la jurisprudence.

Aux côtés des dispositions légales, la jurisprudence vient renforcer l’importance du contrôle par l’employeur de la charge de travail de ses salariés. Elle considère :
- Qu’un forfait annuel en jours aboutissant à une charge de travail déraisonnable peut être considéré comme un manquement de l’employeur à son obligation de sécurité [5]. Dans cette affaire, l’employeur ne justifiait pas avoir pris les dispositions nécessaires de nature à garantir l’amplitude et la charge de travail du salarié, ce qui ne lui permettait pas d’assurer la protection de la santé de ce dernier.
- Qu’une convention de forfait jours est privée d’effet à la suite de la défaillance de l’employeur dans l’organisation des entretiens individuels [6].

II. L’apport de l’arrêt du 9 novembre 2022 (n°21-13.389).

A. L’exigence de la mise en place d’un dispositif spécifique de contrôle.

En l’espèce, un salarié cadre contestait la validité de sa convention de forfait en jours car aucun dispositif n’était prévu pour veiller au respect des temps de repos obligatoires (c’est-à-dire 11 heures consécutives de repos quotidien, auxquelles s’ajoutent au moins 24 heures consécutives de repos hebdomadaire).

L’employeur invoquait le fait que l’accord d’entreprise mettait en place des entretiens de suivi de la charge de travail, permettant selon lui de veiller au respect des temps de repos de ses salariés. En effet, pour que le temps de travail du salarié puisse être contrôlé, l’accord d’entreprise prévoyait la tenue d’un entretien annuel avec le supérieur hiérarchique et l’engagement du salarié de veiller lui-même au respect de ses temps de repos.

La Cour de cassation prononce la nullité de la convention de forfait jour en estimant dans un premier temps que l’accord d’entreprise ne prévoyait « aucune disposition spécifique propre à assurer le contrôle du repos quotidien […] puisque le système prévu repose exclusivement sur l’engagement du salarié de veiller lui-même au respect des temps de repos ». La Cour de cassation ajoute dans un second temps que

« l’entretien annuel avec le supérieur hiérarchique portant sur le temps de travail, l’organisation, la charge et l’amplitude du travail, le respect du repos quotidien et hebdomadaire, ainsi que l’articulation entre les temps de vie professionnelle et la vie familiale, prévu par l’accord collectif, ne constituait pas à lui seul une garantie suffisante du contrôle du caractère raisonnable de l’amplitude et de la charge de travail ».

Ainsi, la Cour de cassation considère que les dispositions de l’accord collectif ne permettaient pas à l’employeur de remédier à une charge de travail éventuellement incompatible avec une durée raisonnable et à assurer une bonne répartition de la charge de travail du salarié. Elle déclare donc que la convention de forfait est nulle.

Par cet arrêt, la Cour de cassation vient renforcer l’obligation de contrôle du temps de travail du salarié soumis à une convention de forfait, par son employeur. Désormais, la charge de la preuve du temps de travail raisonnable pesant sur l’employeur est renforcée, celle-ci ne pouvant être satisfaite seulement par la mise en place d’un entretien annuel et par l’engagement du salarié de veiller lui-même sur le respect de ses temps de repos.

B. Les conséquences de la nullité de la convention de forfait encourue.

La nullité d’une convention de forfait entraîne de lourdes conséquences.

En effet, en cas d’illicéité de la convention de forfait jour, le salarié bénéficie du régime légal des 35 heures et de tous les droits y afférents. Cela ouvre le droit pour le salarié concerné, à un rappel de salaire au titre des heures supplémentaires effectuées. A défaut d’accord, les heures supplémentaires accomplies au-delà de la durée légale hebdomadaire donnent lieu à une majoration de salaire de 25% pour chacune des huit premières heures supplémentaires et de 50% pour les suivantes [7].

Au-delà du contingent des heures supplémentaires prévu par la convention collective du salarié en question ou à défaut par la loi, cela sera considéré comme un dépassement du contingent et donc comme du travail dissimulé. L’employeur s’exposera ainsi à verser à son salarié une indemnité forfaitaire égale à 6 mois de salaire brut, cumulable avec le rappel des heures supplémentaires [8].

La reconnaissance du travail dissimulé nécessite le caractère intentionnel de l’employeur de recourir au travail dissimulé. La Cour de cassation a énoncé que l’élément intentionnel de la dissimulation d’emploi salarié était caractérisé du seul fait que l’employeur ait imposé au salarié de travailler au-delà des jours prévus dans la convention de forfait en jours, sans mentionner les jours de travail sur les bulletins de paie [9].

La nullité de la convention de forfait jour pouvant entraîner de lourdes répercussions pour l’employeur, il est donc primordial pour ce dernier de respecter les dispositifs de suivi des repos de ses salariés bénéficiant d’une convention de forfait.

Maître Xavière Caporal et Madeleine Salomon, Stagiaire - Avolex Avocats Barreau de Nantes [->xcaporal@avolex-avocats.com]

[1L3121-53 du Code du travail.

[2L3121-60 du Code du travail.

[3L3121-64 du Code du travail.

[4L3121-65 du Code du travail.

[5Cass. Soc., 2 mars 2022, n°20-16.683.

[6Cass. Soc., 9 février 2022, n°20-18.602.

[7L3121-36 du Code du travail.

[8L8223-1 du Code du travail.

[9Cass. Soc., 1er décembre 2016, n°15-15.805.