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Surendettement de l’entrepreneur individuel. Par Adame Sene, Juriste.
Parution : mardi 7 mars 2023
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En parallèle des procédures collectives du Livre VI du commerce pour son patrimoine professionnel, l’entrepreneur individuel en difficulté peut bénéficier de la procédure de surendettement pour les dettes issues de son patrimoine personnel. Ainsi pourrait-on dire, à chaque patrimoine, sa procédure.

La loi n° 2022-172 du 14 févr. 2022, en faveur de l’activité professionnelle indépendante a introduit dans notre corpus juridique un nouveau statut de l’entrepreneur individuel supprimant au passage l’ancien statut d’entrepreneur individuel à responsabilité limitée (EIRL). En termes simples, l’ambition de ce texte est de protéger l’entrepreneur contre lui-même en lui imposant une protection sans qu’il ait à satisfaire une autre obligation que de s’immatriculer. La quintessence de ce statut réside dans la séparation de droit de deux patrimoines de l’entrepreneur, une sorte de scission patrimoniale entre le patrimoine professionnel et le patrimoine personnel.

La méthodologie retenue par le législateur est de passer d’un dispositif de protection volontaire et très formaliste à une protection par dissociation des patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur individuel dès son immatriculation. Dés lors, l’entrepreneur individuel dispose de deux patrimoines, un patrimoine professionnel constitué de l’ensemble de « biens, droits, obligations et sûretés » de l’entrepreneur « utiles à son activité ou ses activités professionnelles indépendantes » et un patrimoine personnel constitué d’éléments non-compris dans le patrimoine professionnel.

La motivation du législateur est d’offrir à l’entrepreneur individuel une protection plus drastique avec moins de formalités en s’attachant par le truchement d’une scission patrimoniale à protéger le patrimoine personnel des difficultés professionnelles de l’entrepreneur. Cette idée trouve un écho favorable à travers l’article 5 de la loi du 14 février 2022 qui complète le Code de commerce avec l’adjonction dans le livre VI d’un nouveau titre VIII bis afférent à l’entrepreneur individuel. Le même mécanisme est réitéré dans le Code de la consommation dont le chapitre VII portant sur le traitement des situations de surendettement a vu l’ajout d’une nouvelle section portant sur les « Dispositions relatives à l’entrepreneur individuel ». Les nouvelles dispositions sont complétées utilement par un troisième texte réglementaire, le décret n° 2022-890 du 14 juin 2022.

Ces dispositions traitant des difficultés de l’entrepreneur individuel sont des indices permettant de jauger l’ambition du législateur dans sa volonté de protéger, en ce que l’entrepreneur individuel en difficulté peut être éligible des procédures collectives du livre VI sur son patrimoine professionnel [1] et parallèlement de la procédure de surendettement des particuliers sur son patrimoine personnel [2].

Ainsi, l’entrepreneur individuel bénéficie de la procédure de surendettement (I) dans le cadre des difficultés non-professionnelles ou domestiques. Il faut souligner que cette procédure peut faire l’objet d’une articulation avec les procédures collectives (II) dès lors qu’au-delà des difficultés non professionnelles, l’entrepreneur individuel se retrouve dans un état de cessation des paiements.

I- Le bénéfice de la procédure de surendettement de l’entrepreneur individuel.

Avant 2018 l’ancien statut de l’EIRL ne pouvait bénéficier de la procédure de surendettement aux motifs que l’entrepreneur était éligible aux procédures collectives [3].

Le soubassement de cette restriction est l’unicité du patrimoine de la théorie d’Aubry et Rau. En effet, une personne ne peut avoir qu’un seul patrimoine dont l’actif répond corrélativement dans son intégralité le passif. Toutefois, un entrepreneur pouvait affecter à son activité professionnelle, un patrimoine séparé de son patrimoine personnel. C’est dans ce sillage que la Cour de cassation reconnaît que

« la seule circonstance que le patrimoine affecté par un entrepreneur individuel relève de la procédure relative au traitement des difficultés des entreprises n’est pas de nature à exclure le patrimoine non affecté de la procédure de traitement des situations de surendettement ».

L’entrepreneur individuel à responsabilité limitée pouvait donc faire l’objet, pour son patrimoine non affecté et à raison du surendettement résultant de dettes non professionnelles, d’une procédure de surendettement des particuliers.

Avec l’avènement de la loi du 14 février 2022, la même logique est suivie avec l’ouverture de la procédure de surendettement pour l’entrepreneur individuel sur les dettes issues de son patrimoine personnel. L’entrepreneur individuel peut donc bénéficier d’une procédure de surendettement s’il est de bonne foi et si son patrimoine personnel ne lui permet manifestement pas de faire face à l’ensemble de ses dettes, exigibles et à échoir, dont le recouvrement peut être poursuivi sur cet actif. Il s’agit ici de toutes ses dettes domestiques (non professionnelles), ainsi que de ses dettes professionnelles pour lesquelles l’entrepreneur individuel a renoncé à la distinction entre ses patrimoines professionnel et personnel ou qu’il garantit par des sûretés portant sur des biens relevant de son patrimoine personnel.

Si ces conditions posées par le Code de la consommation sont réunies, l’entrepreneur saisit le tribunal judiciaire ou le tribunal du commerce en fonction de son activité commerciale ou non. Dans l’acte de saisine, l’entrepreneur individuel devra préciser la situation de trésorerie, un état chiffré de ses créances et de ses dettes, un état actif et passif des sûretés, et une liste de ses engagements hors bilan, ainsi qu’un inventaire sommaire de ses biens en distinguant les biens, droits et obligations relevant de chacun de ses patrimoines.

L’entrepreneur individuel ne peut pas saisir directement la commission de traitement du surendettement, même si ses dettes ne concernent que son patrimoine personnel.

Il appartient au tribunal saisi des difficultés de l’entrepreneur d’apprécier les conditions d’ouverture de la procédure de surendettement, si celles-ci sont réunies, il transmet, avec l’accord du débiteur, l’affaire à la commission de surendettement.

Cette dernière ne réexamine pas les conditions d’ouverture du surendettement. La décision du tribunal transmettant le dossier à la commission de surendettement est signalée aux créanciers concernés. Dès lors, tout créancier qui n’a pas été partie à ce jugement peut contester la séparation des patrimoines privé et professionnel de l’entrepreneur.

La commission de surendettement établit l’état du passif en laissant trente jours aux créanciers pour faire leurs observations et le transmet au débiteur, qui dispose alors de vingt jours pour contester et demander à la commission de saisir le juge pour vérification de la validité des créances et des titres.

A l’issue de l’instruction du dossier de l’entrepreneur individuel, la commission peut décider soit d’adopter un plan conventionnel de redressement qui vise à mettre en place des mesures de reports ou de rééchelonnement des paiements etc tout en sachant que ce plan ne peut excéder sept ans, soit prendre des décisions de rééchelonnement ou de même nature et les imposer aux différents créanciers.

Enfin, lorsque l’entrepreneur individuel se trouve dans une situation irrémédiablement compromise caractérisée par l’impossibilité manifeste de mettre en œuvre des mesures de traitement précitées, la commission peut soit recommander un rétablissement personnel sans liquidation judiciaire si le débiteur ne possède aucun actif valorisable. L’effet principal de ce rétablissement professionnel sans liquidation judiciaire est de permettre l’effacement de toutes les dettes issues du patrimoine personnel.

II- L’articulation de la procédure de surendettement avec les procédures collectives.

Cette articulation apparaît lorsqu’au-delà des difficultés sur patrimoine personnel, l’entrepreneur individuel en rencontre aussi sur patrimoine professionnel. En effet, la loi du 14 février 2022 s’est efforcée à coordonner les dispositifs de traitements des difficultés économiques afin que l’entrepreneur puisse bénéficier de deux procédures parallèles.

Lorsque les difficultés impactent les patrimoines professionnel et personnel de l’entrepreneur, deux situations sont possibles. La distinction des patrimoines professionnel et personnel a été bien respectée et si le droit de gage des créanciers professionnels ne porte pas sur le patrimoine personnel, le tribunal ouvrira la procédure collective et saisira, avec l’accord du débiteur, la commission de surendettement pour le traitement des dettes dont l’entrepreneur est redevable sur son patrimoine personnel. Le tribunal et la commission de surendettement s’informent alors réciproquement de l’évolution de chacune des procédures ouvertes.

Il connaît des contestations relatives à la séparation des patrimoines de l’entrepreneur individuel qui s’élèvent à l’occasion de la procédure ouverte.

Dans les autres cas, le tribunal traitera des dettes dont l’entrepreneur est redevable sur ses deux patrimoines. Aussi, dans le cadre d’une procédure de surendettement, lorsqu’il apparaît des difficultés pour le compte du patrimoine professionnel, la commission invite le débiteur à saisir de nouveau le tribunal compétent.

Ainsi, le dialogue instauré entre le juge des procédures collectives et la commission de surendettement illustre clairement le vœu du législateur d’opérer cette scission entre le professionnel et le personnel. A chaque patrimoine, sa procédure.

Adame Sene Conseiller juridique en droit privé https://www.linkedin.com/in/adama-sene-606571153/

[1Article L681-1 et suivants du Code de commerce.

[2Article L791-9 du Code de la consommation.

[3Article L711-3 du Code de la cons.