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Radicaliser la Constitution : serpent de mer ou tsunami juridique ? Par Alexandre Balossi, Juriste.
Parution : mardi 7 février 2023
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Il est à peine besoin de rappeler les crises surmontées par la France ces dernières années : d’une crise sociale conjuguée à une crise terroriste en passant par une crise sanitaire désormais ponctuée par une crise de l’énergie. Cette normalisation des états de crise a conduit les juristes à se poser une question fondamentale, particulièrement à l’endroit de la lutte contre le terrorisme et de la radicalisation : la Constitution doit-elle constituer un outil de résistance ?

1. La tentation d’un constitutionnalisme radical.

Les tentatives de constitutionnalisation de la lutte contre l’insécurité abondent. D’abord, à la suite des attentats de 2015, le Gouvernement a déposé un projet de loi constitutionnelle, le 23 décembre, visant à déchoir de leurs nationalités les individus ayant commis une infraction terroriste mais aussi de constitutionnaliser l’état d’urgence issu de la loi du 3 avril 1955.

Au cours des dernières élections municipales, le sénateur Bruno Retailleau s’est empressé de déposer une proposition de loi constitutionnelle, le 3 février 2020, ayant pour objet d’interdire la présentation de listes communautaires.

Enfin, après l’attentat de la Préfecture de police de Paris commis par un de ses agents, le député Éric Diard a hâtivement remis, le 20 février 2020, une proposition insérant une garantie contre la radicalisation au sein des services publics dans notre Constitution. Cette révision introduirait une obligation de prestation de serment pour tout agent public déclarant « solennellement adhérer loyalement et servir avec dignité la République et sa Constitution ». En cas de parjure, il permettrait de démettre ipso facto l’agent radicalisé de ses fonctions.

2. La résistance d’un constitutionnalisme libéral.

Le point commun entre tous ces projets réside dans leur échec. Aucun n’a fait l’unanimité au Parlement, et ce, pour plusieurs raisons.

Après une succession de prorogations de l’état d’urgence, le Gouvernement a décidé d’introduire dans le droit commun certains de ces dispositifs exceptionnels au sein de la loi « SILT » du 20 octobre 2017. Cette loi, en plus d’être temporaire, fixe des mesures qui ne peuvent être prononcées qu’à la condition « qu’il existe des raisons de penser que » l’intéressé aurait un comportement ou des relations proches des mouvances terroristes.

De cette formule floue sont nées de nombreuses divergences d’interprétation par l’administration et par les juges. Or, la Constitution se doit d’être un texte intelligible, prévisible et stable. Introduire ces dispositions dans la Constitution reviendrait à intégrer au fondement de l’édifice normatif une insécurité juridique chronique. La loi semble donc être l’instrument idéal, par sa souplesse et son adaptabilité.

La proposition de serment républicain paraît encore moins pertinente et encore plus circonstancielle. Pour cause, l’article L121-2 du Code général de la fonction publique prévoit déjà que « l’agent public est tenu à l’obligation de neutralité » et « exerce ses fonctions dans le respect du principe de laïcité ». Pire encore, l’interdiction de certaines listes électorales se heurte à la difficulté de déterminer concrètement ce qu’est le communautarisme et d’imposer aux élus une obligation de neutralité. À cet égard, le Conseil d’État a rappelé qu’aucune norme constitutionnelle n’impose l’exclusion de se porter candidat et de faire état de ses convictions religieuses et, qu’en outre, ce seul motif d’exclusion constitue une discrimination (CE, 23 décembre 2010). Intégrer ce dispositif contreviendrait alors au principe d’égalité garanti dès 1958 par l’article 1er de la Constitution.

Dès lors, radicaliser la Constitution reviendrait juridiquement à la déstabiliser. Ce texte fondateur ne doit pas être l’étendard d’une émotion légitime, mais mauvaise conseillère, lors de chaque tragédie perpétrée sur le territoire, qui viendrait alors le transmuer en « Constitution-circonstance ». De surcroît, ce n’est pas parce que la disposition n’est pas intégrée qu’elle n’est pas protégée par les Sages. Bien au contraire, par le mécanisme de la QPC, ces derniers n’ont de cesse d’alerter, d’émettre des réserves et de sanctionner certaines lois portant atteinte aux principes fondamentaux.

En somme, le substrat théorique de ces propositions de révisions repose sur l’hypothèse selon laquelle la sécurité serait la première des libertés ; ce qui soulève la question de la constitutionnalisation de l’ordre, de la sécurité et des limites aux libertés, tendant à la construction d’une Constitution sécuritaire. Or, cette dernière se doit de rester un texte qui n’évolue, conformément à l’effet-cliquet, que dans un sens plus libéral comme en témoigne la récente proposition visant à y introduire le droit à l’IVG.

Ce texte doit demeurer un instrument de défense des libertés et non d’attaque contre l’insécurité car, au fond, radicaliser la Constitution conduirait à radicaliser la démocratie au sein de laquelle, selon la formule de Guy Carcassonne, « L’Etat de droit s’ensable[rait] dans un tas de droit ».

Alexandre Balossi. Chercheur en droit public à l\\\'Université Paris-Saclay. Juriste en droit immobilier et droit de l\\\'énergie pour le cabinet \\\"Audineau et Associés\\\". Consultant indépendant.