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Précision sur l’absence de mise en garde au nouveau dirigeant de la société emprunteuse. Par Natal Yitcko, Avocat.
Parution : jeudi 16 février 2023
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Dès lors que la banque a octroyé un prêt à une holding créée pour racheter une société, la banque n’a pas à mettre en garde le dirigent de la holding, ancien salarié de la société cible, qui a acquis dans cette dernière des compétences pour apprécier l’endettement résultant du prêt (Cass.com. 4-1-2023 n°15-20.117 F-B, X c/ Sté Banque CIC Nord-Ouest).

Pour rappel, la jurisprudence de la Cour de cassation décide, depuis 2007, de façon constante que la banque qui consent un prêt à un emprunteur non averti est tenue à son égard, lors de la conclusion du contrat, d’un devoir de mise en garde en considération de ses capacités financières et des risques de l’endettement né de l’octroi du prêt [1] et les capacités financières de l’emprunteur s’appréciant à "la date de la conclusion du contrat" [2].

Quant à la qualité d’emprunteur averti d’une personne morale, elle s’apprécie en la personne de son représentant légal au moment de l’engagement litigieux. elle ne peut pas être déduite de la seule qualité de dirigeant et associé de la société emprunteuse si elle n’est pas corroborée par une expérience de la vie des affaires ou une implication dans la gestion de la société emprunteuse.

Ainsi, n’ont pas été considérés comme avertis le co-gérant d’une société, âgé de 23 ans, qui n’avait exercé ces fonctions que neuf mois pour remplacer une personne en congé maternité [3], tel est aussi le cas du gérant nouvellement désigné, jeune, au chômage et sans expérience des affaires en général ni du domaine d’activité de la société [4] ou encore le dirigeant d’une société nouvellement créée, titulaire de diplômes en lettres et en documentation et ayant exercé des activités de documentaliste, mais sans expérience de la gestion d’une société commerciale [5].

En revanche, doit être considéré comme averti l’ancien salarié de la SARL, devenu dirigeant de la holding et qui a précédemment acquis dans cette SARL des compétences pour apprécier l’endettement résultant du prêt [6].

Rappelons que dans cet arrêt du 4 janvier 2023, plusieurs salariés d’une SARL ont constitué une société holding en 2008 pour acquérir l’intégralité des parts de la SARL.

L’achat était notamment financé par un prêt bancaire, dont l’un des salariés devenu gérant de la holding s’est porté caution dans la limite d’un certain montant. Deux ans plus tard, la holding est mise en redressement puis en liquidation judiciaires.

Poursuivi en exécution du cautionnement par la banque, le salarié devenu dirigeant de la holding met en cause la responsabilité de celle-ci pour avoir omis de le mettre en garde, en qualité tant de dirigeant que de cation, contre le caractère disproportionné du prêt consenti à la holding.

Il faisait également valoir qu’au moment de la signature du prêt, il n’avait aucune expérience en tant que dirigeant de la holding ni dans l’activité exercée par cette dernière.

Ayant à statuer sur le devoir de mise en garde de la banque, la présente décision, après avoir rappelé que le caractère averti de l’emprunteur, personne morale, s’apprécie en la personne de son représentant légal a écarte l’argument développé par le salarié en rappelant que la banque n’était pas tenue à son égard d’un devoir de mise en garde puisqu’en sa qualité de dirigeant de la holding, il avait une expérience acquise dans la SARL en tant que salarié et à l’objet du prêt, destiné à permettre à la holding de prendre le contrôle de la SARL.

En effet, il ressortait des éléments de l’affaire dont la Cour de cassation a été saisie que le dirigeant de la holding, salarié de la SARL, avait une expérience de cinq ans au sein de cette SARL, il y avait exercé les fonctions de responsable commercial et en avait doublé le chiffre d’affaires par la mise en place d’une réelle stratégie commerciale en lui insufflant un nouvel élan.

Pour précision, si les juges ont statué en indiquant que la banque n’avait pas à mettre en garde le nouveau dirigeant de la société emprunteuse, c’est tout simplement parce que la SARL était la société cible de l’opération, un montage juridique avait été fait pour concrétiser le financement de son rachat par l’endettement.

De même, il en ressortait des éléments de cette affaire que même si le salarié n’avait pas auparavant exercé ses compétences dans une société holding, il était toutefois à même de mesurer, par ses compétences et son ancienneté de cinq ans en tant que responsable commercial de la SARL, le risque d’endettement né de l’octroi du prêt souscrit par la holding, dont il était le gérant, et qui dépendait des résultats de la SARL.

Cet arrêt, même s’il n’est pas si surprenant, permet de rappeler que si la qualité d’emprunteur averti d’une personne morale s’apprécie en la personne de son représentant légal au moment de l’engagement litigieux, cette qualité d’emprunteur averti d’une personne morale doit être corroborée à la fois par une expérience dans la vie des affaires en général et/ou une implication dans le domaine d’activité de la société emprunteuse.

Natal Yitcko Avocat au Barreau de Paris Société d'avocats Chatel et Associés [->avocats@cabinetchatel.fr]

[1Cass, chambre mixte, 29 juin 2007, n°05-21.104, n°255P+B+R+I.

[2Cass, chambre mixte, 7 juillet 2009, n°08-13.536.

[3Cass.com. 5-2-2013 n°11-26.262 F-D : RJDA 5/13 n°444.

[4Cass.com.13-11-2012 n°11-24.178 F-D.

[5Cass.com.11-4-2012 n°10-25.904 FS-PB : RJDA 11/12 n°999, 1e espèce.

[6Cass.com. 4-1-2023 n°15-20.117 F-B, X c/ Sté Banque CIC Nord-Ouest.