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Dettes anciennes : quand des sociétés de recouvrements réunissent le droit de la consommation et le droit pénal. Par Paul-Emile Boutmy, Avocat.
Parution : mercredi 15 février 2023
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Après Eos France, le Parquet enquête sur Credinvest mais c’est surtout un mouvement jurisprudentiel, également civil, qui remet en cause le bien-fondé des actes d’exécution basés sur des titres exécutoires anciens.

L’année 2021 aura été le début d’une révolution jurisprudentielle. En effet, les magistrats ont commencé à qualifier de pratiques commerciales déloyales le fait pour les sociétés de recouvrement de réclamer le paiement d’intérêts qu’elles savaient prescrits, la société Eos France étant la première à se faire attraper.

C’est la raison pour laquelle le 7 octobre 2021, le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris a fait application de l’article 40 du Code de procédure pénale et transmis l’affaire au Parquet, article dont les dispositions sont :

« Le procureur de la République reçoit les plaintes et les dénonciations et apprécie la suite à leur donner conformément aux dispositions de l’article 40-1.
Toute autorité constituée, tout officier public ou fonctionnaire qui, dans l’exercice de ses fonctions, acquiert la connaissance d’un crime ou d’un délit est tenu d’en donner avis sans délai au procureur de la République et de transmettre à ce magistrat tous les renseignements, procès-verbaux et actes qui y sont relatifs
 ».

La société Eos France n’a pas souhaité interjeter appel de cette décision, afin peut-être d’éviter de voir la Cour d’appel de Paris confirmer un tel raisonnement.

Cette décision a été fondatrice puisque, à présent, la plupart des juridictions sanctionnent ces actes par des dommages et intérêts.

En outre, le 1er septembre 2022, le juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris a fait application de l’article 40 du Code de procédure pénale à l’encontre du fonds commun de titrisation Credinvest, dont le recouvreur est la société Eos France, pour ces mêmes pratiques commerciales déloyales.

Nul doute que cette procédure pénale pourrait aboutir à la manifestation de dizaines (voire centaines) de milliers de victimes…

Cette décision a un impact sur les protections juridiques puisque leurs polices prennent en charge les frais d’avocats lorsque l’assuré est victime d’un délit.

Parallèlement, le 14 septembre 2021, la Cour d’appel d’Amiens a déclaré inopposables aux débiteurs les cessions de créances des sociétés Eos France et Intrum au motif que la reprise du recouvrement des dettes particulièrement anciennes à des fins purement spéculatives sur des personnes aux ressources modestes caractérisait une pratique commerciale abusive.

Ce raisonnement a été suivi par la Cour d’appel de Reims et les juges et de l’exécution de La Rochelle, Laval ou encore Boulogne-sur-Mer, et la liste n’a pas fini de s’allonger.

Ainsi, la pratique du recouvrement de vieilles dettes est beaucoup plus surveillée à présent.

Enfin, et c’est sans doute le point le plus important, en suivant le raisonnement du juge de l’exécution du Tribunal judiciaire de Paris, les actes d’exécution réclamant des intérêts prescrits caractérisent le délit de pratiques commerciales déloyales et constituent par nature des fautes civiles.

Or, toutes ces vieilles dettes ont vu leur prescription interrompue par la délivrance en 2018 dans toute la France de commandements de payer valant saisie vente, dans lesquels des intérêts prescrits sont réclamés.

Ces actes sont donc supposés avoir relancé le délai de prescription pour dix ans.

Pourtant, ces actes caractérisent au sens de la jurisprudence actuelle des pratiques commerciales déloyales et sont donc frauduleux.

Or, en application de l’adage selon lequel la fraude corrompt tout, ces actes interruptifs de prescription sont frauduleux et doivent être annulés, ou à tout le moins déclarés inopposables aux consommateurs victimes.

Les juges de l’exécution de Boulogne-sur-Mer et de Laval ont accueilli ce nouveau moyen.

Ces décisions ont d’ailleurs été prises à l’encontre de la société Eos France qui continue ainsi son œuvre fondatrice en matière jurisprudentielle. Les consommateurs lui doivent tant…

Il va sans dire que ce moyen peut être le clou final de cette évolution jurisprudentielle puisque, s’il était confirmé en appel, voire en cassation, la majorité des titres acquis par les sociétés Eos France, Intrum, Cabot, 1640 Finance, Mcs & Associés ou Hoist, pourrait être atteints de prescription.

Fraus omnia corrumpit, et voilà que le latin vient sauver les consommateurs.

Paul-Emile Boutmy Avocat à la Cour d'appel de Paris https://www.avocat-boutmy.com