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Vers la fin du contentieux des clauses d’indexation…
Parution : jeudi 16 février 2023
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La Cour de cassation poursuit son œuvre de tarissement du contentieux des clauses d’indexation. Un nouvel arrêt refuse l’effacement intégral d’une clause comportant un plancher (Cass. 3e civ., 25 janv. 2023, n° 20-20.514)

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Alain Confino

En commentant deux précédents arrêts de la troisième chambre civile de la Cour de cassation du 30 juin 2021 (n° 20-11685 et n°19-23.038), nous nous étions demandé si la formule des baux (devenue banale) selon laquelle la clause d’indexation a un caractère essentiel et déterminant pour le bailleur, qui en 2016 était tenue pour décisive pour justifier le réputé non-écrit intégral de la clause, n’était plus désormais un obstacle à une application « calibrée » de la sanction (« Clause d’indexation d’un bail commercial : l’évolution de la jurisprudence sur le réputé non-écrit », La Veille Permanente, Ed. Législ., 30 juil. 2021).

A cette question, la haute juridiction a apporté depuis lors, par plusieurs arrêts remarqués, une réponse on ne peut plus claire : le caractère « essentiel et déterminant » de la clause n’empêche pas sa divisibilité, la règle, désormais constante depuis un arrêt du 29 novembre 2018 (Cass. 3e civ., n° 17-23.058, FS-P+B+R+I), étant donné que seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite, formule qui a la sonorité d’un texte de loi (bien écrit) (Cass. 3e civ., 12 janvier 2022, n° n° 21-11.169 ; 17 févr. 2022, n°20-20.463 ; 1er juin 2022, n° 20-17.691 ; 28 sept. 2022, n° 21-25.507 ; 23 nov. 2022, n° 21-18.921).

Dans toutes ses décisions, la Cour de cassation a bien pris soin de réaffirmer, approuvant en cela systématiquement les juges du fond, que la clause d’indexation qui exclut toute réciprocité de la variation en prévoyant que l’indexation ne s’effectuerait que dans l’hypothèse d’une variation à la hausse, contrevient à l’article L. 145-39 du code de commerce et doit être réputée non écrite par application de l’article L. 145-15 du même code.

Nous avions relevé, avec une certaine perplexité, que dans leur arrêt du 30 juin 2021 (n°19-23.038), les hauts magistrats avaient circonscrit le fondement textuel de cette règle à l’article L. 145-39 du code de commerce, considérant que l’indexation sans réciprocité « ne crée pas la distorsion prohibée par l’article L. 112-1 du code monétaire et financier » (v. « Le réputé non écrit partiel : la Cour de Cassation enfonce le clou », Lexbase, hebdo édition affaires n° 705 du 10 février 2022). Et nous observions alors qu’en détachant ainsi la sanction de ce type de clause du code monétaire et financier pour la réserver aux baux commerciaux statutaires, la Cour suprême ouvrait ainsi indirectement et dangereusement la porte à l’admission de clauses d’indexation à sens unique dans les autres types de baux ou conventions à exécution successive.

Mais la référence à l’article L. 145-39 c. com. a été seule maintenue depuis lors par la Cour suprême, y compris dans l’arrêt du 25 janvier 2023 ici commenté.
Il reste que l’apport le plus spectaculaire de ces arrêts, dont la plupart sont des arrêts de cassation, a été d’affirmer que l’indivisibilité de la clause, au sens de l’article 1217 du code civil, ne saurait résulter de la seule mention dans le bail de son caractère essentiel et déterminant.

A cet égard, on a remarqué un arrêt de résistance (confirmatif) rendu le 26 octobre 2022 par la cour d’appel de Paris (Pôle 5, ch. 3, n° RG 20/09598) qui non seulement a jugé, au visa tant de l’article L. 112-1 CMF que de l’article L. 145-39 c. com., qu’une clause d’indexation doit suivre sans restriction la variation de l’indice autorisé, ce qui suppose de respecter la réciprocité de la variation, mais encore que la stipulation selon laquelle la clause d’indexation (excluant la baisse du loyer) constitue une condition essentielle et déterminante du bail sans laquelle il n’aurait pas été conclu, suffit à démontrer le caractère essentiel de l’exclusion d’un ajustement à la baisse du loyer à la soumission du loyer à l’indexation dans la volonté des parties, de sorte que la clause doit être réputée non écrite en son entier. Ainsi, tout en admettant que la clause d’indexation en cause était matériellement divisible, les magistrats parisiens ont jugé « nécessaire de procéder à l’interprétation de la clause d’indexation du bail pour apprécier si l’intention des parties était d’appliquer de façon indivisible l’ensemble de cette clause ». Or, dès lors que la commune intention des parties avait été d’assortir le bail d’une clause d’échelle mobile en considération de l’exclusion de la baisse, élément essentiel de l’économie du contrat et condition déterminante de leur consentement au bail, il s’en déduisait, selon la cour d’appel, que sans la limitation de l’indexation aux seuls cas de hausse du loyer, les parties n’auraient pas contracté et en tout cas pas soumis le loyer à une clause d’indexation, ce qui justifiait le réputé non-écrit intégral de celle-ci.

En l’état de la position affirmée et réaffirmée par la troisième chambre civile, un tel arrêt, qui, pour reprendre les formules des arrêts de cassation, a statué « sans relever d’éléments de nature à établir que les parties au contrat de bail n’auraient pas maintenu la clause d’indexation en l’absence de dispositions excluant l’ajustement du loyer à la baisse » (v. par ex. : Cass. 3e Civ., 1er juin 2022, n° 20-17.691) et « par des motifs impropres à caractériser l’indivisibilité », aurait peu de chances d’échapper à la censure en cas de pourvoi…

Mais alors, dans quelles hypothèses pourrait-on encore reconnaître l’indivisibilité pour justifier l’éradication de la clause en son entier ?
Faut-il que les parties aient expressément énoncé que c’est le jeu de la clause à sens unique, et pas seulement l’ensemble de la clause, qui a déterminé le consentement (du bailleur) ? Il s’agirait là d’une pure hypothèse d’école car on n’a jamais vu dans un bail une telle précision qui ne pointerait que la stipulation illicite…

Certes, dans un arrêt rendu le 4 janvier 2023 (Cass. 3e Civ. n° 21-23.412, la Cour de cassation a approuvé la cour d’appel de Bordeaux d’avoir effacé la clause en son entier. Mais la situation n’était pas celle d’une clause d’indexation à sens unique ou à plancher. Il s’agissait en l’occurrence d’un bail renouvelé au 30 août 2005 qui avait reproduit la clause d’indexation du bail initial qui prévoyait un indice de référence du premier trimestre 1997, engendrant ainsi une distorsion qui s’était poursuivie après le 1er septembre 2005. Les magistrats bordelais avaient effacé la clause en son entier dès lors que la stipulation (prohibée par l’article L.112-1 du code monétaire et financier) ne pouvait être retranchée de la clause d’indexation sans porter atteinte à la cohérence de celle-ci et lui était indivisible.

On le comprend aisément : une distorsion d’indices qui repose tout entière sur un mécanisme sans lequel la clause ne peut pas fonctionner, ne peut qu’entraîner le réputé non-écrit intégral, le juge n’ayant le pouvoir que d’effacer l’illicite, non de le réécrire.

Il reste qu’en présence de clauses prévoyant un jeu « à sens unique » ou un « plancher », on ne voit pas bien ce qui s’opposerait aujourd’hui au cantonnement du réputé non-écrit à la seule stipulation illicite.
On en a une nouvelle illustration dans l’affaire qui a donné lieu à l’arrêt commenté du 25 janvier 2023.

Pour effacer en son entier une clause qui prévoyait un « plancher » limitant au montant initial du loyer de base la baisse induite par le jeu automatique de l’indexation, la cour d’appel de Rouen s’était efforcée de caractériser plus soigneusement l’indivisibilité en considérant que « le caractère déterminant de la stipulation concernée apparaît évident au regard de son objet », puisque, selon le pourvoi, le preneur (sic : on suppose qu’il s’agit d’une erreur de plume) avait « manifestement cherché à poser comme condition à son accord que la révision du loyer ne pourrait aboutir à une déflation par rapport au loyer initial » et que « ce caractère déterminant était confirmé par plusieurs stipulations contractuelles, les dispositions de l’article 20-1 du contrat prévoyant que les modalités du loyer sont des conditions constitutives et déterminantes du bail et l’article 11 du contrat disposant que toutes les stipulations du bail sont déterminantes de la conclusion du bail ».

Cette démonstration a cependant laissé insensible la Cour de cassation.
Cette fois, c’est au visa du seul article 1134 du code civil (ici applicable en sa version antérieure à celle issue de l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016) que la troisième chambre civile prononce la censure totale de la décision déférée, au motif que « seule la stipulation prohibée doit être réputée non écrite » et que les juges d’appel ont statué ainsi « sans relever d’éléments de nature à établir que les parties au contrat de bail n’auraient pas maintenu la clause d’indexation en l’absence de dispositions limitant l’évolution du loyer à la baisse et par des motifs impropres à caractériser l’indivisibilité ».

Cette jurisprudence aura une double vertu prophylactique en matière de clauses d’indexation : tarir leur contentieux, et assainir leur rédaction.
Privés de l’arme, redoutable pour les bailleurs, que l’arrêt du 14 janvier 2016 avait offerte aux preneurs, ces derniers devront chercher d’autres voies pour se protéger des vents mauvais de l’inflation galopante.

Alain Confino Avocat à la Cour, Spécialiste en droit immobilier (Cabinet Confino)

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