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Conversations téléphoniques interceptées entre la secrétaire d’avocat et la compagne d’un client : quid du secret professionnel ? Par Frédéric Chhum, Avocat et Marion Coadic, Juriste.
Parution : mardi 21 février 2023
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Il résulte des articles 6, § 3, et 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentales, 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, 100-5 du Code de procédure pénale, issu de la loi n°2010-1 du 4 janvier 2010, que l’interdiction de la transcription des correspondances entre un avocat et son client relevant de l’exercice des droits de la défense s’étend à celles échangées à ce sujet entre l’avocat et les proches de celui-ci.

Il n’en va autrement que s’il apparaît que le contenu ou la nature des échanges sont propres à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction.

En revanche, n’entre pas dans le champ d’interdiction de ces textes, la transcription des conversations interceptées avec les secrétariats des avocats sollicités.

C’est ce qu’affirme la chambre criminelle de la Cour de cassation dans un arrêt du 13 décembre 2022 (n° 21-87.534)

Les cabinets d’avocats doivent donc être très vigilants notamment pour les communications entre leurs secrétariats et les clients ou leurs proches.

1) Faits et procédure.

Dans le cadre de l’information judiciaire ouverte des chefs susvisés, le juge d’instruction a prescrit l’interception des communications téléphoniques sur la ligne attribuée à Mme X, compagne de Mr Y, alors en fuite au Maroc.

Interpellé, celui-ci a été mis en examen, le 23 novembre 2020, des chefs précités.

Par requête déclarée le 3 mars 2021, il a formé une demande d’annulation de la transcription des conversations interceptées entre le 31 août et le 30 septembre 2020.

2) Moyens.

Le moyen critique l’arrêt de la Cour d’appel de Poitiers attaqué en ce :

- « qu’il a rejeté la requête en nullité de Mr Y tendant à voir prononcer la nullité des procès-verbaux portant retranscription des conversations téléphoniques des 3 août, 16 et 30 septembre 2020, entre sa compagne Mme X, et les différents cabinets d’avocats, alors « qu’en vertu du principe de confidentialité des échanges entre l’avocat et son client, qui est à la fois absolu et d’ordre public, la retranscription des conversations échangées entre l’avocat et son client, ne peut être effectuée que s’il existe, au préalable, des indices plausibles de participation de l’avocat à une infraction ;
- que Mr Y faisait valoir que les quatre procès-verbaux portant retranscription des conversations téléphoniques des 3 août, 16 et 30 septembre 2020, entre sa compagne, Mme X, qui intervenait pour son compte comme intermédiaire des différents cabinets d’avocats, n’avaient révélé aucune participation desdits avocats à des infractions et qu’il s’en inférait la nullité de ces procès-verbaux de retranscription ainsi que toute la procédure subséquente ;
- qu’en refusant pourtant de prononcer une telle nullité, en subordonnant expressément l’applicabilité de cette garantie de confidentialité à la désignation officielle de l’avocat dans le cadre d’une procédure pénale, la chambre de l’instruction a ajouté une condition à la loi, en violation des articles 6 et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971, préliminaire, 100-5, 591 et 593 du code de procédure pénale
 ».

3) Réponse de la Cour.

La Cour de cassation casse et annule l’arrêt susvisé de la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Poitiers, en date du 7 décembre 2021, mais en ses seules dispositions relatives à l’irrégularité de la transcription des deux communications entre Mme X et des avocats.

3.1) Sur les conversations transcrites entre les secrétaires des avocats et Mme X.

Pour rejeter le moyen d’annulation pris de l’irrégularité de la transcription de deux conversations interceptées sur la ligne téléphonique de Mme X, l’arrêt attaqué retient qu’elles ne concernent pas les échanges avec des avocats mais avec leur secrétariat et qu’elles n’entrent pas dans le champ de l’interdiction de la loi.

En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a fait l’exacte application des dispositions de l’article 100-5, alinéa 3, du code de procédure pénale.

3.2) Mais sur les conversations transcrites entre les avocats et Mme X.

Vu les articles 6, § 3, et 8 de la Convention européenne des droits de l’homme, 66-5 de la loi du 31 décembre 1971, 100-5 du Code de procédure pénale, issu de la loi n°2010-1 du 4 janvier 2010 :
Il résulte de ces textes que l’interdiction de la transcription des correspondances entre un avocat et son client, relevant de l’exercice des droits de la défense, s’étend à celles échangées à ce sujet entre l’avocat et les proches de celui-ci. Il n’en va autrement que s’il apparaît que le contenu et la nature des échanges sont propres à faire présumer la participation de cet avocat à une infraction.

Pour rejeter le moyen d’annulation pris de l’irrégularité de la transcription de deux autres conversations interceptées sur la ligne téléphonique de Mme X, entre celle-ci et des avocats, qu’elle a successivement sollicités afin que l’un d’eux assure la défense de son compagnon, Mr Y, l’arrêt attaqué retient qu’elles ne concernent pas la défense de la personne placée sous surveillance.

Les juges constatent que, pour l’un, il n’a été donné aucune suite à cet échange et que, pour l’autre, Mr Y n’était pas encore son client à la date de la communication.

En se déterminant ainsi, la chambre de l’instruction a méconnu les textes susvisés et les principes ci-dessus rappelés pour les motifs qui suivent.

En premier lieu, il ressort des procès-verbaux de transcription de ces conversations, dont la Cour de cassation a le contrôle, qu’elles relèvent de l’exercice des droits de la défense de Mr Y.

En second lieu, il ne résulte pas des conversations transcrites qu’elles sont de nature à faire présumer la participation de l’un ou l’autre des avocats à une infraction.

La cassation est par conséquent encourue de ce chef.

4) Analyse de la décision.

L’article 100-5 du code de procédure pénale (dans sa version issue de la loi du 4 janvier 2010) dispose que :

« à peine de nullité, ne peuvent être transcrites les correspondances avec un avocat relevant de l’exercice des droits de la défense ».

La chambre criminelle affirme que les conversations téléphoniques entre un avocat et son client, et un proche de celui-ci, sont soumises à la confidentialité des échanges.

Elles ne peuvent être interceptées pour écoute dès lors que ces conversations relèvent des droits de la défense et qu’elles ne laissent pas présumer de la participation de l’avocat à une infraction.

La Haute juridiction ne souhaite pas limiter cette protection du secret professionnel aux stricts échanges entre l’avocat et son client mais entend l’étendre aux proches de la personne mise en cause lorsque les échanges se fondent sur les droits de la défense.

Ceci doit être approuvé.

Toutefois, ces dispositions s’appliquent uniquement lorsqu’il s’agit de conversations directes entre un avocat et son client/ un proche (en l’occurrence la compagne de l’intéressé).

La solution diffère lorsque les conversations sont interceptées par le secrétariat des avocats concernés.

Les juges du fond ont considéré que n’entrent pas dans le champ de l’interdiction de la loi, la transcription des conversations interceptées avec les secrétaires des avocats sollicités, le secret des correspondances n’est pas applicable.

Les cabinets d’avocats doivent donc être très vigilants notamment pour les communications entre leurs secrétariats et les clients ou leurs proches.

Sources :
- Cass. Crim., 13 décembre 2022, n°21-87.435 ;
- Article 66-5 de la loi n°71-1130 du 31 décembre 1971 ;
- Article 100-5 du Code de procédure pénale, issu de la loi n°2010-1 du 4 janvier 2010.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum