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« Affaires Nivolumab et Pembrolizumab » : la Cour de cassation clarifie l’interprétation de l’article 3 a) du Règlement CCP. Par Matthieu Dhenne, Avocat.
Parution : mercredi 15 février 2023
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Par deux arrêts rendus le 1er février 2023, la Cour de cassation a cassé les arrêts de la Cour d’appel de Paris qui avaient confirmé les rejets par l’INPI des certificats complémentaires de protection (« CCP ») relatifs aux Nivolumab et Pembrolizumab.
À cette occasion la Haute juridiction a clarifié l’interprétation de l’article 3 a) du règlement (CE) n° 469/2009 (le Règlement « CCP »).

La Haute juridiction a clarifié l’interprétation de l’article 3 a) du règlement (CE) n° 469/2009 (le Règlement « CCP »), c’est-à-dire quand il convient de considérer si un produit est protégé ou non par un brevet de base lorsqu’il n’est revendiqué que de manière fonctionnelle dans ledit brevet, sans y être expressément nommé ni identifié structurellement.

L’approche retenue correspond au revirement déjà effectué depuis par la Cour d’appel de Paris dans l’affaire Avelumab.

En l’espèce, ONO Pharmaceutical et le Professeur H. avaient déposé une demande de CCP (n° 15C0088), fondée sur le brevet européen 1 537 878 (ci-après EP’ 878) et sur une autorisation de mise sur le marché (AMM) n° EU/1/15/1014 pour le nivolumab, accordée à la société Bristol-Myers Squibb Pharma GEIE.
Sur la base de ce même brevet, ONO Pharmaceutical & Professor H. avaient par la suite déposé une seconde demande de CCP (n° 16C0001) le 6 janvier 2016, basée sur l’autorisation de mise sur le marché (AMM) n° EU/1/15/1024 pour le Pembrolizumab, accordée à Merck Sharp & Dohme. L’INPI a rejeté ces deux demandes de CCP par deux décisions du 02 mars 2018, qui ont été confirmées par la Cour d’appel de Paris le 19 janvier 2021.
Ces deux arrêts d’appel ont été cassés par la Cour de cassation dans son arrêt du 1er février 2023.

Dans les deux affaires le brevet de base portait sur des « compositions immunopotentielles », il revendiquait en particulier un « anticorps anti-PD-1 qui inhibe le signal immunosuppresseur de PD-1 pour l’utilisation dans le traitement du cancer.

La Cour de cassation était interrogée sur la validité des critères adoptés par la Cour d’appel de Paris pour juger que le Nivolumab et le Pembrolizumab, qui n’étaient pas expressément nommés ni identifiés structurellement, mais seulement revendiqués fonctionnellement dans le brevet de base, n’étaient pas « protégés par » le brevet de base sur lequel étaient fondées les demandes de CCP au sens de l’article 3 a) du règlement CCP.

Il convient de rappeler que la CJUE s’est déjà prononcée à plusieurs reprises sur ce sujet. Dans l’affaire TEVA, la Cour a précisé que l’enregistrement d’un CCP était possible si « du point de vue d’un homme du métier et à la lumière de la description et des dessins du brevet de base », « les revendications [du brevet de base] se rapportent nécessairement et spécifiquement » au produit [1], tandis que dans l’affaire Royalty Pharma la même Cour a précisé qu’un enregistrement de CCP était impossible si le produit en cause pouvait être obtenu via une « activité inventive indépendante » du brevet de base [2]. Si toutes les informations nécessaires avaient été divulguées et que l’homme maîtrisait les techniques lui permettant d’aboutir au produit fonctionnel avant le dépôt du CCP ultérieur, il faut considérer que ledit produit n’est pas couvert par le brevet de base au sens de l’article 3 du Règlement s’il a exigé une activité inventive indépendante.

L’INPI et la Cour d’appel de Paris avaient en l’occurrence considéré que le Nivolumab et le Pembrolizumab étaient implicitement et nécessairement couverts par le brevet de base, parce qu’ils entraient dans la définition fonctionnelle contenue dans les revendications dudit brevet. Les demandes de CCP ont cependant été rejetées, notamment en raison de l’enregistrement de brevets ultérieurs couvrant la structure des anticorps, plusieurs années après la date de dépôt du brevet de base. Selon la Cour d’appel, le temps nécessaire pour déposer ces brevets était un indicateur fort de la complexité des recherches à effectuer et de la nécessité de démontrer, sur la base du EP’ 848, une « activité inventive indépendante » pour développer ces anticorps.

La Cour de cassation a cassé ces décisions d’appel, parce que la Cour d’appel avait omis d’effectuer deux analyses.
Premièrement, elle aurait dû rechercher si les méthodes de développement d’anticorps monoclonaux étaient bien connues de l’homme du métier au moment du dépôt de la demande dont le brevet EP’ 878 était issu, et si ce brevet EP’ 878, dans sa description, décrivait comment cribler les anticorps pertinents pour identifier ceux qui remplissent la fonction de l’invention, c’est-à-dire ceux qui inhibent le « signal immunosuppresseur PD-1 ».
En second lieu, la Cour devait également « rechercher si l’homme du métier pouvait, à la lecture du brevet et en utilisant ses connaissances générales, obtenir, par une opération de routine, tous les anticorps remplissant la fonction visée par le brevet, y compris le Nivolumab et le Pembrolizumab ».

Ces décisions sont à rapprocher de celle qui a été rendue par la Cour d’appel elle-même dans l’affaire Avelumab [3], qui concernait également un anticorps anti-PD-1, et dans laquelle ladite Cour était déjà elle-même revenue sur sa jurisprudence pour infirmer une décision de l’INPI relative à l’Avelumab. En l’occurrence la prise en compte de la décision Royalty Pharma avait également été décisive, en particulier du critère d’activité inventive indépendante. Ainsi, la Cour de cassation casse deux décisions rendues par la Cour d’appel de Paris, mais valide la méthode que cette dernière a déjà utilisé dans l’affaire Avelumab.

Cette clarification bienvenue va sans doute faciliter la recevabilité des demandes de CCP en ce qu’elle oblige l’INPI comme les tribunaux à soigneusement motiver un rejet en expliquant comment l’homme du métier serait arrivé au produit fonctionnel, au regard de la fonction de l’invention, des informations disponibles dans le brevet de base (exemples, etc.) et de ses connaissances générales, en ne déployant pas d’activité inventive indépendante.

Matthieu Dhenne Avocat à la Cour, Docteur en droit Barreau de Paris https://www.dhenne-avocats.fr