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Caractérisation de l’infraction de faux à l’avantage de la victime. Par Lily Ravon, Avocate.
Parution : jeudi 16 février 2023
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L’imitation par le mari de la signature de sa femme ayant subi un grave accident sur un contrat de prêt dans un but altruiste et utilitaire sans engendrer de dilapidation de la fortune des époux constitue-t-il pour autant un préjudice de nature à caractériser l’infraction de faux ? La Cour de cassation répond par la positive.

Le mari avait imité la signature de sa femme pour contracter deux prêts : l’un destiné à financer des travaux pour adapter la maison des époux au lourd handicap de la femme résultant de son accident, et l’autre destiné à racheter un crédit.

Or, pour caractériser l’infraction de faux, le code pénal n’exige pas la réalisation effective d’un préjudice :
« Constitue un faux toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques » (Article 441-1 du code pénal).

La Cour de cassation a d’ailleurs précisé que la caractérisation de faux ne requiert qu’« un préjudice éventuel, et non pas un préjudice actuel » (c. Saas, obs. ss Crim. 18 mai 2005, n°04-84.742).

Surfant sur cette vague, les juges du fond avaient estimé que le préjudice n’était pas qualifié, les prêts souscrits ne résultant pas d’un stratagème mis en place par le mari mais ayant plutôt été souscrits dans un but altruiste et utilitaire, pour permettre à sa femme de se mouvoir avec davantage d’autonomie dans leur maison, et sans utilisation disproportionnée des deniers du couple.

Ainsi, « ils en déduisent que [l’époux] ne s’est livré à aucune manœuvre afin d’obtenir les prêts apparaissant causés conformément à leur objet, et qu’il n’a pas cherché à tirer avantage de la situation ainsi créée ».

La chambre criminelle de la Cour de cassation s’oppose à cette analyse et estime que le préjudice est caractérisé dès lors que, « par l’effet de cette signature, [l’épouse s’est retrouvée] engagée en qualité de co-emprunteuse dans l’exécution de chacun des contrats finalement souscrits ».

Autrement dit, l’imitation de la signature de l’épouse pour souscrire à un prêt, même dans un objectif profitable à cette dernière, caractérise un préjudice et, par sa suite, l’incrimination de faux.

Cet arrêt n’est cependant pas surprenant au vu de la jurisprudence qui a, par le passé, précisé que le faux était punissable dès lors qu’il faisait supporter une charge supplémentaire, par exemple en engageant la responsabilité de la victime (Crim. 15 septembre 1999, n°98-85.350 ; crim. 1er décembre 2010, n°10-80.771).

En résumé, le préjudice lié à l’infraction de faux est caractérisé dès l’imitation de signature sur un acte de prêt, quand bien-même l’objectif de cette signature serait à l’avantage de la victime.

Référence de l’arrêt : Cass. crim., 19 octobre 2022, n°21-84.468

Lily Ravon, avocate au barreau de Paris en contentieux des affaires