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Association française des Avocats LGBT+ : sensibiliser pour libérer la parole.
Parution : mardi 21 février 2023
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L’Association française des Avocats LGBT+ a été fondée en janvier 2018, à l’initiative de quatre avocats aux barreaux de Paris et de Marseille.
La Rédaction du Journal du Village de la Justice s’est rapprochée de Claire Civeyrac et Guillaume Marquis, tous deux avocats inscrits à Paris et co-présidents de l’Association, pour qu’ils nous expliquent leurs activités et ce qui fait la particularité de leurs actions.

Interview publiée dans la revue Journal du Village de la Justice n°99.

Actu Juin 2023 :

"Le Conseil national des barreaux (CNB), l’Ordre des avocats de Paris, et l’Association française des avocats LGBT+ (AFALGBT+) ont défilé le 24 juin 2023 à la Marche des Fiertés pour dénoncer les agressions et toutes les formes de discrimination.
En 2022, d’après le bilan annuel du Service statistique ministériel de la sécurité intérieure, les services de police et de gendarmerie ont enregistré 4 040 atteintes "anti-LGBT+", 2 420 crimes ou délits et 1 620 contraventions.

Alors que les mentalités évoluent sur les droits des personnes LGBT+, les agressions à leur encontre vont grandissant. La Marche des Fiertés est, depuis des décennies, l’événement annuel majeur au cours duquel la société civile revendique l’égalité des droits.
Cette année encore, le samedi 24 juin 2023, les avocats ont défilé auprès des associations en faveur de l’égalité des droits pour toutes et tous et rappelleront leur opposition ferme à toutes les discriminations et toutes les formes de violence."


Journal du Village de la Justice : L’association est assez jeune. C’est un peu surprenant que rien n’ait été formalisé plus tôt ?

Claire Civeyrac : « En effet. L’association a été créée il y a 5 ans par quatre confrères et consœurs intervenant principalement en droit de la famille. Et c’est vrai que lorsque Guillaume et moi avons prêté serment en 2015, nous avons été surpris de constater qu’aucune structure n’ait été créée avant. Mais il est vrai que ce n’est pas évident de se dire, individuellement, je vais créer une association. Dès que nous en avons appris sa constitution, nous avons donc adhéré et participé aux premiers ateliers. Guillaume en moi en avons repris la co-présidence en janvier 2022 ».

Vous êtes une association d’avocat(e)s, du barreau de Paris. Est-ce ouvert plus largement ?

Une association nationale qui souhaite accélérer sa présence et son activité auprès de tous les barreaux.

Guillaume Marquis : « Oui. Nous sommes une association nationale.
La grande majorité de nos quelques 200 membres sont parisiens, mais nous sommes également très bien représentés à Nantes. Nous avons un pôle très dynamique dans le sud de la France, notamment à Marseille. Et puis nous avons des représentants des différents barreaux, par exemple à Valenciennes et à Fort-de-France.
Mais nous sommes une association “de palais”, enregistrée auprès de l’Ordre des Avocats de Paris, et réservés aux avocat(e)s. Nos statuts ne permettent pas l’adhésion de magistrats ou de juristes d’entreprise, même si plusieurs nous ont dit vouloir nous rejoindre. Mais bien sûr, nous sommes toujours contents de travailler et d’échanger avec d’autres professions du droit sur les sujets qui nous intéressent ».
C. C. : « Il est vrai que 85 % de nos membres sont inscrits au barreau de Paris, comme nous deux d’ailleurs, mais d’autres membres de notre conseil d’administration sont inscrit(e)s en région. Nous sommes bien l’association française des avocats LGBT+.
Nous aimerions donc réussir à développer la présence et l’activité de l’association dans d’autres barreaux, parce que les besoins d’accompagnement, de sensibilisation, etc. existent un peu partout. Donc que les confrères et consœurs intéressés partout en France n’hésitent pas à nous contacter et à nous rejoindre » !

Quelles sont les missions et les activités de l’Association ?

G. M. : « Initialement, l’association a été créée pour venir en soutien aux consœurs et confrères discriminés dans l’exercice de la profession, en raison de leur orientation sexuelle ou de leur identité de genre.
Comme Claire le disait, c’était la première association d’avocats LGBT (la seule d’ailleurs !). Cela a eu un effet sur nos activités. Il se trouve en effet que, très vite, d’autres associations, des parlementaires, des ministres et même le Conseil d’État sont venus vers nous, en se disant : “génial, nous allons pouvoir trouver des juristes qui ont une appréciation fine et une connaissance approfondie de ces sujets”. Donc, assez vite, l’Association a développé un pôle de Réflexion et nous avons été sollicités pour émettre des avis sur divers projets de loi. Ce pôle organise aussi des formations à l’attention des confrères et des consœurs, des directions juridiques et de toute personne intéressée par nos problématiques, en droit du travail, en droit pénal, etc.
Nous avons aussi un pôle Entraide, qui est particulièrement actif à Nantes par exemple, et qui assure des permanences gratuites [1]. En travaillant avec d’autres associations, cela nous permet vraiment de créer des écosystèmes vertueux.
La 3e branche de notre activité est notre pôle Convivialité. C’est un lieu d’échange entre confrères et consœurs qui fonctionne très bien, avec des rencontres mensuelles et, avec le soutien du CNB et du Barreau de Paris, la participation de la profession à la Marche des Fiertés ».

Peut-on dire que l’association a une activité de lobbying, auprès des pouvoirs publics notamment ?

"Nous voulons avancer sur ces questions et enclencher des changements positifs". (C. Civeyrac).

C. C. : « Il y a d’autres associations LGBT qui ont cette activité de lobbying depuis de nombreuses années et qui le font très bien. Mais dès que nous pouvons porter des messages auprès notamment des instances professionnelles, nous le faisons. Nous avons rencontré les Commission Égalité du CNB et du barreau, il y en a au sein d’autres barreaux aussi d’ailleurs et j’espère que nous allons encore pouvoir travailler ensemble pour voir comment améliorer les choses. Nous voulons tous avancer sur ces questions et enclencher des changements positifs, notamment sur la discrimination au sein de la profession ».

G. M. : « En effet, l’association ne mène pas d’action de lobbying direct. C’est-à-dire que nous ne tirons jamais la manche d’un député ou d’un sénateur ou autre, pour lui dire “il faut bosser sur cette question”. C’est même complètement l’inverse ! Ce sont les parlementaires qui travaillent sur des sujets intéressant les personnes LGBT qui viennent nous voir spontanément.
Il est vrai que nous sommes assez rapidement identifiés, parce que nous sommes la seule asso de “juristes” LGBT et il y a de fortes attentes à notre endroit, sur les questions juridiques, type connaissance de la jurisprudence.

C’est très challengeant d’ailleurs ! Notre réelle valeur ajoutée est en effet que, parmi nos membres, nous avons de vrai(e)s spécialistes. Ça a par exemple été le cas lors des discussions sur la loi interdisant les thérapies de conversion : avec d’autres associations, nous avons pu participer à la construction de la loi, avec des échanges très fructueux et des apports juridiques qui n’avaient pas forcément été identifiés dès le départ. Même chose d’ailleurs avec la loi bioéthique, nos interlocuteurs sont ravis d’avoir des praticiens qui connaissaient parfaitement les enjeux humains et de technique juridique ».

Les discriminations en raison de l’orientation sexuelle et du genre ont (encore) lieu au sein de la profession ?

"La lutte contre les discriminations doit être complétée par une formation en management inclusif dans les cabinets" (G. Marquis).

G. M. : « Je dirais que, globalement, dans le monde des avocats, nos cadres de travail sont majoritairement constitués de (micro-)TPE/PME, les « petits » cabinets donc. Et, pour cette raison, nous nous retrouvons confrontés à la difficulté de porter un message d’inclusion et de diversité au sein de ces structures, qui ont déjà beaucoup d’autres choses à faire, dossiers, tâches administratives, recrutement, etc. Ce qui fait, qu’en pratique, la bonne parole ne peut passer que par le relai des Ordres et du CNB. Nos institutions sont déjà très impliquées, des procédures vraiment bien pensées ont été mises en place, etc.
Je pense, à titre personnel que ce travail de lutte contre les discriminations doit être nécessairement complété par une formation en management inclusif dans les cabinets, même si, ne soyons pas naïf(ve)s, ce ne sont pas 2 heures de formation obligatoire qui changeront clairement les choses.

Le « test ultime » comme je dis souvent, c’est celui du test de la machine à café du lundi matin. Vous arrivez au bureau, vous prenez un café avec votre collègue ou votre associé(e) : est-ce que vous vous sentez dans un espace où vous pouvez dire : “j’étais en week-end avec mon époux ou avec ma compagne ?” Si vous sentez suffisamment libre pour parler de votre vie privée, parce que vous savez que ça n’aura aucune répercussion avec l’associé(e) en question (qui ne va donc pas vous prendre en grippe ou vous retirer des dossiers) ou avec des collaborateurs, à qui ça ne posera pas de problème, tout va bien. Mais si vous craignez de révéler cette partie de votre vie privée, alors que l’immense majorité des personnes le font, racontent leur week-end, etc., alors il y a des questions à se poser : il y a soit une crainte infondée, soit un problème de message du cabinet ».

Y a-t-il aussi, toujours, une question de libération de la parole ?

"On voit clairement un changement de positionnement, avec une génération qui n’est pas prête à tout accepter" (C. Civeyrac).

G. M. : « Oui. La principale difficulté à laquelle nous sommes confrontés, c’est en effet celle de la libération de la parole. Des personnes qui sont victimes de discriminations ne parlent pas, en se disant : “le barreau de Paris est un tout petit milieu, tout le monde va être au courant et je ne retrouverais jamais de collab’, etc.”. Là, nous avons un important travail de communication à faire et c’est un travail de longue haleine.

Cela dit, ce que l’on peut aussi constater au cours de nos échanges avec les élèves-avocats, c’est qu’ils sont assez bien informés. Par rapport à ce que nous avons connu, il y a une vraie différence de culture et de narration au sein de la profession et nous ne pouvons que nous en réjouir. Mais la crainte d’être pointé(e) du doigt, certainement infondée pour beaucoup, reste encore très présente chez les élèves-avocats ».

C. C. : « Nous sommes en effet intervenus à l’EFB en décembre 2022, pour présenter l’association et parler des discriminations au sein de la profession. Il y a des statistiques grâce à la COMHADIS [2] notamment et les chiffres du Défenseur Des Droits. Nous voyons clairement que les élèves-avocats sont déjà au courant des risques de discrimination et de leurs droits. Il y a encore des points à améliorer et chacun s’y attèle sincèrement, même si tout ne changera pas du jour au lendemain. Mais on voit clairement un changement, je pense, de positionnement, avec une génération qui n’est pas prête à tout accepter comme d’autres ont parfois dû le faire avant elle. Et ça, c’est très positif, motivant et encourageant » !

Retrouvez l’interview dans la revue Journal du Village de la Justice n°99.

Interview de Claire Civeyrac et Guillaume Marquis réalisée par A. Dorange, Rédaction du Journal du Village de la Justice.

[1NDLR : des permanences d’information pro bono sont proposées à un public LGBT+ non avocat.

[2Commission harcèlement et discrimination du Barreau de Paris.