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Discriminations au travail : comment gagner son procès en 2023. Par Judith Bouhana, Avocat.
Parution : lundi 20 février 2023
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Assurément un sujet d’actualité, les discriminations font l’objet d’un plan national de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et les discriminations présentées par le gouvernement le 30 janvier 2023.
Parmi les mesures prévues, figurent entre autres les tests de discrimination pendant les recrutements, la dénonciation publique des entreprises aux pratiques discriminatoires, une amende civile en plus de la réparation du préjudice du salarié discriminé, une action de groupe des organisations syndicales.

Faisons un point sur les dernières décisions reconnaissant le traitement discriminatoire du salarié en entreprise et analysons les preuves qui ont convaincu les juges :

1. La discrimination liée à l’origine : 2 arrêts.

1er arrêt [1] :

Un salarié promu manager de direction adjoint reproche une discrimination en raison de son origine maghrébine de son supérieur hiérarchique.

On observe dans cette décision l’importance d’apporter des témoignages précis et concordants, et de ne pas hésiter à dénoncer les faits discriminatoires si et dès qu’il vous est possible de le faire.

Ici les pièces produites par l’employeur attestaient d’un comportement bienveillant du supérieur hiérarchique.

Mais la cour relevait que « ces derniers n’ont pas travaillé directement en présence (du supérieur hiérarchique et du salarié) et aucun d’eux n’a pu constater directement le comportement adopté par (le supérieur hiérarchique) à l’égard de l’appelant... Or il résulte des témoignages concordants produits (par le salarié) que (le N + 1) ne se comportait pas de la même manière avec (le salarié) et les autres Directeurs de la société X ».

La cour relève également une mesure inappropriée : « au lieu d’appuyer l’avancement du salarié au poste de directeur dans l’entreprise, le N + 1 lui a notifié sa mutation en qualité de simple adjoint de Direction » et que le salarié avait alerté les représentants du personnel « sur l’attitude (du N + 1) à son égard et rapporté le mal-être qui en résultait ».

2ème arrêt [2] :

Une agent d’escale commerciale prend acte de la rupture de son contrat de travail « faisant valoir être la seule salariée de couleur à faire notamment l’objet d’un refus d’appliquer la qualification qui lui avait été pourtant donnée par son avenant à son contrat de travail.... (Et qui) a postulé à 22 offres d’emploi en interne... systématiquement écartée sans passer d’entretien ni recevoir des explications... situation dénoncée par mail... ».

L’employeur justifiait avoir fait évolué la salariée par des formation en lien avec son profil, ce que la cour considère « sans incidence à l’égard de la discrimination relevée par la salariée ».

L’employeur ajoutait sans preuve « qu’il était normal et habituel… que le service traitant la candidature reçue ne réponde pas en cas de rejet de celle-ci », mais la cour lui répond qu’aucune de ces explications n’est de nature « à caractériser les raisons précises, vérifiables et objectives pour lesquelles les candidatures de l’appelante n’ont pas été retenues ».

Et la cour rappelle que

« l’existence d’une discrimination n’implique pas nécessairement une comparaison avec la situation d’autres salariés (et que l’employeur) n’établit pas que l’absence d’application de la classification contractuelle ainsi que le rejet des candidatures internes de l’appelante était justifié par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination en raison de l’origine de la salariée ».

2. La discrimination syndicale [3].

Une formatrice sollicite la résiliation judiciaire de son contrat de travail pour discrimination liée à son activité syndicale.

Elle constate que pendant plus de 20 ans sa longue carrière n’a donné lieu à aucune évolution de sa position 3A, que son salaire figure parmi les plus bas et est inférieur à la moyenne des 42 autres salariés du panel présenté par l’entreprise.

Elle ajoute que son manager émet de nombreuses critiques à l’égard de son mandat syndical : « les difficultés de gestion sont extrêmes au point que le management n’arrive plus à suivre… cela pose un problème majeur d’organisation niveau opérationnel… le travail entrecoupé, très souvent interrompu par les problématiques liées à son mandat… ».

Mais selon la cour, le seul fait que la carrière de la salariée soit à temps partiel ne peut expliquer le ralentissement de sa carrière (ce serait en soit discriminatoire), la réduction du temps de travail qu’elle a demandé ne justifie pas non plus les effets négatifs sur sa carrière et sur sa rémunération pendant de nombreuses années.

La cour remarque que l’employeur ne justifie « d’aucune décision positive dans le sens d’une amélioration de l’organisation de travail tenant compte des contraintes liées à l’exercice des mandats ».

Enfin, le fait que la quasi-totalité des salariés composant le panel soient restés en position 3A (comme la salariée discriminée) ne constitue pas non plus une explication objective alors que le panel ne tient pas compte de « l’ancienneté du personnel concerné apparemment majoritairement inférieure à celle très conséquente de la salariée » et que les salariés du panel ont quasiment tous quittés l’entreprise avant le propre départ de la salariée discriminée.

L’employeur « ne justifie (donc pour la cour) l’inégalité dans l’évolution de la carrière et du traitement de la salariée par aucun élément objectif étranger à la discrimination ».

3. La discrimination liée à la santé du salarié [4].

Une chef de service embauchée en 2002 fait l’objet d’un arrêt de travail 8 ans plus tard pour une maladie d’origine non professionnelle.

Elle reprend son travail dans le cadre d’un temps partiel thérapeutique entrecoupé d’arrêts maladie et de reprise à temps partiel thérapeutique, avec un aménagement de son temps de travail incluant une demi-journée de repos en milieu de semaine.

Trois ans plus tard, elle est de nouveau en arrêt de travail pour maladie et déclarée inapte à tout poste de l’entreprise quelques mois après, elle fait l’objet d’un licenciement pour inaptitude et impossibilité de reclassement.

La salariée évoque une discrimination à raison de santé aux motifs que son employeur n’a pas respecté les préconisations du médecin du travail en aménagement de son poste et en adaptant sa charge de travail à son état de santé et à son temps partiel thérapeutique.

Constatant que ces faits sont établis la cour observe que l’employeur n’a pas adapté sa charge de travail pendant ses périodes d’emploi à temps partiel thérapeutique, qu’il n’a pas respecté l’aménagement des horaires de travail préconisés par le médecin du travail et qu’il a fait réaliser à la salariée des heures supplémentaires.

Vainement l’employeur explique que la salariée a retrouvé son poste de travail après chaque arrêt maladie et a conservé l’ensemble de ses avantages, la cour relevant qu’il n’explique pas l’inadaptation du temps de travail par rapport aux préconisations du médecin du travail.

La discrimination en raison de l’état de santé est reconnue par la cour.

4. La discrimination liée à l’état de grossesse [5].

Dans cette décision, la salariée expose 3 arguments à l’appui de la discrimination liée à l’état de grossesse dont un seul est retenu par la cour :

Une infographiste en congé maternité puis en congé parental d’éducation reprend à temps partiel avant de prendre acte de la rupture de son contrat de travail invoquant une discrimination liée à sa grossesse aux 3 motifs suivants :
- Une régularisation tardive d’une journée décomptée à tort de son bulletin de salaire ;
- Une réponse tardive de son employeur à sa demande d’une réduction de temps de travail sur 4 jours obtenue près de 2 mois après et uniquement sur 5 jours ;
- La décharge du tutorat d’un alternant qu’elle n’a pas retrouvé à son retour de congé maternité.

La cour écarte l’erreur sur le bulletin de salaire résultant d’une méprise et non d’une discrimination ainsi que la décharge du tutorat après congé maternité qui est « suffisamment objectivée par les besoins d’encadrement et de suivi d’un alternant » pendant le congé de maternité de la salariée et maintenu à son retour.

Seul est retenu le délai de près de 2 mois pour répondre à la demande de réduction du temps de travail de la salariée, l’employeur arguant « de circonstances estivales sans expliciter l’organisation de ses services pendant l’été susceptible d’expliquer le délai pris ».

Il en est de même du refus des 4 jours de travail sollicités par la salariée de retour de congé maternité, « sans préciser ni justifier de ce besoin (de 5 jours de travail) pour l’organisation de ces services » ni des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.

La cour retient donc la discrimination à raison de l’état de grossesse de la salariée.

5. La discrimination liée au sexe [6].

Une salariée cadre commerciale démissionne invoquant une discrimination liée au sexe pour le non-respect de la loi en matière de rémunération sans distinction de sexe.

L’employeur invoque les diplômes des trois salariés avec lesquels la salariée se compare.

La cour constate que « la seule différence de diplôme ne permet pas de fonder une différence de rémunération entre les salariés qui exercent les mêmes fonctions » dès lors que ces diplômes n’apparaissent « pas utiles à l’exercice des fonctions occupées par ces salariés (diplôme d’ingénieur des techniques aéronautiques et construction automobile pour l’un, diplôme en génie option travaux publics et bâtiment pour l’autre, BTS Action commerciale pour le troisième, alors que l’entreprise commercialise des panneaux de parement en brique destinés à l’isolation des façades de bâtiments »).

L’employeur évoque ensuite une rémunération globale perçue par la salarié qu’il considère comme « toujours supérieure à celle perçue par ses collègues de travail hommes », alors que la cour relève que cette rémunération totale « perçue par la salariée résulte d’une part variable plus élevée compte tenu de son ancienneté dans la société » induisant une majoration de son commissionnement mais qui « ne saurait être de nature à dédouaner de l’employeur dans cette décision de servir (à la salariée) une rémunération fondée sur une base fixe et une part variable moindre que celle de ses collègues masculins ».

Sur l’expérience professionnelle des trois salariés comparée à celle de la salariée la cour relève que la salariée dispose d’une expérience comparable : « plus de 20 ans dans le bâtiment et près de 14 ans dans les façades… tous devaient assurer de la même façon le suivi des devis et des chantiers… les travaux confiés aux salariés étaient identiques et exigeaient un ensemble comparable de connaissances professionnelles ».

La société ne rapporte pas la preuve

« d’éléments objectifs, pertinents et matériellement vérifiables justifiant cette différence de rémunération et sa décision de verser une rémunération fixe et une part variable moindre (à la salariée) que celles versées à ses collègues masculins, la réalité de l’inégalité de traitement… liée au sexe de la salariée (est retenue) dès lors que ses collègues masculins de niveau inférieur percevaient une rémunération fixe équivalente ou bien supérieure à la sienne ».

La bataille est toujours rude pour le salarié discriminé qui bénéficie néanmoins d’un système de preuve facilité (en savoir plus Salariés, contestez les discriminations dont vous êtes victimes en 2022 (1ère partie)).

Judith Bouhana Avocat spécialiste en droit du travail www.bouhana-avocats.com

[1Cour d’Appel d’Aix-en-Provence 27 janvier 2023 RG n°19/09928.

[2Cour d’Appel de Paris 18 janvier 2023 RG n°20/00 86.

[3Cour d’Appel de Versailles 19 janvier 2023 RG n°21/01283.

[4Cour d’Appel de Grenoble 26 janvier 2023 RG n°21/01134.

[5Cour d’Appel de Grenoble 12 janvier 2023 RG n°21/00968.

[6Cour d’Appel de Versailles 11 janvier 2023 RG n°20/02858.