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« Je verrai toujours vos visages » : enfin une sensibilisation à grande échelle sur la justice restaurative en France. Par Sylvia Goudenege, Avocat.
Parution : lundi 20 février 2023
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Le 29 mars 2023 le nouveau film de la réalisatrice Jeanne Herry « Je verrai toujours vos visages » [1] sort dans les salles de cinéma françaises.
Dans son troisième long-métrage, la cinéaste a fait appel à un casting impressionnant (Leïla Bekhti, Adèle Exarchopoulos, Gilles Lellouche….) pour parler d’un sujet encore largement méconnu en France : la justice restaurative.

Introduite dans notre droit positif français par la loi du 15 Août 2014, force est de constater que cette pratique est encore peu connue, et encore trop peu mise en œuvre.

Pourtant, ce modèle de justice complémentaire à un procès pénal ouvre les portes à de nombreux espoirs tant pour les victimes, que pour les auteurs, et de façon plus générale, pour notre société.

Conformément aux dispositions de l’article 10-1 du Code de procédure pénale :

« A l’occasion de toute procédure pénale et à tous les stades de la procédure, y compris lors de l’exécution de la peine, la victime et l’auteur d’une infraction, sous réserve que les faits aient été reconnus, peuvent se voir proposer une mesure de justice restaurative.

Constitue une mesure de justice restaurative toute mesure permettant à une victime ainsi qu’à l’auteur d’une infraction de participer activement à la résolution des difficultés résultant de l’infraction, et notamment à la réparation des préjudices de toute nature résultant de sa commission. Cette mesure ne peut intervenir qu’après que la victime et l’auteur de l’infraction ont reçu une information complète à son sujet et ont consenti expressément à y participer. Elle est mise en œuvre par un tiers indépendant formé à cet effet, sous le contrôle de l’autorité judiciaire ou, à la demande de celle-ci, de l’administration pénitentiaire. Elle est confidentielle, sauf accord contraire des parties et excepté les cas où un intérêt supérieur lié à la nécessité de prévenir ou de réprimer des infractions justifie que des informations relatives au déroulement de la mesure soient portées à la connaissance du procureur de la République ».

1- Le travail de réhumanisation proposé par la justice restaurative.

Comme l’écrit très justement Robert Cario dans son ouvrage « Justice Restaurative : principes et promesses » : « la justice restaurative n’est pas seulement la justice de l’acte, la justice de l’infracteur, la justice de la victime, elle est tout à la fois la justice de cette particulière expérience vécue du crime  ».

En effet, la déshumanisation qu’engendre le crime peut et doit être vaincue par un travail de réhumanisation des acteurs du conflit, qu’ils soient auteurs ou victimes, et c’est ce que propose la justice restaurative.

La circulaire du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la justice restaurative indique ainsi que la justice restaurative est « un modèle de justice complémentaire du procès pénal, qui consiste à restaurer le lien social endommagé par l’infraction, à travers la mise en œuvre de différentes mesures associant la victime, l’auteur et la société ».

La justice restaurative peut se définir comme un processus de réhumanisation des acteurs d’un conflit, qui, dans une démarche volontaire, après avoir été informés et avoir consenti, vont œuvrer, avec l’aide d’un tiers indépendant et formé à la justice restaurative, à la réparation de tous les préjudices ayant résulté de la commission de l’infraction, dans un cadre confidentiel.

- C’est donc tout d’abord un processus volontaire et éclairé.

Chaque intervenant doit avoir choisi librement de participer à ce processus, et doit avoir reçu une information éclairée sur le déroulé de celui-ci.

Chaque intervenant est notamment informé sur les procédures de préparation, mais aussi sur le cadre dans lequel se déroule ce processus de justice restaurative et son caractère confidentiel.

Chaque intervenant est également informé de sa liberté de quitter ce processus, à tout moment, sans que cela ne lui soit préjudiciable d’une manière ou d’une autre dans le cadre de la procédure éventuellement en cours, en parallèle.

- C’est également un processus encadré par des tiers indépendants et formés.

Les tiers qui exercent la mesure doivent être des tiers indépendants, n’ayant aucun lien avec les parties, et impartiaux et ils doivent avoir été formés spécifiquement à la justice restaurative.

- C’est enfin un processus confidentiel.

Ce processus de justice restaurative se déroule sous la tutelle de l’autorité judiciaire qui, bien qu’informée de la mise en place de cette mesure et des personnes qui y participent, ne pourra nullement connaitre par le biais d’écrits ou de rapports, ce qui aura pu y être dit.

Seules exceptions, l’accord des parties sur la divulgation des échanges qui ont eu lieu, ou si un intérêt supérieur le justifie (révélation d’une nouvelle infraction, de faits connexes…).

La justice restaurative est un peu au droit pénal, ce qu’est la médiation au droit civil.

Cependant ses moyens d’actions et de mises en œuvres sont plus variés, puisqu’en plus de la médiation restaurative, existent également les rencontres détenus-victimes, les conférences restauratives ou les cercles restauratifs.

Autant d’outils qui revêtent tous le même objectif, permettre à la parole des uns et des autres de libérer les blessures de chacun causées par l’infraction, de responsabiliser, d’apaiser, et d’ouvrir vers une réparation de soi, et de l’autre.

2- La question des différents temps judiciaires.

Trop lente, trop expéditive…. il est souvent question de temps dans le monde de la justice.

Les délais sont, dans une majorité croissante de cas, de plus en plus longs avant que des décisions de justice ne puissent être rendues.

Pourtant, dans certains cas comme les procédures de comparutions immédiates ou même de CRPC (comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité), on a parfois cette douloureuse sensation d’une justice expéditive, d’abattage, d’une justice qui ne prend pas le temps d’écouter, d’entendre, de laisser à chacun le temps de prendre sa place dans ce qui est en train de se jouer pour lui, victime ou auteur.

Même dans les procès civils, les justiciables souffrent souvent douloureusement du peu de temps ou de place qui leur a été accordé pour s’exprimer, pour être entendu, pour parler.

Peut-être que ce temps nécessaire existe, et peut être créé, en parallèle de la justice institutionnelle que nous connaissons, dans la justice restaurative.

L’article 10-1 du Code de procédure pénale précise d’ailleurs bien que cette justice restaurative peut intervenir à tous les stades de la procédure, même au stade de l’exécution des peines, c’est à dire après le procès.

Le temps des douleurs et du moment éventuel de leur pansement dépend de chaque affaire, de chaque histoire, et c’est la raison pour laquelle le processus de justice restaurative doit pouvoir être actionné au moment opportun, pour chaque cas d’espèce.

Plus étonnant encore, la justice restaurative peut intervenir alors qu’aucun procès pénal n’existera jamais (prescription, classement sans suite, non-lieu, auteur inconnu….).

La sortie d’un film de diffusion nationale et avec une réalisation et un casting de si grande ampleur ne peut que laisser espérer que le travail audacieux de cette cinéaste et de son équipe conduira à faire connaitre en France, la justice restaurative, et surtout permettra sa mise en pratique réelle, pour qu’une évolution concrète puisse voir le jour.

Bibliographie :

- Du bon usage de la justice restaurative… Prendre en compte les différents temps judiciaires - petites affiches n°124- 22 juin 2020, Laura Viaut, maître de conférences en histoire du droit à l’université Panthéon-Sorbonne (Paris 1).
- Marshall T., Restorative justice. An overview, in Newburn T. (dir.), Key readings in criminology, 2009, Portland, Willan.
- Cario R., Justice restaurative : principes et promesses, 2010, Paris, L’Harmattan.
- La consécration législative de la justice restaurative Petites affiches - n°2 - page 6 - 4 janv. 2016, Robert Cario, Professeur émérite de criminologie.
- Circulaire du 15 mars 2017 relative à la mise en œuvre de la justice restaurative applicable immédiatement suite aux articles 10-1, 10-2 et 707 du Code de procédure pénale, issus des articles 18 et 24 de la loi n° 2014-896 du 15 août 2014.
- Guide méthodologique JR - novembre 2020.

Sylvia Goudenege Avocat au Barreau d'Agen Médiateur www.martial-rlgc.fr

[1A lire à ce sujet notre présentation du film.