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Exercer le « droit à la médiation » pour le consommateur, mais qu’en est-il pour le professionnel ? Par Edith Delbreil Sikorzinski, Médiateure.
Parution : mardi 21 février 2023
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L’article L612-6 du Code de la Consommation, issu de l’Ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 consacre un véritable droit à la médiation au bénéfice du consommateur et corrélativement, une obligation, pour tous professionnels, de mettre en place un dispositif gratuit à cette fin. Est-ce pour autant une obligation pour le consommateur d’y recourir ? Nous pourrions imaginer deux possibilités : obligation par la loi et obligation par l’insertion d’une clause de médiation.

Côté législateur, la principale préoccupation est de désengorger les tribunaux et de « changer de paradigme » comme l’a déclaré récemment le Garde des Sceaux, en privilégiant la culture de l’amiable et du dialogue. Dans ce changement de paradigme, il y a l’ouverture sur une toute autre voie que le modèle ancestral consistant à la mise sous tutelle des personnes recourant à l’institution judiciaire. « La médiation a ouvert une voie nouvelle visant le renforcement de la liberté contractuelle, par l’incitation à la liberté de décision ». La tradition tutélaire qui en incite le recours a cependant de grandes difficultés à lâcher prise…

La loi dite « Justice 21 » du 18 novembre 2016 et son décret d’application du 11 décembre 2019 ont bien que timidement, ouvert la voie, en imposant une tentative de règlement amiable préalable à tout procès, sous peine d’irrecevabilité, pour tous conflits de voisinage et litiges inférieurs à 5.000 euros. Le monde judiciaire s’est montré réticent puisque sur recours du CNB, le Conseil d’État par une décision en date du 22 septembre 2022, a annulé l’article de référence en la matière, à savoir l’article 750-1 du Code de procédure civile.

En attendant que le législateur revoit sa copie, ne pourrait-on pas imaginer qu’un contrat, de consommation en l’occurrence, puisse contenir une clause par laquelle les parties s’obligeraient à recourir par la voie de la médiation, avant tout procès ?

C’est ce que la Cour de Cassation a tranché récemment, dans un litige opposant un consommateur à son architecte, maître d’œuvre, lequel assigné, a sollicité le bénéfice de la clause de médiation insérée dans leur contrat [1]. La cour d’appel a initialement validé cette demande et a été censurée, au vu des dispositions de l’article R212-2-10 du Code de la consommation qui entretemps, a été modifiée par une ordonnance n° 2016-301 du 14 mars 2016 donnant naissance à un article L612-4 qui interdit purement et simplement « toute clause ou convention obligeant le consommateur, en cas de litige, à recourir obligatoirement à une médiation préalablement à la saisine du juge ».

Le législateur aurait-il peine à tracer une politique cohérente, alliant protection du consommateur et priorité aux voies amiables ?

A l’heure actuelle, ce droit à la médiation au bénéfice du consommateur a pour corollaire, une obligation pour le professionnel de mettre en place un dispositif de médiation au service du consommateur. En fonction du bon-vouloir du consommateur, ce même professionnel se verra convié en médiation ou attrait en justice.

Permettons-nous un moment de réflexion : qu’aurait le consommateur à gagner ou à perdre en allant en médiation ? Qu’aurait-il parallèlement à gagner ou à perdre en allant au judiciaire ? Sachant que si le moindre doute ou suspicion portaient sur la posture du médiateur en termes de neutralité, impartialité et indépendance, ceux-ci seraient de suite dissipés eu égard aux dispositions du Code de la consommation et le contrôle exercé par la CECMC (Commission d’évaluation et de contrôle de la médiation de la consommation), créée par l’ordonnance n° 2015-1033 du 20 août 2015 relative au règlement extrajudiciaire des litiges de consommation. Rappelons en effet que tous les médiateurs de la consommation et praticiens sont agréés et contrôlés par cette instance, dont le secrétariat est assuré par la DGCCRF.

Instituer un « droit à la médiation » ne devrait-il pas bénéficier à tous, professionnel inclus lorsqu’il le revendique ? Le but n’est-il pas de promouvoir un meilleur exercice de la responsabilité dans les relations entre vendeurs et acheteurs ?

La médiation de la consommation a été mise en place pour faciliter le dialogue et permettre le règlement d’un plus grand nombre de contentieux ou de conflits.

Refuser la médiation à l’une des parties qui la revendique comme un droit légitime, va d’ores et déjà à l’encontre de l’objectif déclaré. Le droit doit-il faire le jeu de la partie en adversité, qui débordée par ses émotions, n’a pas ou peu conscience des conséquences de ses choix, ou doit-on lui permettre dès le début du conflit, de réfléchir rationnellement, accompagnée par un professionnel de la relation, un médiateur dûment formé dans cette perspective nouvelle ?

Plus encore, si l’on pense la médiation comme voie résolutoire des conflits, on ne peut que faciliter cette voie qui ne présente à l’évidence que des avantages, comme régulièrement rappelés par la CECMC. Dans le litige ci-dessus exposé, reconnaissons que la médiation aurait évité une bonne dizaine d’années de contentieux ! Celle-ci aurait sans doute permis de restaurer la relation permettant le dialogue, et conséquemment, l’entente par laquelle s’élabore un projet commun de résolution de conflit.

Quelles sont les conséquences du principe d’empêcher le professionnel de préconiser la médiation comme moyen préalable à toute action judiciaire ?

Rejeter le droit à la médiation revendiqué par le professionnel, c’est susciter une inégalité entre le consommateur et celui-ci, seul le premier ayant le choix. Le professionnel n’a qu’une option : subir un choix, celui du consommateur qui guidé par ses émotions, n’aura pas le discernement et la conscience suffisante pour décider au mieux de ses propres intérêts.

Il est urgent que le législateur privilégie cohérence des textes plutôt que multiplicité, d’autant plus s’il souhaite être en accord avec la politique européenne : depuis un arrêt du 14 juin 2017, la Cour de Justice de l’Union Européenne admet la faculté, pour les états membres, de rendre obligatoire la médiation de la consommation avant la saisine d’un juge sous réserve de certaines conditions.

Alors qu’attend le législateur français pour être cohérent et abonder dans le sens d’une médiation obligatoire ou, ce qui revient au même, un droit à la médiation revendiqué par l’une des parties au titre d’une clause de médiation, plus largement, avant toute saisine judiciaire ?

Vouloir changer de paradigme, ne peut s’envisager qu’en élaborant un projet avec les acteurs de terrain que sont les médiateurs, pour une réflexion en profondeur sur les objectifs à atteindre, les moyens à disposition et à déployer. Cela peut commencer par une réflexion sur le paradigme de référence. « A considérer les deux modèles, le judiciaire et la médiation interviennent bien sur des problématiques de même nature, mais ne consistent pas du tout dans la même démarche ni n’aboutissent aux mêmes résultats. Là où l’un tranche par substitution, l’autre tisse par implication. D’un côté le paradigme du contrat social, de l’autre celui de l’entente et de l’entente sociale » [2]. Les médiateurs professionnels, forts d’une expérience de plus de 20 ans, sont soucieux de transmettre leur savoir-faire. La balle est dans le camp des politiques, et comme on saura le lire, pas seulement dans l’environnement judiciaire…

Edith Delbreil Sikorzinski Médiateure Professionnelle Avocat Honoraire

[1Arrêt du 19 janvier 2022 n°21-11-095.

[2Pour en savoir plus :
- « Guide Pratique de la Médiation de la Consommation », ESF Sciences Humaines, de Jérôme Messinguiral - Jean-Louis Lascoux et Edith Delbreil Sikorzinski, praticiens et médiateurs de la consommation de la Médiation Professionnelle :
- Société Médiation Professionnelle : www.mediateur-consommation-smp.fr
- Club des Praticiens de la médiation de la consommation : cpmc.info

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