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Condamnation par la CEDH des visites domicilaires en matière fiscale. Par Jean Pannier, Avocat
Parution : jeudi 13 novembre 2008
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Commentaire de CEDH (3e sect.), 21 février 2008 : Ravon et autres c. France – Requête no 18497/03

Selon la Cour, en matière de visite domiciliaire, les personnes concernées doivent pouvoir obtenir un contrôle juridictionnel effectif, en fait comme en droit, de la régularité de la décision prescrivant la visite ainsi que, le cas échéant, des mesures prises sur son fondement. Le ou les recours disponibles doivent permettre, en cas de constat d’irrégularité, soit de prévenir la survenance de l’opération, soit dans l’hypothèse où une opération jugée irrégulière a déjà eu lieu, de fournir à l’intéressé un redressement approprié.

Il ressort de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales que les ordonnances autorisant les visites domiciliaires ne sont susceptibles que d’un pourvoi en cassation.

Il ressort de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales que les ordonnances autorisant les visites domiciliaires ne sont susceptibles que d’un pourvoi en cassation. La Cour a eu l’occasion, dans le contexte de l’article 5, § 3 de la Convention et du contrôle du délai raisonnable dans lequel une personne arrêtée ou détenue doit être soit jugée, soit libérée durant la procédure, de dire que le pourvoi en cassation est un recours interne utile et qu’il doit être épuisé sous peine d’irrecevabilité de la requête devant la Cour (v. l’arrêt Civet c/ France [GC] du 8 septembre 1999, Recueil 1999-VI). Toutefois, il ne s’ensuit pas nécessairement que ce pourvoi constitue une voie de recours effective aux fins du contrôle de la régularité en droit et en fait des ordonnances autorisant les visites domiciliaires sur le fondement de l’article L. 16 B du Livre des procédures fiscales.

La Cour considère qu’à elle seule la possibilité de se pourvoir en cassation – dont les requérants ont d’ailleurs usé – ne répond pas aux exigences de l’article 6, § 1, dès lors qu’un tel recours devant la Cour de cassation, juge du droit, ne permet pas un examen des éléments de fait fondant les autorisations litigieuses.

La circonstance que l’autorisation de procéder à des visites domiciliaires est délivrée par un juge – de sorte qu’à première vue un contrôle juridictionnel incluant un examen de cette nature se trouve incorporé dans le processus décisionnel lui-même – ne suffit pas à combler cette lacune.

En effet, si comme la Cour l’a jugé sur le terrain de l’article 8 de la Convention dans l’affaire Keslassy à laquelle le gouvernement se réfère, cela contribue à garantir la préservation du droit au respect de la vie privée et du domicile, l’on ne saurait considérer que l’instance au cours de laquelle le juge examine la demande d’autorisation est conforme à l’article 6, § 1, alors que la personne visée par la perquisition projeté – qui ignore à ce stade l’existence d’une procédure intentée à son encontre – ne peut se faire entendre.

Il résulte de ce qui précède que les requérants n’ont pas eu accès à un « tribunal » pour obtenir, à l’issue d’une procédure répondant aux exigences
de l’article 6, § 1 de la Convention, une décision sur leur « contestation ».
En conséquence, la Cour conclut au rejet de l’exception du gouvernement tirée du nonépuisement des voies de recours internes et à la violation de l’article 6, § 1 de la Convention.

NOTE DE MAITRE JEAN PANNIER
DOCTEUR EN DROIT
AVOCAT A LA COUR DE PARIS

Les perquisitions en matière fiscale et douanière n’ont jamais eu bonne presse en justice et le fait qu’on les ai baptisées pudiquement « visites domiciliaires » n’a pas vraiment amélioré ni leur image ni leur sort. Encore faut-il rappeler que dans ce domaine on vient quand même d’assez loin ayant connu la grande époque où les douaniers pouvaient pénétrer au domicile de tout un chacun avec un simple feu vert hiérarchique ainsi libellé : « VD autorisée ».

L’objectivité oblige à préciser que la réponse hiérarchique aux enquêteurs des douanes était parfois négative ; mais tout cela se passait en l’absence de tout contrôle judiciaire ce qui n’était pas tout à fait le cas le cas pour les agents de la Direction Nationale des Enquêtes Fiscales qui avaient une légère avance.
Les agents des douanes ont tellement abusé de leurs prérogatives, notamment en chassant les bas de laine à partir de 1981, grâce surtout à la suppression de l’anonymat des transactions sur l’or (1 ), qu’ils ont fini par se faire rappeler à l’ordre, notamment par la Commission AICARDI, installée par M. Edouard BALLADUR.

Cette commission avait préconisé un encadrement judiciaire plus conforme aux garanties que peuvent espérer les citoyens dans les cas où il n’y a pas d’autre choix que de forcer le domicile pour caractériser des infractions.(2 ) Ainsi naquit, à la faveur de la loi de finances du 30 décembre 1986, l’article 64 du Code des douanes, nouvelle manière, qui imposa aux enquêteurs un véritable contrôle judiciaire des visites domiciliaires et vit passer à la trappe pas mal de procédures engagées auparavant à la hussarde.( 3 )

Ce texte intervenait dans la foulée des vicissitudes qu’avait vécu l’administration fiscale avec la loi de finances pour 1984 et son célèbre article 89 retoqué par le Conseil constitutionnel faute de garanties suffisantes sur le respect des libertés individuelles et l’inviolabilité du domicile.(4)

Avec la loi de finances pour 1985 furent apportées les modifications nécessaires codifiées ultérieurement à l’article L16B du Livre des Procédures Fiscales dont la dernière version résulte de la loi 2000-516 du 15 juin 2000. Cet article a fait couler beaucoup d’encre tant parce qu’il touche un domaine sensible que parce qu’il a traversé une véritable tempête, du moins si l’on en juge par l’incroyable épidémie d’annulations prononcées par la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui fut, dans un premier temps, chargée de ce contentieux. (Cela n’a pas empêché ce régime d’être étendu progressivement à d’autres domaines : contributions indirectes, concurrence, délits boursiers, travail clandestin etc…)

La Haute Cour avait en effet examiné près de 500 procédures dans les années 1986 à 1995. Les choses se sont calmées par la suite puisque les enquêteurs s’adaptaient au jour le jour aux exigences de la Cour Suprême, lesquelles faisaient l’objet d’incessantes réunions des fonctionnaires de la DGI, de notes, commentaires, bulletins officiels etc... Bref, une vraie panique qui a duré des années et s’est traduite par l’enterrement de nombreuses procédures fiscales pour cause de nullité dans le même temps que l’administration s’ingéniait à endiguer le désastre en généralisant, par exemple, la pratique des ordonnances pré rédigées qu’on soumettait aux magistrats à peu près dans les mêmes termes sur l’ensemble du territoire ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention. (5)

L’économie du système repose sur l’idée que le juge désigné pour autoriser par ordonnance la visite domiciliaire après en avoir apprécié la nécessité – c’est une première garantie pour atténuer l’enthousiasme des enquêteurs – doit aussi s’assurer de la régularité des opérations qu’il est censé superviser après avoir donné son feu vert. Par contre, c’est à la Cour de cassation qu’il appartient d’examiner par un recours spécial et immédiat les moyens de nullité de la visite proprement dite et de l’ordonnance elle-même. Le texte énonce clairement : « L’ordonnance mentionnée au premier alinéa n’est susceptible que d’un pourvoi en cassation selon les règles prévues par le code de procédure pénale ; ce pourvoi n’est pas suspensif. Les délais de pourvoi courent à compter de la notification ou de la signification de l’ordonnance ».
Le contentieux des visites domiciliaires a été déféré en 2000 à la Chambre criminelle de la Cour de cassation qui a mis aussi sa touche, mais beaucoup plus modérément, au plan des annulations. (6)

Il faut croire qu’il restait des braises puisque l’incendie menace de nouveau mais cette fois devant la Cour Européenne qui, cette fois, ne se contente plus d’une analyse formelle.

Dès sa naissance, le régime des visites domiciliaires eu les caractéristiques d’un colosse aux pieds d’argile attaqué de toutes parts. (7)

La chambre commerciale, sous la houlette de son rapporteur, M. le Haut Conseiller Bernard HATOUX, avait fait preuve d’une rigueur exemplaire à l’égard des visites domiciliaires soumises à sa censure. Avait-on eu des arrière-pensées en déférant par la suite ce contentieux sulfureux à la Chambre criminelle ? C’est possible si l’on écoute les mauvaises langues qui prétendent que Bercy a fortement insisté pour que soit endiguée la jurisprudence HATOUX..

Ce choix est loin cependant d’avoir clarifié la situation sur le terrain de la compétence car c’était sans compter avec une troisième intervention, celle de la 2ème chambre civile de la Cour de cassation. (8) Pourquoi pas s’interrogent certains ?

A la lecture de tout ce qui a été écrit depuis les premières annulations en rafales, on pouvait croire que le sujet avait été largement épuisé. La structure de l’article L 16B semblait avoir été testée, comme une fusée Ariane, sur l’ensemble de ses composants. Après avoir largement accueilli et satisfait les pourvois, la Cour de cassation a mis un bémol à sa mansuétude.

Au départ elle avait admis que le contrôle du président du tribunal de grande instance sur les visites domiciliaires s’étendait à la contestation de la régularité des opérations de visite et de saisies une fois celles-ci achevées. (Cass. Ch. Mixte 15 décembre 1988 RFJE 3/89 n° 328)

Mais un revirement est intervenu devant la Chambre commerciale, en matière de concurrence, précisant que la mission du juge prend fin avec les opérations, lors de la remise du procès-verbal et de l’inventaire à l’occupant des lieux ou à son représentant. On trouve une explication de cette position dans un rapport de la Cour de cassation qui met l’accent sur l’absence de limite dans le temps de la saisine du juge de l’autorisation qui serait de nature à favoriser toutes sortes de procédés dilatoires. (9)

Bonne question certes mais qui mériterait singulièrement d’être comparée à la délicate question de l’origine des documents produits à l’appui des requêtes de l’administration.

Ce revirement a été confirmé par la Chambre criminelle le 11 décembre 2002 dans la présente affaire et a ouvert du même coup, si l’on peut dire, une nouvelle fenêtre de tir qui va poser de sérieux problèmes dans les mois à venir car cette restriction remet sur le tapis le problème de la compatibilité de l’article L16B avec les exigences de l’article 6 de la Convention européenne. La Cour de cassation s’est jusqu’à présent contentée d’affirmer que « le droit à un procès équitable et à un recours effectif est assuré ». Mais il s’agit plus d’une pétition de principe que d’une démonstration réelle quand on y regarde de plus près.

En effet, se fondant sur les exigences de l’article 6 § 1 de la Convention européenne, le requérant fit valoir devant la CEDH qu’il n’a pas eu accès à un « tribunal » pour obtenir, à l’issue d’une procédure répondant aux exigences de cette disposition, une décision sur leur contestation. Autrement dit la possibilité de se pourvoir en cassation contre les ordonnances ne répond pas aux exigences de l’article 6 § 1 pour la raison qu’un tel recours devant le juge du droit ne permet pas un examen des éléments de fait fondant les autorisations litigieuses.

La Cour ne sousestime pas le fait que l’article L16B du LPF permet aux personnes contrôlées de s’adresser au juge pendant le déroulement des opérations en vue notamment d’une suspension ou de l’arrêt de la visite. Elle considère que cela ne permet pas un contrôle indépendant de la régularité de l’autorisation elle-même et insiste sur le fait que l’accès des personnes concernées à ce juge est finalement plus théorique qu’effectif.

Et d’enfoncer le clou avec des détails jusqu’alors laissés dans l’ombre par la Cour de cassation mais dénoncées très concrètement par de nombreux requérants et par la doctrine (10) sur les insuffisances de la pratique au regard des droits de la défense. Ainsi relève la Cour européenne, les agents qui procèdent à la visite n’ont même pas l’obligation légale de faire connaître aux intéressés leur droit de soumettre toute difficulté au juge, lequel n’est d’ailleurs même pas tenu de mentionner dans l’ordonnance autorisant la visite domiciliaire ni la possibilité ni les modalités de sa saisine en vue de la suspension ou de l’arrêt de la visite. Les coordonnées du juge ne figuraient même pas sur les ordonnances d’autorisation. (11) Etc…

La Cour en profite au passage pour écarter, en l’espèce, sa jurisprudence Ferrazzini selon laquelle le « contentieux fiscal échappe au champ des droits et obligations de caractère civil » considérant que la présente contestation ne relève pas du contentieux fiscal. Elle porte seulement sur la régularité des visites domiciliaires et saisies dont les requérants ont fait l’objet question qui relève du droit au respect du domicile dont le caractère civil est manifeste.
Ainsi conclut la Cour il y a eu violation de l’article 6 § 1.

La cour de cassation ne pourra évidemment pas rester indifférente à cette nouvelle fragilité qui appelle plutôt une nouvelle révision – une de plus – législative. On finira bien par trouver une rédaction qui n’attire pas la foudre. En attendant les pourvois vont pleuvoir et la douane se sentira moins seule, elle qui a déjà essuyé les critiques de la CEDH à propos de ses visites domiciliaires. (12)

Jean PANNIER jean.pannier chez gmail.com
Docteur en droit
Avocat à la Cour de Paris

Commentaire publié à la Gazette du Palais des 21-22 mai 2008

(1) Jean Pannier. Requiem pour un délit douanier : la chasse à l’or est fermée ; Gaz. Pal 1986, 2, doctr. p. 629
(2) Rapport de la Commission pour l’amélioration des relations entre les citoyens et les administrations fiscales et douanière. (cf. notre étude, Le droit douanier se modernise, Dr. prat. com. int., 1988, n°4 p. 767
(3) Cass. Crim. 2 juin 1986 JCP 1987 II 20752 note J. Pannier
(4) Cons. const. (décision 83-164 DC) Rec. 67, GA n° 26 et 27 Pour un historique on lira l’excellente chronique du Bâtonnier Viala à la Gazette du Palais citée en note n°7
(5) Mouillard, Le régime des visites domiciliaires en matière de concurrence selon la jurisprudence de la chambre commerciale. Rapport de la Cour de cassation 2000 p.283
(6) Joseph Brandeau. Régularité des perquisitions fiscales et douanières : vers un transfert de compétence au juge répressif ? Pet. Aff. n° 83, 26 avril 2000 p.4
(7) A. VIALA Le régime des visites domiciliaires en matière fiscale et douanière. Gaz. Pal. 1990 1. 232
Contrôle accru du juge sur les demandes de visites domiciliaires en matière fiscale ou économique. De la pertinence des présomptions à la régularité de leur origine. Concl. Michel Jéol. Note René Texidor D 1992 jur. p.122
I. Fadlallah et Ch. Baude-Texidor Les visites et saisies domiciliaires en droit fiscal français au regard de la garantie des droits fondamentaux Gaz. Pal. 16-18 novembre 2003
(8) C. cass. 2e civ. 21 avril 2005 Gaz. Pal. 6-8 novembre 2005 p. 23
(9) Mouillard. A propos d’un revirement en matière de visites domiciliaires des administrations, rapport de la Cour de cassation 1999p.181
(10) I. Fadlallah et Ch. Baude-Texidor, article précité p. 6
(11) En ce sens : Cass. com. 5 mai 1998 Gaz. Pal. Rec. 1998 somm. p.343 ; J.n°146, 26 mai 1998 p. 34 note X
(12) CEDH 25 février 1993 (Funke/ France) D. 1993 457 note J. Pannier .