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En cas de classement sans suite… restitution automatique des sommes saisies. Par Aurore Le Guyon, Avocat et Claire Mandon, Juriste.
Parution : mardi 21 février 2023
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Les infractions à la législation sur les stupéfiants apportent quotidiennement leur lot d’interrogations et nous abreuvent régulièrement de questions juridiques tout aussi intéressantes les unes que les autres.

Après le refus de donner son code PIN aux enquêteurs, auquel il a été consacré un article (voir article en date du 16 février 2023 Conséquences du refus de donner son code PIN lors d’une garde à vue), c’est à présent la question des restitutions qui est susceptible de se poser à l’occasion de ce type de contentieux, au cours duquel il n’est pas rare que des sommes d’argent soient découvertes par les enquêteurs lors de perquisitions qui font l’objet d’une saisie.

C’est précisément dans ce contexte que s’inscrit l’arrêt de la Chambre criminelle de la Cour de cassation en date du 1er février 2023, n°22-80.461.

Ainsi, c’est au cours d’une perquisition, réalisée dans le cadre d’une information judiciaire ouverte pour infractions à la législation sur les stupéfiants, association de malfaiteurs et blanchiment, qu’une somme de 58 600 euros en espèces est découverte.

Curieusement, cette découverte fait l’objet d’une saisie incidente, le parquet prenant l’initiative d’ouvrir une enquête distincte pour non-justification de ressources alors qu’il aurait suffi d’un réquisitoire supplétif pour que le juge d’instruction enquête sur ces nouveaux faits.

Par jugement en date du 28 mars 2019, le tribunal correctionnel condamne le prévenu pour blanchiment et trafic de produits stupéfiants et refuse de prononcer la restitution de la somme de 58 600 euros, précisant que la demande porte sur une somme non saisie dans le cadre de l’information ayant donné lieu audit jugement.

Alors que l’enquête pour non-justification de ressources a été classée sans suite par le Parquet, une requête aux fins de restitution de cette somme lui est présentée.

La restitution est refusée par le Procureur de la République, de même que par la chambre de l’instruction qui se contente de préciser que la somme est le produit d’une infraction, celle non pas de trafic de produits stupéfiants ou de blanchiment mais d’activité de cambiste prohibée, le plaignant ne disposant pas d’agrément pour exercer cette activité.

Le requérant invoque à l’appui de son pourvoi la présomption d’innocence : en l’absence de condamnation pour non-justification de ressources, il doit être considéré comme innocent et la somme réputée comme étant acquise légalement.

La Cour de cassation juge dans un arrêt de cassation sans renvoi qu’il n’appartient pas à la chambre de l’instruction de se prononcer sur la culpabilité du propriétaire de la somme mais qu’il lui revient d’apprécier les critères légaux régissant les conditions de restitution ou de confiscation.

Elle vient rappeler les critères d’application de l’article 41-4 du Code de procédure pénale (I) pour considérer que la somme saisie doit faire l’objet d’une restitution lorsque la procédure dans le cadre de laquelle elle a été saisie a été classée sans suite (II).

I. L’origine ou l’utilisation du bien saisi comme motif légal de refus de restitution.

L’article 41-4 du Code de procédure pénale donne compétence au représentant du ministère public pour décider, d’office ou sur requête, de la restitution d’objets saisis, à la condition obligatoire préalable que la propriété n’en soit pas contestée.

Cette compétence s’exerce au cours de l’enquête, lorsqu’aucune juridiction n’a été saisie ou encore lorsque la juridiction saisie a épuisé sa compétence sans avoir statué sur la restitution d’objets placés sous main de justice.

En l’espèce, aucune juridiction n’avait été saisie à la suite de l’enquête pour non-justification de ressources puisque la procédure avait été classée sans suite.

Il existe trois motifs de refus de restitution :
- lorsque la restitution est de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens ;
- lorsque le bien saisi est l’instrument ou le produit direct ou indirect de l’infraction ;
- lorsqu’une disposition particulière prévoit la destruction des objets placés sous main de justice.

Une somme d’argent n’est pas de nature à créer un danger pour les personnes ou les biens et naturellement, aucune disposition ne prévoit sa destruction.

La chambre de l’instruction estimait que la somme saisie était le produit direct d’une infraction ; non pas de celle de trafic de produits stupéfiants ou de blanchiment, mais d’exercice prohibé de l’activité de cambiste.

Ce faisant, la chambre de l’instruction se faisait juridiction de jugement, tout en faisant fi du classement sans suite décidé par le Procureur de la République.

La haute juridiction va naturellement sanctionner cet arrêt de la chambre de l’instruction qui méconnaît la présomption d’innocence alors même que la procédure a été classé sans suite car insuffisamment caractérisée.

II. … Excepté lorsque le Ministère public a classé sans suite la procédure.

La Cour de cassation précise qu’aucune juridiction n’est susceptible de constater l’existence d’une infraction, puisque la procédure de non-justification de ressources a été classée sans suite pour infraction insuffisamment caractérisée.

Dès lors, il ne peut être opposé au requérant la nature frauduleuse de la somme saisie pour lui refuser la restitution, quand bien même il ne saurait justifier de cette somme et qu’il a été condamné pour trafic de produits stupéfiants et blanchiment.

La Cour de cassation rend inopérant le second motif de refus de restitution en cas de classement sans suite, mais en cas de classement sans suite uniquement.

Elle juge en effet

« Lorsqu’une requête en restitution est présentée sur le fondement de l’article 41-4 du Code de procédure pénale, alors qu’aucune juridiction n’a été saisie en raison d’un classement sans suite de la procédure au cours de laquelle le bien objet de la requête a été saisi, la restitution ne peut être refusée au motif que le bien est le produit ou l’instrument de l’infraction, dès lors qu’en l’état dudit classement, aucune juridiction de jugement n’est susceptible de constater l’existence de cette infraction ».

Dès lors, encourt la cassation l’arrêt de la chambre de l’instruction qui refuse de restituer une somme saisie au motif que cette somme serait le produit d’une infraction alors qu’elle a constaté le classement sans suite de l’enquête en cours au cours de laquelle la saisie avait été effectuée.

Quid de la demande de restitution alors que l’enquête est en cours puisque la restitution peut être sollicitée lors de l’enquête ?

Il semblerait que dans cette hypothèse, le Ministère public pourrait refuser la restitution de la somme d’argent, une juridiction de jugement étant susceptible de constater l’existence de l’infraction à l’issue de l’enquête en cas de poursuites.

Cela étant, la portée pratique de cet arrêt est limitée.

Habituellement dans ce type de contentieux, un réquisitoire supplétif sera pris par le Procureur de la République pour non-justification de ressources à la suite de la découverte de sommes d’argent, lorsque l’information judiciaire n’est pas déjà ouverte pour ce type d’infraction.

En effet, la non-justification de ressources est une infraction très régulièrement associée au trafic de produits stupéfiants, au même titre que l’infraction de participation à une association de malfaiteurs ou de blanchiment et il est fréquent que le mis en examen soit concerné au cours d’une même enquête par l’ensemble des ces infractions.

Aurore Le Guyon, Avocat et Claire Mandon, Juriste Barreau de Bordeaux https://www.avocat-leguyon.fr/