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Nouvelles applications du RGPD dans la vie des entreprises. Par Aurélie Duron Harmand, Avocat.
Parution : mercredi 22 février 2023
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Depuis l’entrée en vigueur en 2018 du Règlement européen sur la protection des données, les applications de celui-ci continuent de se dévoiler, et ce notamment dans la vie des entreprises. La tendance de la jurisprudence des derniers mois prouve que le RGPD peut être utilisé comme un outil puissant permettant de mettre fin à une situation délicate pour l’un des cocontractants.
Deux décisions récentes en sont l’illustration.

L’une des premières applications du RGPD dans ce domaine, a été la condamnation pour concurrence déloyale d’une société qui vendait sur son site internet des produits sous la marque de la première société, ces produits reproduisant les caractéristiques des revendications de ses deux brevets.

Sur le fondement de la jurisprudence de la Cour de cassation [1] en matière de concurrence déloyale qui considère que « constitue un acte de concurrence déloyale le non-respect d’une règlementation dans l’exercice d’une activité commerciale, qui induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur », le Tribunal judiciaire de Paris (TJ Paris, 15 avril 2022, n°19/12628) a sanctionné la société concurrente sur le fondement de l’article 1240 du Code civil, en rappelant que des « agissements s’écartant des règles générales de loyauté et de probité professionnelle applicables dans les activités économiques et régissant la vie des affaires » sont constitutifs de concurrence déloyale.

En effet, la société concurrente n’informait pas les utilisateurs de son site internet qu’elle procédait à une collecte de données pas plus qu’elle ne les informait sur l’utilisation des données.

Cette collecte de données personnelles n’était, selon le tribunal, pas conforme à l’obligation d’assurer « la confidentialité et la sécurité des données personnelles traitées », ni à l’obligation de veiller « à ce que ces données ne soient ni altérées ni communiquées à des tiers non autorisés » dès lors qu’« aucune charte de confidentialité n’était mise à la disposition du public » pour informer les personnes concernées par ce traitement puisque le lien présent sur le site internet de la société concurrente renvoyait à une page erreur.

Ainsi, c’est naturellement que le tribunal a retenu que la société concurrente « s’est rendue coupable d’acte de concurrence déloyale au préjudice de Plaisance Equipements », et l’a condamnée à payer à la société Plaisance Equipements la somme de 15 000 euros « dans la mesure où tout manquement à la réglementation dans l’exercice d’une activité commerciale induit nécessairement un avantage concurrentiel indu pour son auteur ».

Dans certains cas, le non-respect des obligations en matière de protection des données prévues par le RGPD peut entraîner l’annulation d’un contrat. En effet, le RGPD prévoit que les contrats doivent être conclus de manière transparente et en conformité avec les exigences de protection des données. Ainsi, si les obligations en matière de protection des données ne sont pas respectées, cela peut entraîner une violation des dispositions du RGPD et, par conséquent, une annulation du contrat

Récemment, la Cour d’Appel de Grenoble [2] a annulé un contrat de création et de maintenance de site web pour défaut du respect du RGPD. Dans ce cas d’espèce, une agence web avait démarché une société en lui promettant la création d’un site internet et son référencement dans les premières pages de résultats sur internet.

Or, les promesses n’ont pas été tenues et l’établissement financier, - à qui le contrat avait été cédé par l’agence web, continuait de prélever chaque mois la société, qui se retrouvait prise au piège par un contrat « cloisonné » et où les obligations de l’agence web étaient à peine respectées, celles-ci invoquant son obligation seulement de moyen. La société a mis fin à l’autorisation de prélèvement, ce qui a entrainé une assignation en justice de la part de l’établissement financier. Devant le tribunal de commerce, la société avait été déboutée de ses demandes mais elle a interjeté appel en demandant l’infirmation du jugement du tribunal de commerce.

La cour d’appel a infirmé le jugement du tribunal de commerce et a annulé le contrat de création et maintenance de site web en se fondant d’une part sur le droit de la consommation (qui ne sera pas abordé) et sur les dispositions du Code civil notamment pour erreur sur les qualités essentielles du contrat en raison des manquements au RGPD.

En effet, aux termes du contrat de création et de maintenance du site internet, la société était rendue responsable du traitement des données personnelles collectées par le site internet.

Or, ce site internet était illégal pour plusieurs raisons :
- Il déposait des cookies publicitaires que l’utilisateur pouvait refuser mais la navigation sur le site internet impliquait une acceptation de ces cookies ; le constat d’huissier mettait en exergue que sept cookies avaient été installés sans son accord ;
- Le formulaire de contact ne prévoyait aucune mention d’information concernant la collecte et le traitement des données personnelles ;
- Lors de la consultation des mentions légales, six nouveaux cookies avaient été déposés dont un par Google pour son service Google Analytics, qui a été jugé non conforme au RGPD par la CNIL.

Selon la cour, le prestataire

« n’a pas porté à la connaissance un élément essentiel concernant le site qu’elle a conçu et installé. Le fait que le site ait fait l’objet d’une réception sans réserve ni observation ne peut pallier ce manque d’information, l’appelante n’étant pas une spécialiste en la matière, et n’ayant ainsi pu, lors de la livraison du site, constater ce problème de collecte et d’utilisation de données ».

Cette décision est importante en ce qu’elle accentue l’obligation du prestataire d’informer son client sur les traitements opérés par le site internet développé par lui afin que le client puisse respecter ses propres obligations.

Il est donc recommandé de consulter un avocat spécialisé en matière de protection des données pour déterminer si une annulation de contrat est possible en cas de violation du RGPD.

Aurélie Duron Harmand Avocat à la Cour Barreau de Paris [->contact@adh-avocat.com] www.adh-avocat.com

[1Cass. Com., 17 mars 2021, no01-10.414.

[2CA Grenoble, ch. com., 12 janv. 2023, n° 21-03701.