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Cour de cassation : guide pour rédiger son propre mémoire par devant la Chambre criminelle. Par Samy Merlo, Élève-Avocat.
Parution : mercredi 22 février 2023
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Former un pourvoi en cassation sans avocat, en matière pénale, c’est possible : l’on a déjà vu comment et pourquoi dans un précédent article (Se pourvoir en cassation par devant la Chambre criminelle sans avocat : délais et formalisme). Encore faut-il faire valoir un ou plusieurs moyens de cassation sérieux, au travers d’un mémoire correctement rédigé. C’est l’objet de ce qui va suivre.

Contrairement aux juridictions de première instance et d’appel, [1] [2] également appelées « juges du fond », la Cour de cassation ne rejuge pas le dossier qui lui est soumis : en effet, son office n’est pas un « troisième degré de juridiction » mais bien une « voie de recours extraordinaire » [3].

À ce titre, son rôle se borne à contrôler la bonne application de la règle de droit eu égard aux faits tels qu’établis par les juges du fond, outre le respect de la procédure.

Autrement dit, il est totalement vain de discuter des faits et des éléments de preuve devant la Cour de cassation, ceux-ci relevant de l’appréciation dite « souveraine » des juges du fond.

Qu’est-ce qu’un « moyen » ?

Pour faire simple, un « moyen » est un « grief », c’est-à-dire un « argument », par lequel le demandeur au pourvoi prétend aboutir à la « cassation » de la décision qu’il conteste, c’est-à-dire à son annulation.

Puisque la Cour de cassation ne rejuge pas les faits, les moyens qui lui sont soumis doivent impérativement s’articuler en droit en invoquant au moins une règle dont la violation est alléguée.

Le moyen est nécessairement dirigé à l’encontre d’un ou plusieurs éléments du dispositif [4] ou des motifs [5] de la décision attaquée, voire les deux.

Par exemple, il peut être dirigé à l’encontre du rejet d’une requête en nullité, d’une déclaration de culpabilité, d’une qualification pénale, du prononcé d’une peine, d’une condamnation sur intérêts civils ...

Le moyen peut lui-même se ramifier en « branches  », chaque « branche » correspondant à une déclinaison du grief formulé au titre d’un même moyen. Chaque branche peut à elle seule donner lieu à cassation, indépendamment des autres.

Enfin, la cassation peut être « totale » ou « partielle », car un moyen peut remettre en cause l’intégralité du dispositif de la décision attaquée, ou une partie seulement.

Par exemple, un moyen formulé à l’encontre de la partie du dispositif portant sur les intérêts civils ne pourra aboutir qu’à la cassation de l’arrêt sur lesdits intérêts, et non sur la déclaration de culpabilité, ni sur la peine.

Quels sont les moyens recevables en cassation [6] ?

Pour être recevable, [7] un moyen doit :
- soit être d’ordre public et de pur droit,
- soit avoir déjà été discuté devant les juges du fond,
- soit s’évincer des motifs et/ou du dispositif de la décision attaquée elle-même,
- soit être un moyen de QPC [8].

Les moyens d’ordre public sont ceux d’une telle gravité qu’ils doivent être soulevés d’office par le juge.

C’est le cas, par exemple, de la prescription en matière pénale : elle doit être relevée d’office et elle peut être soulevée pour la première fois en cassation, à la condition toutefois « que se trouvent, dans les constatations du juge du fond, les éléments nécessaires pour en apprécier la valeur » [9].

Cette condition s’explique en ce que le moyen s’en retrouverait, autrement, mélangé de droit et de fait ; or, l’on a déjà vu que l’appréciation des faits ne relevait pas du contrôle de cassation.

Autrement dit, le moyen nouveau en cassation doit être « d’ordre public et de pur droit » [10].

S’il n’est pas d’ordre public, le moyen ne peut être soulevé en cassation qu’après l’avoir d’abord été par devant les juges du fond.

Par exemple, il a été jugé que

« le demandeur est mal fondé à se prévaloir pour la première fois devant la Cour de cassation du fait qu’il ne serait pas le conducteur du véhicule, dès lors que, régulièrement cité, il n’a pas comparu à l’audience ni ne s’est fait représenter et n’a pas déposé de conclusions » [11].

Surtout, il faut ici rappeler que les moyens de nullité doivent être soulevés « in limine litis », c’est-à-dire avant toute défense au fond, [12] et ce, dès la première instance, impérativement [13].

Il en va de même concernant les exceptions d’illégalité des actes administratifs soulevées en application de l’article 111-5 du Code pénal [14].

Idem concernant les moyens de nullités commises en première instance, lesquelles doivent avoir été soulevées en appel pour être recevables en cassation [15].

Ainsi, lorsque ces conditions sont remplies, toute violation de la loi (en réalité toute violation d’une norme juridique quelle qu’elle soit) peut être soulevée par devant la Cour de cassation.

Également, lorsqu’il n’a pas été discuté devant les juges du fond, un moyen peut être soulevé en cassation parce-qu’il s’évince de la décision attaquée elle-même.

C’est tout particulièrement le cas lorsque, par exemple, la décision n’a pas été rendue par le nombre de juges requis, ou que le Ministère public n’a pas été entendu en ses réquisitions [16].

Autre exemple, il a été jugé qu’encourait la cassation, au visa de l’article 513 du Code de procédure pénale, l’arrêt rendu sans la lecture d’un rapport oral à l’audience, y compris sur intérêts civils et y compris lorsque la Cour d’appel statue à juge unique, ce qui fait grief à toutes les parties au procès [17].

C’est le cas, plus couramment, lorsque la suffisance des motifs porte interrogation [18] : ainsi, il est de jurisprudence constante que « l’insuffisance ou la contradiction des motifs équivaut à leur absence. La contradiction entre les motifs et le dispositif équivaut à leur absence » [19].

De même, les juges du fond sont tenus de répondre à chaque demande formulée par les parties [20] et à chaque moyen péremptoire de défense, à peine de nullité de la décision [21].

S’agissant d’un arrêt de condamnation, les motifs de la décision doivent non seulement faire apparaître tous les éléments constitutifs de l’infraction [22], mais encore justifier le quantum de la peine retenue conformément à l’article 132-1 du Code pénal (i.e. en tenant compte des circonstances de l’infraction, de la personnalité de l’auteur et de sa situation matérielle, familiale et sociale), qu’il s’agisse d’une personne physique ou morale [23].

Enfin, le moyen de QPC, étayé par mémoire distinct, est également recevable, même pour la première fois en cassation [24]. Il convient de soulever, le cas échéant, dans le mémoire au fond, un moyen pris d’un défaut de base légale, au visa des articles 591 et 593 du Code de procédure pénale, compte tenu de l’abrogation escomptée du texte incriminé, par renvoi au mémoire spécial QPC [25].

Ou, plus simplement, le moyen soulevé au sein du mémoire au fond pourra se borner à rappeler la QPC telle que formulée dans le mémoire spécial, au visa des articles 61-1 et 62 de la Constitution prévoyant la QPC [26].

Comment rédiger son (ses) moyen(s) de cassation ?

La loi n’impose (presque) aucun formalisme quant à la rédaction des moyens de cassation.

Toutefois, un mémoire personnel se présente classiquement de la manière suivante.

L’on commence par une page de présentation que l’on intitule, en caractères bien visibles, « Cour de cassation » et « Chambre criminelle », puis « Mémoire personnel », ou éventuellement « Mémoire additionnel », que l’on peut même numéroter (« Mémoire additionnel n°... »).

S’il s’agit d’un mémoire QPC, la mention « Question prioritaire de constitutionnalité » doit impérativement figurer en intitulé [27].

Sont ensuite mentionnées les références indiquées sur la déclaration de pourvoi [28] à savoir la juridiction, le numéro de pourvoi, les nom et prénom du demandeur s’il s’agit d’une personne physique, le nom de la société et de son représentant et numéro d’immatriculation s’il s’agit d’une personne morale, le numéro de l’affaire ainsi que les date et numéro de la décision attaquée.

Enfin, est mentionné le nom du demandeur en ces termes :

« Pour : Monsieur/Madame X (prénom Nom), demeurant (adresse) [29], demandeur/demanderesse » [30].

Vient ensuite un rappel des faits et de la procédure, intitulé comme tel, généralement résumé de manière relativement succincte ; l’on prendra soin de rappeler le dispositif des décisions de première instance et d’appel (ou seulement de première instance s’il s’agit d’un jugement du Tribunal de police insusceptible d’appel).

Si des conclusions ont été déposées par devant les juges du fond, un simple « copier/coller » actualisé fait généralement l’affaire.

L’on poursuit avec un intitulé « Discussion » dans lequel sont présentés les moyens de cassation [31].

Il convient de faire apparaître clairement chacun des moyens en les titrant : « Premier moyen », « Second moyen » …

S’il n’y a qu’un seul moyen, on l’intitulera « Moyen unique ».

La rédaction du moyen se fait classiquement en deux versions : une première version « synthétique » qui sera reprise par la Cour de cassation au sein de son arrêt avec des guillemets, et qui prend la forme d’une seule phrase (même très longue), suivie d’une seconde version « détaillée » qui expose le moyen, doctement et de manière développée et détaillée, sous la forme d’un texte.

Le rédacteur peut se contenter de l’une ou l’autre de ces deux versions, sans qu’il ne soit nécessaire de cumuler les deux.

Toutefois, il est absolument nécessaire de viser le texte de loi dont la violation est invoquée [32] ; Il peut en réalité s’agir de n’importe quel texte ou norme juridique (principe juridique, article d’une convention internationale … il ne peut toutefois s’agir d’une simple jurisprudence ni d’une simple publication doctrinale).

La version synthétique du moyen peut se rédiger ainsi :

« Il est fait grief à la décision attaquée d’avoir … [33], aux motifs … [34] alors que … [35] ».

Si le moyen est divisé en plusieurs branches, les numéroter. Chaque branche commence par « que ».

Le texte dont la violation est alléguée doit impérativement apparaître quelque part dans la phrase, peu importe où (au début en intitulé du moyen, au milieu, à la fin …).

Exemple fictif d’un moyen divisé en deux branches, susceptible d’aboutir à une cassation partielle :

« Il est fait grief à l’arrêt attaqué d’avoir condamné Monsieur X à la peine de N mois d’emprisonnement avec sursis, aux motifs que la gravité des faits et la personnalité du prévenu justifiaient une peine d’emprisonnement de N mois avec sursis [36].

alors :

1°/ que selon l’article 132-1 du Code pénal, la nature, le quantum et le régime de la peine sont fixés notamment en fonction de la situation matérielle, familiale et sociale de l’auteur conformément à l’article 130-1 du même code ; que, dès lors, en se bornant à faire état de la gravité des faits et de la personnalité du prévenu, la Cour d’appel a violé les textes susvisés [37].

2°/ qu’en se bornant à faire état, de manière abstraite, de la gravité des faits et de la personnalité du prévenu sans plus de détails au sujet de ces éléments, la Cour d’appel a entaché ses motifs d’insuffisance et par suite a violé les articles 132-1 et 130-1 du Code pénal, ensemble l’article 593 du Code de procédure pénale ».

Comme on peut le voir, il n’est pas inutile de procéder à des sauts de lignes afin d’améliorer la lisibilité de la phrase.

De même, le rédacteur est libre de mettre certains éléments en gras ou en majuscules s’il estime améliorer ainsi la lisibilité.

Exposer ensuite la version « détaillée » : le raisonnement du moyen sous la forme d’un texte, tout à fait classique, en l’étayant sa guise avec de la jurisprudence, des textes de doctrine ...

Enfin, le mémoire se termine par le dispositif, généralement rédigé ainsi :

«  Par ces motifs, et tous autres à produire, déduire, suppléer, au besoin même d’office,

Monsieur/Madame X conclut à ce qu’il plaise à la Cour de cassation de :

- Casser et annuler l’arrêt attaqué [38], avec toutes conséquences de droit ».

Indiquer les éventuelles pièces jointes au mémoire, étant précisé que les pièces nouvelles ne sont pas recevables en cassation.

Surtout, il est impératif de terminer le mémoire, au bas de la dernière page, par la signature manuscrite du demandeur en personne au pourvoi, en y faisant clairement apparaître ses nom, prénom, et éventuellement sa qualité de représentant de la personne morale [39].

Si le demandeur est mineur, il peut aussi s’agir de la signature de son représentant légal présenté comme tel [40].

Samy Merlo, Juriste Mail: [->samy.merlo.juriste@laposte.net]

[1Ou uniquement de première instance s’agissant de certains jugements rendus en premier et dernier ressort par le Tribunal de police, insusceptibles d’appel.

[2Pour mémoire, on appelle « jugements » les décisions rendues par les Tribunaux en première instances, et « arrêts » celles rendues en appel ou en cassation. En cas de doute, ou pour englober toutes les situations, l’on emploiera le terme générique de « décision ».

[3Ainsi qu’il résulte de l’intitulé du livre III du Code de procédure pénale.

[4Nom que l’on donne à la partie finale « Par ces motifs » d’une décision de justice, ou d’un mémoire, et qui énonce, respectivement, soit les effets de la décision, soit les demandes du justiciable.

[5Considérations de droit et de fait fondant le dispositif ; autrement dit, ce sont les « raisons » pour lesquelles la juridiction a rendu telle décision qu’il résulte de son dispositif. L’exposé des motifs se situe après le rappel des faits et de la procédure et avant le dispositif.

[6Liste non exhaustive.

[7C’est-à-dire pour que la Cour de cassation accepte de statuer sur son bien-fondé pour aboutir à une éventuelle cassation.

[8« Question prioritaire de constitutionnalité », permettant au justiciable de contester la conformité d’un texte de loi à la Constitution et, par suite, d’obtenir son abrogation.

[9Crim 25 juin 2013 n° 11-88.037.

[10Crim 12 juillet 2022 n° 20-86.652.

[11Crim 25 juin 2019 n° 18-86.628.

[12Article 385 du Code de procédure pénale.

[13Crim 4 septembre 2018 n° 17-80.908.

[14Crim 19 avril 2017 n° 16-81.095 ; de manière assez contre-intuitive d’ailleurs, puisque celles-ci peuvent aussi être relevées d’office : Crim 7 juin 1995 Bull. crim n° 208.

[15Article 599 du Code de procédure pénale.

[16Article 592 du Code de procédure pénale.

[17Crim 6 septembre 2022 n° 22-80.828.

[18Article 593 du Code de procédure pénale.

[19Crim 8 avril 2021 n° 20-80.530.

[20Crim 25 octobre 2006 n° 05-85.998.

[21Crim 5 mars 1963 n° 62-92.450.

[22Crim 8 février 2017 n° 16-80.102.

[23Crim 9 janvier 2018 n° 17-80.200.

[24Article 23-5, alinéa 1, de l’ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958.

[25Exemple : Crim 4 novembre 2021 n° 20-84.441.

[26Exemple : Crim 22 juin 2022 n° 21-81.083.

[27Article R49-31 du Code de procédure pénale.

[28Sauf à ce que le mémoire soit remis au greffier au moment même de la déclaration.

[29S’il s’agit d’une personne morale, ajouter ici : « es qualité de représentant de la société X, ayant son siège social à l’adresse Y ..., immatriculée sous le numéro ... ».

[30L’on peut aussi, de manière facultative, mentionner les noms des adversaires de la même manière : « Contre : Monsieur/Madame ... », étant précisé qu’il n’est jamais d’usage de présenter le Ministère public ou son représentant comme un « adversaire » ; l’on écrira simplement « En présence du Ministère public ».

[31N’entre pas ici en considération la technique de rédaction du moyen de QPC, rédigé sur un mémoire distinct spécialement dédié, que nous verrons dans un prochain article.

[32Article 590 du Code de procédure pénale.

[33Ici les éléments critiqués de la décision attaquée.

[34Reprendre ici textuellement les motifs de la décision attaquée ; cette partie est facultative et n’a d’intérêt que si les motifs retenus ont une importance, ce qui est le cas, par exemple, lorsqu’on invoque une insuffisance ou une contradiction des motifs.

[35Expliquer ici en quoi la règle de droit a été violée, en indiquant expressément le texte dont la violation est alléguée s’il n’apparaît pas ailleurs dans la phrase.

[36Reprendre ici textuellement les motifs énoncés par la juridiction ayant rendu la décision attaquée, avec ou sans guillemets.

[37C’est-à-dire, ici, les articles 132-1 et 130-1 du Code pénal simplement mentionnés dans la phrase.

[38En précisant ici le point que l’on souhaite voir annuler si la cassation sollicitée n’est que partielle : « en ce que ... ».

[39Article 584 du Code de procédure pénale.

[40Crim 14 novembre 2017 n° 17-80.893 ; voir également l’article L12-6 du Code de la justice pénale des mineurs.

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