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Le statut juridique des nouveaux « civils combattants » ukrainiens à l’aune du droit international. Par Altina Silva, N’nan Tessougue, Fatou Deme, Lith Mouity Ibouanga, Mélissa Seeman Pham, Etudiantes.
Parution : lundi 13 mars 2023
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Le conflit Russo-Ukrainien a soulevé de nombreuses interrogations notamment celles du statut juridique des civils combattants.
Les conventions internationales rappellent le statut de ces derniers. Cependant, eu égard les faits, se posent la question de l’efficacité des normes internationales s’agissant du respect des droits de l’Homme.

Pour l’éminent homme politique et socialiste français, Jean Jaurès « Quel que soit l’être de chair et de sang qui vient à la vie, s’il a figure d’Homme, il a droit au respect de ses droits humains ». Cette pensée de Jean Jaurès a traversé les temps afin de s’enraciner dans la société à l’aune du droit notamment du droit international des droits de l’Homme.

Cette pensée s’inscrit dans la même optique que les jus naturalis pour qui la liberté est inhérente à l’Homme. En d’autres termes, là où il y a la population humaine, il devrait y avoir des droits peu importe le contexte. Ainsi, en principe, ni la guerre, ni les crises politiques de quelque nature que ce soit, ne devraient empiéter sur ces droits humains.

Bien que les grandes guerres mondiales, les crises post-électorales de 2002 en Côte d’Ivoire, la guerre en Israël, en Iran aient remis en question le caractère inaliénable des droits de l’Homme, les textes internationaux notamment l’article 3 de la déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 a permis d’asseoir les bases d’une protection des droits de l’Homme en temps de conflit.

La notion de conflit a pendant longtemps suscité des interrogations avant de faire l’objet d’une définition. Ainsi, le terme de conflits armés désignerait le recours à la force par des États selon la Convention de Genève de 1949 faisant de la guerre, le monopole des Etats.

Toutefois, le droit international humanitaire insère de nouveaux acteurs à savoir les combattants et les civils bien qu’en principe passifs. L’article 4 de la troisième Convention de Genève prévoit une définition positive du combattant. En effet, sont considérés comme des combattants, les membres des forces armées régulières dotés d’une légitimité à intervenir en période de conflits armés. A contrario, les personnes civiles font l’objet d’une définition négative à travers l’article 50§1 Protocole Additionnel I de la Convention de Genève ; lequel définit la personne civile comme « toute personne qui ne participe pas aux forces armées, régulières ou non, ou à une levée en masse ». Cette tentative de définition se heurte à des confusions lorsque des civils interviennent en qualité de combattants comme ce fut le cas durant la guerre en Ukraine.

La guerre en Ukraine s’inscrit dans un contexte géopolitique ambigu et une relation belliqueuse connue de l’histoire. L’époque tsariste en Russie est controversée, marquée à la fois par des fractures, des désordres, mais également par des avancées. La grande Révolution d’octobre 1917 a suscité des controverses quant au régime politique. Alors que certains semblaient favorables au retour de la monarchie en Russie, d’autres regrettaient l’époque soviétique. Face à cette divergence, Vladimir Poutine a instauré un Etat paternaliste, aux côtés du système de Staline favorable au progrès industriel et technique à travers l’invention de la bombe atomique et le succès de la Seconde Guerre, faisant de la Russie, une superpuissance mondiale, en « contrepartie » d’une fragilité des droits humains. C’est ce que souligne Madame Tatiana Kastouéva - Jean, spécialiste des politiques intérieures et étrangères russes, « cette domination internationale a durablement marqué les Russes ; le pays était alors craint et respecté. Ces succès occultent finalement les répressions menées par le régime ». La dislocation le 26 décembre 1991 de l’URSS marque un tournant majeur dans l’histoire du pays avec l’indépendance de la Russie. Cette indépendance a aussi été la source de tension géopolitique. En effet, alors que Boris Eltsine ancien président de la Russie tentait d’établir les principes démocratiques et exhortait les autres républiques à prendre leurs indépendances afin de prétendre à une souveraineté, Poutine quant à lui, souhaite rétablir l’ancienne URSS. Pour lui, l’Ukraine n’est pas un État, mais une partie de la Russie. il affirmait ainsi lors d’une rencontre avec George W. Bush Kommersant, 7 avril 2008 : « Tu comprends, George, que l’Ukraine n’est même pas un État ! Qu’est-ce que l’Ukraine ? Une partie de son territoire est en Europe de l’Est, et une autre, et pas des moindres, nous a été offerte ! ». Outre cela, l’annexion de la Crimée par la Russie en 2014 est le reflet de cette histoire mouvementée, de même que la déclaration d’annexion de certaines villes ukrainiennes faite récemment par référendum.

La naissance de l’Etat ukrainien le 24 août 1991 est marquée par une légitimité étatique fragile. En effet, la légitimité de l’Etat Ukrainien sur la scène internationale a été reconnue par l’Organisation des Nations Unies et par certains Etats de l’Union européenne, comme la France. Lors même que la légitimité de l’Etat Ukrainien soit l’objet de controverses au sein de la Fédération de Russie, la reconnaissance de l’Ukraine en tant qu’un Etat souverain à part entière demeure une réalité en droit international et non un fable comme l’espérait Poutine. La volonté sans cesse réitérée de l’Ukraine à acquérir une véritable souveraineté a sans doute favorisé son invasion afin de le maintenir dans un système politique Russe. L’invasion de l’Ukraine intervient huit ans après le déclenchement de la guerre Russo-Ukrainienne qui suit l’invasion et l’annexion Russe de la Crimée, ainsi que le début de la guerre du Donbass à partir du printemps 2014. Ces actions sont nées de l’opposition Russe au mouvement Euromaïdan de 2013-2014. En septembre 2020, le président Ukrainien valide une nouvelle stratégie de sécurité nationale qui prévoit un rapprochement avec l’OTAN en vue d’une adhésion. Cette nouvelle vision ukrainienne a été perçue comme un affront par Poutine qui, comme rappelé précédemment, souhaite maintenir une emprise sur le territoire Ukrainien. À l’issue de cette annonce, la Russie formule un nouveau traité de sécurité européen comportant différents volets à savoir : le statut de l’OTAN. Face à la persistance de l’OTAN à vouloir octroyer une autonomie à l’Ukraine, la Russie exerce une pression militaire aux frontières de l’Ukraine. Ces velléités expansionnistes couplées à la peur de voir l’Ukraine intégrer l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord ont poussé « l’ours Russe » en reprenant la dénomination du documentaire ARTE intitulé « Poutine, le retour de l’ours dans la danse » du 24 janvier 2022, à violer les principes majeurs du droit international tels que les principes de l’inviolabilité des frontières, du respect de l’intégrité territoriale des États et de l’interdiction de recours à la force, reconnus à l’article 2 Paragraphe 4 de la charte de l’Organisation des Nations Unies.

A cet effet, le Parlement russe a adopté une résolution le 16 février 2022 afin de reconnaître deux territoires de l’est de l’Ukraine, contrôlés par des groupes armés soutenus par la Russie, en tant qu’États indépendants. Le 21 février, le président Vladimir Poutine a par deux décrets reconnus l’indépendance de ces deux territoires, tout en ordonnant aux forces armées russes massées à la frontière de « maintenir la paix » dans les républiques populaires autoproclamées de Donetsk (DNR) et de Louhansk (LNR). Le 22 février, le Conseil de la Fédération de Russie, la Chambre haute du parlement russe a approuvé la demande de Vladimir Poutine de déployer des forces armées sur ces territoires. Le président Poutine a déclaré que les frontières des territoires reconnues comme indépendantes par la Russie s’étendent sur une surface importante des régions de Donetsk et de Lougansk, qui sont sous le contrôle du gouvernement ukrainien. Poutine et son Gouvernement justifient les opérations militaires dirigées contre le peuple Ukrénien par une volonté de « dénazification de l’Ukraine ».

Cette guerre montre la fragilité des droits de l’Homme et de la paix internationale. Le retrait de Vladimir Poutine du Conseil de l’Europe le 16 mars 2022 montre la difficulté du caractère universel des droits de l’Homme, en soulignant une politisation et une démocratisation des droits de l’Homme. Cette exclusion reste une tragédie pour la population russe qui ne bénéficie plus de protection effective en matière de droits de l’Homme. D’après Agnès Callamard, secrétaire générale d’Amnesty international « l’invasion a déclenché une crise de très grande ampleur sur le plan humanitaire, des droits humains et des déplacements, qui a les caractéristiques de la pire catastrophe de ce type de l’histoire récente de l’Europe. La Russie porte atteinte à la souveraineté de l’Ukraine et remet en question la structure de la sécurité mondiale ».

Face à la montée des interventions militaires russes, la population civile ukrainienne a été animée par une volonté : rétablir la protection de ses droits.

Face à cette tension internationale, il est nécessaire de s’interroger sur le statut des personnes civiles prenant part aux conflits armés. Ceux-ci jouissent-ils de nouveaux droits ? Peuvent-ils faire l’objet de condamnation pour crime de guerre ?

Si une qualification juridique des « civils ukrainien combattants » fait l’objet d’interrogation (I), il semble nécessaire qu’un renforcement juridique de la protection des droits de l’Homme soit effectué afin de garantir au mieux les droits de l’Homme (II).

I/ Une interrogation quant à la reconnaissance juridique des « civils ukrainiens combattants ».

Le droit international a contribué à l’effervescence d’outils relatifs à la protection des individus. Les deux guerres mondiales ont titillé la conscience des Etats. C’est ainsi qu’en 1949, l’adoption de la Convention de Genève a permis d’édifier ce flou juridique, faisant de celle- ci, la clé de voûte en matière de protection des droits de l’individu.

Malgré l’apport de la Convention de Genève en droit international, fort est de constater que certaines problématiques telles que « le statut des civils combattants » demeure un sujet épineux. A cet égard, il semble nécessaire de procéder à un rappel du statut des civils et des combattants en droit international (A), puis dans un second temps, il sera nécessaire de voir si l’applicabilité de ces règles est efficace face à l’évolution des modes de guerres notamment à travers l’exemple des hackers civils ukrainiens (B).

A. Une qualification juridique complexes des civils combattants sous le prisme du droit international.

Juridiquement, les principales règles relatives au droit des conflits armés ont été impulsé par le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), notamment à travers l’adoption des différentes Convention de Genève de 1949 qui tendent à réglementer les hostilités et encadrer, limiter, voir prohiber le recours à la guerre. La traditionnelle Convention de Genève, initiée par le Comité International de la Croix-Rouge en 1864 en réaction aux atrocités de la bataille de Solférino est relative à la protection des malades et blessés des forces armées en campagne. C’est ce texte qui impulsera les fondements du droit international humanitaire pour la protection des personnes en temps de conflits armés. La deuxième Convention, fortement inspirée de la première, étend les obligations du droit international à la protection des malades, blessés et naufragés dans les forces armées sur mer. La troisième Convention est spécifique au traitement des prisonniers de guerre.

Enfin, la quatrième et dernière, est relative à la protection des populations civiles.

Le Comité international de la Croix-Rouge est une organisation humanitaire dont l’objectif principal est la promotion et la défense du droit international humanitaire. Pour se faire, le Comité mène non seulement une action de sensibilisation des différentes parties à un conflit - que ce soit les Etats, ou les groupes armés - ainsi qu’une mission de protection des personnes affectées par les conflits, qu’ils soient civils, blessés, ou encore prisonniers de guerre. Elle dispose d’une délégation permanente auprès du siège de l’ONU et d’un statut d’observateur permanent à l’Assemblée Générale des Nations Unies.

En parallèle de ces règles conventionnelles, il existe également des normes coutumières, qui peuvent être imposées, notamment lorsque les normes provenant du droit international humanitaire semblent insuffisantes. Ces règles s’appliquent naturellement aux Etats qui constituent les sujets par excellence du droit international - puisque ce sont les premiers débiteurs des règles du droit international humanitaire étant donné que ce sont ces Etats qui ratifient les conventions relatives à l’encadrement du « droit de la guerre » - ainsi qu’aux responsables militaires, aux forces armées, et plus largement, à l’ensemble des soldats qui constituent l’armée régulière d’un État.

1. La distinction fondamentale entre cible militaire légitime (combattant) et cible militaire non légitime (civil) : une qualification juridique complexe.

Si le droit international humanitaire s’intéresse tant aux règles régissant la conduite des hostilités, qu’à celles qui protègent les victimes de ces conflits armés tels que les prisonniers de guerre, les civils, et les blessés, il a nécessairement érigé certains principes au fondement de ce droit, tel que le principe d’humanité, le principe de nécessité militaire, le principe de précaution, le principe de neutralité de l’aide humanitaire, et le principe de distinction, qui impose de distinguer les cibles militaires et celles qui ne sont pas militaires.

La théorie du droit volontaire, développée par de Vattel, est une théorie selon laquelle ce sont les Etats eux-mêmes qui vont choisir les règles auxquelles ils seront soumis en tant de conflit, et qu’ils vont s’engager à respecter. C’est cette réflexion qui a donné naissance à la distinction fondamentale entre combattant et non-combattants. Les combattants peuvent se battre entre eux, mais les non-combattants sont intouchables.

« En vue d’assurer le respect et la protection de la population civile et des biens de caractère civil, les Parties au conflit doivent en tout temps faire la distinction entre la population civile et les combattants ainsi qu’entre les biens de caractère civil et les objectifs militaires, et par conséquent, ne diriger leurs opérations que contre des objectifs militaires » précise l’article Article 48 du Protocole 1 de 1977.

Les civils, pris individuellement ou au sens de la population civile sont les bénéficiaires naturels du droit international humanitaire et doivent être immunisés contre toute attaque en tant que « personnes protégées » au sens des Conventions de Genève, conformément au principe de distinction, et du principe de proportionnalité. Ce principe de distinction entre les cibles militaires, donc légitime, et ce qui n’est pas militaire, est donc protégé. Il est nécessaire de rappeler que cette qualification de cible militaire légitime est déterminée au cas par cas.

Le droit de Genève impose que « les personnes protégées ont droit, en toutes circonstances, au respect de leur personne, de leur honneur, de leurs droits familiaux, de leurs convictions et pratiques religieuses, de leurs habitudes et de leurs coutumes ».

Ainsi, « elles seront traitées, en tout temps, avec humanité et protégées notamment contre tout acte de violence ou d’intimidation […] ». C’est à la lumière du principe d’humanité énoncé dans cet article 27 de la quatrième Convention de Genève que doit être lu l’entièreté de la Convention. A ce titre, les civils doivent être protégés contre les traitements inhumains, et contre l’arbitraire.

Si tous les civils méritent une protection, il n’empêche pas qu’une protection catégorielle vienne protéger plus amplement certaines populations, tels que les femmes, les enfants, les personnes âgées, les personnes en situation de handicap, et les journalistes. Bien que cette protection confère des avantages à certaines catégories de personnes protégées, elle n’est pas contraire au principe de non-discrimination. Ainsi, dès les Protocoles de 1977, ont interdit le recrutement des enfants de moins de quinze ans.

Cette interdiction sera reprise dans le Statut de la Cour pénale internationale de 1998, en précisant que l’utilisation d’enfants de moins de quinze ans dans la conduite des hostilités est constitutif de crime de guerre.

Toutefois, le Protocole à la Convention sur les droits de l’Enfant pose une interdiction plus protectrice et interdit l’utilisation des enfants jusqu’à l’âge de 18 ans.
Par opposition aux combattants, un civil est un individu n’ayant pas le droit de participer aux hostilités. Cependant, ce ne sont pas les seuls qui bénéficient de la protection du droit international humanitaire, et d’autres acteurs peuvent également en bénéficier : les personnes participant aux hostilités.

C’est à travers une approche large que les textes proposent une liste de personnes considérées par le droit de Genève comme des combattants, afin de pouvoir y intégrer le maximum de personnes, et d’être le plus protecteur possible. En 1977, avec l’adoption du Protocole 1 aux Conventions, la définition tente d’être simplifiée.

En effet, l’article 43§1 de ce protocole défini comme combattant « toutes les forces armées participant à un conflit ». Ces forces se composent de « toutes les forces, tous les groupes et toutes les unités armés et organisés qui sont placés sous un commandement responsable de la conduite de ses subordonnés devant cette Partie ». La reconnaissance de ce statut juridique des participants aux hostilités est assorti de droit et de devoir.

Le droit de Genève précise notamment que ces forces armées doivent nécessairement respecter « les règles du droit international applicable dans les conflits armés », et pour se faire, elles « doivent être soumises à un régime de discipline interne » qui s’assure du respect de ces normes. Si l’on parle de combattant, c’est nécessairement parce qu’on est dans un conflit armé international.

Ainsi, tous les individus prenant part de manière directe au conflit Ukrainien/Russe, sont considérés à l’aune du droit, comme des combattants. Il existe néanmoins une exception concernant le personnel sanitaire et religieux. En effet, bien qu’ils suivent les forces armées régulières, ces individus ne participent pas aux hostilités. Toutefois, en cas de capture, ils bénéficient du statut de prisonnier de guerre, plus protecteur en cas de capture.

Conformément au droit international humanitaire, la reconnaissance de ce statut de combattant s’accompagne du droit de participer directement aux hostilités dans un conflit, et bénéficient ainsi de la protection du droit international humanitaire, le temps de cette participation aux hostilités.Ainsi, en cas de capture lors d’un conflit armé international, un combattant se voit octroyer le statut de prisonnier de guerre, tandis qu’un civil quant à lui, dispose du statut d’interné.

Ce droit de participer aux hostilités est soumis à conditions, et dès lors qu’on est reconnu comme combattant, il est nécessaire de respecter certaines obligations, comme celle de porter un uniforme militaire permettant son identification en tant que combattant, afin de distinguer cette cible militaire légitime des civils qui sont intouchables. Toutefois, la réalité des combats impose que certains militaires ne puissent, ou ne veuillent porter d’uniforme lors de certaines opérations. Dans ces cas, il se voit tout de même imposé de porter ouvertement ses armes.

Note : Article 44§3 P1 : « les combattants sont tenus de se distinguer de la population civile lorsqu’ils prennent part à une attaque […] ».

La Convention de Genève s’applique aux personnes blessées et malades. L’article 13 de cette Convention vient préciser les personnes concernées. Ainsi, cette définition textuelle implique non seulement l’identification d’un signe distinctif fixe et reconnaissable à distance, mais également le fait d’avoir à la tête du groupe une personne responsable pour ses subordonnés. Elle impose de « se conformer, dans leurs opérations, aux lois et coutumes de la guerre ».

Le CIRC a proposé un guide d’identification de cette fameuse « participation directe aux hostilités » dans lequel il propose deux critères afin d’identifier un individu comme une cible militaire légitime, et ainsi, le distinguer du civil. Ces critères se fondent sur l’appartenance de l’individu à un groupe armé, et s’intéressent à la nature de l’acte accompli par ce dernier.

Un combattant n’est pas un civil, et par extension, il est donc une cible militaire légitime.

Ainsi, dès lors qu’un individu appartient à une formation armée (que le conflit armé soit international ou non-international), il est considéré comme participant directement aux hostilités. Dans le cadre d’un conflit armé international, il est considéré comme un combattant. Toutefois, ce critère ne semble pas pertinent face à la réalité des conflits.

C’est pourquoi le CICR a précisé l’interprétation de ce critère d’appartenance à un groupe armée : il faut que la personne, assurée pour ce groupe armé, ait une fonction de combat continue.

Concernant la nature de l’acte accompli, c’est la réunion de trois conditions permet de caractériser la participation directe aux hostilités. Premièrement, il conviendra de s’intéresser au seuil de nuisance de cet acte. S’il est susceptible de nuire aux opérations militaires ou à la capacité militaire d’une partie à un conflit armé, l’acte est considéré comme légal. Cependant, si l’acte est de nature à causer des mots, des blessures, voire des destructions de biens ou personnes protégées, cet acte n’est pas couvert pas le droit de participer aux hostilités conférés aux combattants.

Deuxièmement, il s’agira de s’intéresser à la relation directe de causalité entre l’acte réalisé, et les effets nuisibles susceptibles de résulter de cet acte. Par exemple, les civils de la ville de Kiev qui ont délibérément créé des obstacles physiques afin d’empêcher les opérations militaires des soldats russes.

Enfin, il est nécessaire de démontrer que ce lien de belligérance doit être spécifiquement destiné à causer de manière directe, des effets nuisibles, atteignant ainsi le seuil requis, à l’avantage d’une partie au conflit, ou encore, au détriment d’une autre. Dès lors que ces conditions sont remplies, la participation directe aux hostilités est constituée.

Si l’individu est reconnu comme participant direct aux hostilités, il perd son statut de civil, et la protection juridique qui va avec. Ce dernier devient alors une cible militaire légitime.

Les conflits contemporains tendent à remettre en doute les normes du droit international humanitaire acquises. En effet, de plus en plus de civils sont désormais la cible d’attaques militaires, comme il en est le cas dans le conflit ukrainien/russe. De plus, la médiatisation des conflits armés fait émerger de nouveaux enjeux, telle que la participation des civils à l’effort de guerre, ainsi que la participation des médias.

Certes les civils sont protégés contre les attaques, et plus largement contre les effets des hostilités, à moins qu’ils n’y participent de manière directe. Toutefois il est important de rappeler que si les civils participants aux hostilités perdent leur protection contre les attaques et les dommages accidentels, ils ne perdent pas leur statut de civil.

La participation indirecte aux hostilités n’entraîne pas une perte de protection contre une attaque directe, comme le précise le CICR. Par exemple : les civils ayant expédié des armes, la construction d’infrastructures aux fins d’empêcher les opérations militaires ennemies, ainsi que le soutien, tant financier, administratif, que politique.

Cependant, il n’est pas toujours facile d’identifier une personne comme participant aux hostilités. Seul un lien de causalité établissant une participation directe, comme pour les combattants, entraîne cette perte. De ce fait, les mesures préparatoires à l’exécution d’un acte spécifique, le déploiement d’une opération déterminée, l’exécution de l’acte lui-même, et le retour du lieu de l’exécution sont une série d’actions qui constituent une participation directe aux hostilités, entraînant une perte de protection.

L’acte de participation directe aux hostilités doit être spécifiquement conçu pour causer directement le seuil requis de préjudice en faveur d’une partie au conflit et au détriment d’une autre. Par exemple, les civils ayant bloqué une route pour faciliter le retrait des forces insurgées en retardant l’arrivée des forces armées gouvernementales.

2. Une protection du droit international humanitaire des personnes participant activement au conflit qui passe par l’octroi du statut de prisonnier de guerre.

Pour savoir qui est prisonnier de guerre, il est nécessaire de partir de la définition du combattant. Ainsi, dans un conflit armé international comme celui opposant l’Ukraine à la Russie, si un combattant est capturé, peu importe son affiliation militaire, il se verra automatiquement octroyer le statut de prisonnier de guerre, en application de l’article 44 du Protocole 1 cité précédemment. Ce statut de prisonnier de guerre, vaut du moment de la capture, jusqu’à la libération effective, voir le rapatriement de l’individu prisonnier de guerre. De ce fait, c’est le régime juridique de la troisième Convention de Genève qui s’appliquera.

Il est pertinent de rappeler que tous combattants se doivent de respecter les règles du droit international humanitaire, et même s’ils ne les respectent pas, ils doivent bénéficier de la protection de ce droit. Par conséquent, le non-respect du droit international humanitaire n’est pas une cause légitime de non-application du statut de prisonnier de guerre. Ainsi, un soldat ayant commis un meurtre atroce, se verra tout de même appliquer le statut de prisonnier de guerre lors de sa capture par le camp adverse. En pratique, il est possible de constater que cette règle est difficile à faire respecter. Pour pallier cette difficulté d’application, il existe une présomption favorable à la qualité de prisonnier de guerre, de sorte que lorsqu’un individu est arrêté, et qu’il existe une suspicion que ce dernier est un combattant, même sans preuve formelle, on lui applique par défaut le statut de prisonnier de guerre. Cette présomption a pour but de garantir l’effectivité du droit international humanitaire, en lui appliquant en cas de doute, le statut le plus protecteur conféré par ce droit. On constate cependant qu’en pratique, cette présomption est fréquemment rejetée, notamment depuis le 11 septembre. En cas de doute sur le statut de la personne emprisonnée, c’est à un juge de trancher le litige entre la reconnaissance du statut de combattant, ou du statut de civil, et non à l’autorité militaire.

Bien qu’il soit possible de les faire travailler pendant leur privation de liberté, ces derniers ne doivent tout de même pas être mis en contact avec les hostilités et en aucun cas, contribuer à un effort de guerre. Sinon, il est question d’enrôlement forcé, interdit par le droit international humanitaire. Cette privation de liberté est une détention aux fins d’éviter que l’individu se bat à nouveau contre les forces qui l’ont capturé. Mais en aucun cas, elle doit être assimilée à une sanction. De ce fait, les autorités responsables des prisonniers de guerre doivent veiller à ce que ces derniers aient des conditions de vie correctes en attendant la fin des hostilités.

Si l’on constate que lors de ces dernières années les femmes prennent de plus en plus part aux combats, notamment depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, elles doivent avoir, comme tout combattant, le statut de prisonnier quand elles sont capturées.

Toutefois, comme pour les enfants, des règles spécifiques viennent les protéger, ainsi, elles doivent être placées dans des cellules différentes de celle des hommes afin d’éviter de potentiels abus.

Néanmoins, la situation en pratique n’est pas si simple et le conflit en Ukraine permet de montrer la difficulté de cette distinction.

B. L’applicabilité de ces règles face à l’évolution des modes de guerres, enjeu de protection : l’exemple des hackers civils ukrainiens.

Ce conflit permet de montrer l’évolution des combattants, ou guerre numérique et guerre traditionnelle sont sur le même plan ( 1), toutefois le droit semble montrer des failles quant à cette évolution (2).

L’émergence d’un nouveau type de conflit : L’exemple des civils hackers
Le 26 février 2022, une armée informatique d’Ukraine « It’s army » a été créée à la demande du ministre Ukrainien de la transformation numérique, Mykhailo Fedorov via Twitter. Il s’agit d’une organisation de cyberguerre volontaire, dont la gestion se fait principalement sur le site internet It army of Ukraine et le groupe Telegram. Des volontaires Ukrainiens mais également des civils de toutes nationalités ont rejoint ce mouvement. Selon The Guardian, ils sont plusieurs milliers à s’être inscrits sur le groupe appelé It Army of Ukraine, hébergé par l’application cryptée Telegram, à travers lequel les membres se voient attribuer des tâches conçues « pour mener le combat contre Vladimir Poutine ». L’objectif est de lutter contre l’intrusion numérique de l’information ukrainienne, du cyberspace et de ralentir l’avancée des troupes russes. Néanmoins, la difficulté de ce nouveau mode de fonctionnement est que nous sommes face à un nouveau type de guerre, basée sur le numérique et donc contrebalançant avec le schéma classique de la guerre. Il s’agit d’une guerre à distance, avec un profil de personne qui change. Ce sont des civils qui viennent de beaucoup de pays sous une identité anonyme. Il se pose la question de savoir si nous sommes face à une participation directe à l’effort de guerre ou à une initiative citoyenne ?

La question des hackers est complexe. En effet, cette action se fait sur la base du volontariat et dans l’objectif de soutenir la population et les soldats ukrainiens comme le montre un témoignage d’un civil qui a rejoint le groupe transposé dans le Figaro « Les attaques de Poutine contre l’Ukraine sont injustes, et vont causer des milliers de morts parmi les civils et les militaires » Toutefois, la distinction entre civil et combattant est floue, en l’espèce des civils participent à des missions comme des combattants. Ils sont encadrés par le ministre et l’État Ukrainien, qui demande pour ceux qui le souhaitent de participer à l’effort de guerre, avec un objectif qui est de bloquer les serveurs russes dans le but de ralentir les troupes russes sur le terrain, notamment en attaquant les sites des banques russes.

Néanmoins, il pourra s’agir en réalité d’un combat contre les troupes russes. Quelle est la frontière entre ces deux statuts ?

2. La conciliation entre droit international et évolution des conflits : la préoccupation des civils.

Il s’agit donc d’un conflit armé numérique où l’arme et les attaques sont effectuées via des serveurs internet. Même si, la notion de combattant a évoluée juridiquement, grâce aux Protocoles additionnels de 1977, ils ont cherchés à élargir le statut des combattants en y indiquant que toutes personnes qui participent directement aux hostilités, et à mieux protéger les civils qui participent directement aux conflits, aujourd’hui ces règles semblent plus adaptées face à cette évolution.

A l’inverse de civils manifestants contre cette guerre ou des initiatives de soutien qui ont été faites, ces exemples constituent une action d’initiative citoyenne, sans basculer dans le statut de combattant. Quid de la distinction faite par le droit international humanitaire ?

Par ailleurs, deux intérêts fondamentaux s’opposent, la protection de l’ordre public et le respect des droits et libertés fondamentaux. Néanmoins, les activités hacktivistes restent condamnables pénalement. De plus, ces civils volontaires s’exposent à plusieurs dangers.

En effet, cette armée ukrainienne est une organisation désorganisée, ou ces civils peuvent subir des attaques. Comme l’a relevé l’organisation internationale Amnesty International, des attaques menées peuvent en réalité être victime d’un site malveillant. L’étendue des participations hacktivistes sur le continent européen peuvent mettre en danger la stabilité internationale notamment du fait que les Russes ne peuvent pas forcément voir les attaques des civils occidentaux alors que le conflit se concentre sur le territoire russe et ukrainien.

Cette étendue peut mener à une escalade de la violence et à une remise en cause de la stabilité internationale.

Même si le Conseil des droits de l’homme a affirmé dans les traces de la Convention de Genève [1] que « des mesures efficaces propres à garantir et surveiller la mise en œuvre des droits de l’homme devraient être prises en faveur des populations civiles dans les situations de conflits armés ».

Ces civils s’exposent donc à la perte de leur protection. C’est cet oxymore entre protection de l’ordre public et libertés fondamentales qui se pose dans les conflits internationaux et non-internationaux. En participant à l’effort de guerre, ceux-ci ne bénéficient plus de leur protection civile mais de la protection de prisonniers de guerre.

C’est ce qu’a rappelé lors d’une interview du 4 octobre 2022 sur BFM TV le ministre de la Défense Ukrainien Oleksiy Reznikov qui a affirmé qu’en Ukraine était respecté ce statut de prisonnier de guerre, notamment sur le respect la convention de Genève et l’article 3 de la CEDH qui prohibe l’interdiction de la torture et les traitements inhumains et dégradants. Au fond, peu importe le statut toute personne doit être traité avec humanité

Le droit international prévoit que les États ont des obligations vis-à-vis de leurs populations, notamment de leur garantir l’effectivité de leurs droits. En effet, l’Organisation des Nations unies ainsi que la pratique internationale ont reconnu que le droit international des droits de l’homme s’appliquait pendant un conflit armé. Ce sont deux sources complémentaires d’obligations lors d’un conflit armé. Le Comité des droits de l’homme l’a confirmé dans ses observations générales n° 29 (2001) et n°31 (2004). De ce fait, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques est applicable en cas d’un conflit armé. La résolution 9/9 du Comité des droits de l’homme a reconnu que le droit international des droits de l’homme et le droit international humanitaire sont complémentaires et se renforcent mutuellement. Toutefois, la garantie de ces droits en l’espèce ce fait à quel prix ?

Le conflit Russo-Ukrainien a soulevé de nombreuses fragilités du respect des règles de droit internationales lors des conflits armés, un renforcement des règles juridiques restent primordiale.

II/ Un renforcement juridique nécessaire de la protection des droits de l’Homme.

L’expression par laquelle, « jus es art boni aequi », c’est à dire l’art du bon et du juste prend son sens eu égard à l’application du droit. Cette application, une fois étendue à la société, octroie au droit son sens véritable. C’est ainsi que dans le cadre des conflits armés, des textes juridiques viennent régir l’atmosphère belliqueuse en reconnaissant aux individus, des droits selon que ceux-ci soient reconnus comme des combattants ou non. A cet égard, l’existence d’une protection juridique bien que dualiste (A) est avérée. Toutefois, cette protection juridique se heurte hélas à des insuffisances, causant ainsi son inefficacité (B). Cette inefficacité est sans surprise dans la mesure où le droit s’adapte sans cesse, aux innovations, aux mœurs de notre société. D’ailleurs, le caractère « jus » et « boni » du droit ne suppose pas de celui-ci qu’il soit parfait. En effet, la prise en compte, ou du moins l’acceptation des limites d’un texte de droit est importante car cela permet de titiller la dissonance cognitive des Etats et de contribuer à une protection plus complète des droits de l’Homme par ricochet.

A. L’existence d’une protection juridique dualiste.

Il s’agit d’envisager les textes juridiques protecteurs des droits de l’Homme de façon générale et non simplement, les textes internationaux axés prima facie sur une catégorie de personne. A cet égard, seront abordés, les textes relatifs au droit humanitaire (1) et les textes portant sur les droits fondamentaux (2). Malgré la différence des deux droits, ceux-ci revêtent une importance équivoque dans le cas d’espèce. En effet, bien que l’être humain soit né libre et que la reconnaissance de ses droits lui soit inhérente, c’est par la disposition des choses notamment l’édiction et l’adoption des textes, que ces droits bien que naturalis, revêtent une portée légale et concomitamment, un caractère de jus cogens pour certains.

1- La protection juridique prévue par le droit international humanitaire [2].

Les principes du droit international humanitaire promeuvent tantôt, une légalité dans la conduite des hostilités à travers la reconnaissance d’une humanité à l’égard des combattants et une retenue à l’égard des non-combattants ; tantôt une protection des victimes de la guerre en temps de conflit armé. Cette considération à l’égard des combattants et des non-combattants ou encore des victimes de la guerre, s’inscrit dans une optique humaine et bien sûr légale. Dans une société des droits de l’Homme où la liberté et la démocratie règnent, la protection des droits humains devrait aller de concert.

C’est en cela que réside l’essence du droit international humanitaire. C’est ainsi que dès le XIIème siècle, l’église à travers une décision rendue par le deuxième concile de Latran, réitérée par le Pape Innocent II et III a fait preuve d’humanité en interdisant l’usage de certaines armes.

Cette interdiction avait pour objectif, la protection des combattants. En effet, la Convention de Saint-Pétersbourg signée le 11 décembre 1868 prévoit l’interdiction de recourir à « certains projectiles pesant moins de 400 grammes » en tant de guerre. Cette déclaration a été une source d’inspiration puisque l’article 23.e du règlement annexe de la IVème Convention de la Haye du 18 octobre 1907 sur les lois et coutumes de la guerre sur terre, interdit « d’employer des armes, des projectiles ou des matières propres à causer des maux superflus ». Dit simplement, les armes susceptibles de causer de la souffrance humaine sont proscrites. C’est le cas par exemple des armes chimiques ou biologiques.

De même, la Convention signée à Londres, Moscou et Washington le 10 avril 1972 publiée au journal officiel le 18 novembre 1984 sur l’interdiction de la fabrication et le stockage des armes bactériologiques interdit, à son tour, l’usage des armes bactériologiques. Le formalisme de ces textes semble octroyer au droit humanitaire, un caractère de jus cogens. Pourtant cette impression n’est que fallacieuse au regard des nombreuses atteintes directes faites aux textes internationaux. En effet, les précédents événements notamment la guerre civile en Syrie survenue en 2011 a permis de démontrer l’usage des armes chimiques causant ainsi des atteintes graves aussi bien à la santé physique et psychique des combattants qu’à la santé des civils non combattants.

La protection des non-combattants est un principe traditionnel, fondamental en principe indérogeable. D’ailleurs, l’article 8 alinéa 2, b) i) du Statut de Rome de la Cour Pénale Internationale considère comme un crime de guerre « Le fait de diriger intentionnellement des attaques contre la population civile en tant que telle ou contre des civils qui ne participent pas directement aux hostilités ». Cela revient à dire que les attaques militaires, premièrement, ne doivent pas être dirigées contre la population civile. Deuxièmement, de telles attaques constituent des crimes et donc, sont susceptibles de condamnation.

Cependant, le nombre élevé de personnes civiles victimes de la guerre, outre les guerres mondiales, les guerres civiles en Irak, en Iran et en Côte d’Ivoire en 2002, 2011 ou encore en Libye montre le non- respect des Etats à l’égard du droit international humanitaire. Tout récemment, le nombre des victimes (morts et blessés) au cours de la guerre en Ukraine vient confirmer le non-respect des règles internationales.

Cette guerre a suscité des interrogations nouvelles à savoir, la place des civils combattants en temps de guerre. La protection des non-combattants, bien que lacunaire, s’étend-elle aux civils combattants ?

En l’état actuel du droit, il est reconnu deux grandes catégories d’individus, les combattants et les non combattants, bénéficient, l’un et l’autre de garanties différentes au regard de leurs statuts distincts (voir le paragraphe précédent). Ce qui paraît tout à fait logique. Toutefois, le civil combattant, par son nouveau statut de combattant ne saurait se prévaloir de son statut de civil. Cette absence de cumul des deux statuts démontre l’esprit des textes. En effet, une société humaine civilisées, démocratiques reconnaît le pouvoir régalien à l’Etat de telle sorte qu’aucun civil ne devrait se substituer en la puissance militaire pour la défense de ses droits. Cette responsabilité incombe de facto à l’Etat, seul souverain en la matière. C’est en cela que réside le contrat social de Jean Jacques Rousseau. La contrepartie de l’encadrement des droits par l’Etat réside dans la protection de ces droits par l’Etat.

En tout état de cause, le droit humanitaire s’est assigné pour mission principale, la protection des droits humains de façon générale. Une fois la prohibition du cumul de statut juridique démontrée, émerge une autre réalité portant sur le mobile. Le mobile ou le motif ayant entraîné la substitution du statut de civil par un nouveau statut de combattant est-il pris en considération par les juridictions internationales ?

En droit pénal français, le mobile à lui seul, ne saurait constituer une cause d’exonération. En effet, une fois le triptyque de l’élément légal, matériel et moral constitué, l’infraction est caractérisée tout comme la tentative d’ailleurs. Une telle réflexion porterait de toute évidence à croire qu’aucun motif, ni la légitime défense invoquée par les civils combattants, ni la protection de leurs biens ne saurait constituer un motif exonératoire de leur responsabilité pour les actes perpétrés. En prenant le cas des civils combattants Ukrainiens dans le cadre de la guerre Russo-Ukrainienne, le motif tiré de la défense des droits civils au regard de l’insuffisance des forces militaires, ne saurait en principe constituer un mobile exonératoire des responsabilités qui sont les leurs.

Outre le droit international humanitaire, le droit international des droits de l’Homme promeut également une protection des droits de l’Homme.

2. La protection juridique à l’aune du droit international des droits de l’Homme.

Parler des droits de l’Homme, c’est avant toute chose, parler des droits humains aussi bien sous le prisme du droit européen que sous le prisme du droit international. En effet, l’Europe à travers les articles 5,6, 9 et 10 de la Convention Européenne de Sauvegarde des Droits de l’Homme a sû octroyer une protection aux droits de l’Homme. Dans le même esprit, la France en particulier fut le précurseur des droits fondamentaux aux côtés de l’Angleterre à travers la Magna carta de 1215. La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 et bien avant cela, Jean Jacques Rousseau à travers son ouvrage du contrat social, par lequel, il reconnaît des droits aux hommes a été révélateur de l’esprit Français sur la nécessité d’une reconnaissance des droits de l’Homme. Ensuite, progressivement, la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen s’est saisie de la question des droits fondamentaux des droits de l’Homme, en octroyant à la population humaine, des droits inaliénables. Cette consécration non plus simplement philosophique mais désormais juridique a été une source d’inspiration lors de la rédaction de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme (DUDH) adoptée par les Nations Unies en 1948. Au sein de ces sources internationales tournées vers la protection internationale des droits de l’Homme, il convient d’identifier les textes prima facie de portée générale et les sources de portée spécifique.

Parmi les sources prima facie de portée générale la DUDH se présente comme une source incontournable des droits de l’Homme. Ses articles 3, 4, 5 et 7 reconnaissent successivement un droit à la vie, la prohibition de l’esclavage, l’interdiction de la torture et une égalité de tous devant la loi.

Parmi les sources de portée spécifique, il convient de noter qu’au regard de la valeur non contraignante de la DUDH, l’Organisation des Nations Unies a adopté deux pactes internationaux. A cet effet, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques et le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels reprennent les libertés et droits traditionnels d’une part et les droits sociaux d’autre part, prévus par la DUDH. Ces textes ont été adoptés le 16 décembre 1966, ratifiés par la France en 1980 et publiés par décret le 29 janvier 1981.

Aux côtés de ces pactes,la Convention internationale des droits de l’enfant
(CIDE) met l’enfant au cœur du droit, comme étant une personne à part entière. Pourtant les précédentes guerres en Ukraine n’ont nullement épargné les enfants, victimes des maux de la guerre.

Aux côtés de la DUDH et des pactes internationaux, la Commission européenne des droits de l’homme a reconnu le caractère objectif de la Convention européenne des droits de l’homme par arrêt rendu le 11 janvier 1961 par la CEDH dans le cadre d’un litige opposant l’Autriche à l’Italie. Pour la Cour, « […] les obligations souscrites par les États contractants dans la Convention ont essentiellement un caractère objectif, du fait qu’elles visent à protéger les droits fondamentaux des particuliers contre les empiétements des États contractants plutôt qu’à créer des droits subjectifs et réciproques entre ces derniers ». En d’autres termes, les Etats parties aux traités ont des obligations objectives à l’égard des personnes relevant de leur juridiction. La Cour interaméricaine des droits de l’Homme ainsi que le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies se sont inscrits dans la même lignée que les juges européens. A cet égard, il ressort que le droit international des droits de l’Homme est dépourvu de réciprocité. C’est-à-dire que l’objectif poursuivi, n’est plus l’intérêt des Etats mais l’intérêt suprême des droits humains. C’est ce que rappelle la Convention de Vienne du 23 mai 1969. En définitive, aucun Etat ne saurait se prévaloir de son non-adhésion à un traité pour déroger au respect des droits humains.

En prenant le cas de la crise en Ukraine, seul l’intérêt suprême des droits de l’Homme aurait dû prévaloir de sorte qu’aucun individu ne subisse les atteintes subies précédemment. De même, la Russie bien que n’étant pas signataire à tous les traités protecteurs des droits fondamentaux des droits de l’Homme restait tenue au respect des droits de l’Homme car seul prévaut, les droits de l’Homme et non simplement, l’intérêt économique ou politique des Etats. Aujourd’hui, le droit international des droits de l’Homme est une affaire de tous. En tant que tel, la Convention américaine des droits de l’Homme du 22 novembre 1969 (pacte de San-José) tout comme la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples du 27 juin 1981 et la Charte arabe des droits de l’Homme rentrée en vigueur le 15 mars 2008 contribuent au rayonnement des droits de l’Homme aux côtés des textes déjà existant. Cette effervescence textuelle pourrait faire croire en l’existence d’un universalisme des droits fondamentaux des droits de l’Homme. C’est sans doute la raison pour laquelle, l’état de la crise en Ukraine au XXI ème siècle a suscité de l’étonnement auprès du grand public, juriste ou novice.

Au vu des textes en vigueur, la protection des droits de l’Homme devrait être un réflexe et faire l’objet de comportement positif automatique sans que soit nécessaire des mesures de répression. Tous ces textes constituent aujourd’hui, la force du droit international en général. Toutefois, il est une chose, c’est d’édicter des textes et il en est une autre, c’est de savoir les appliquer à travers un système de judiciarisation.

C’est sans doute la raison pour laquelle le professeur Sudre estimait que le propre du droit international passe par une juridiction, apte à faire observer les règles édictées. La guerre en Ukraine est-elle la preuve d’une absence de judiciarisation du droit international ou plutôt d’une insuffisance des règles déjà existantes ?

Malgré un système de protection international, ce système doit aujourd’hui s’adapter aux nouveaux défis et ne doit pas rester sans failles.

B) L’inefficacité des règles existantes.

La protection des civils en temps de conflits armées demeure la préoccupation principale des Etats et des institutions internationales. La guerre en Ukraine témoigne de la violation du droit international humanitaire (DIH) ainsi que du droit international des droits de l’homme (DIDH). Ces deux branches du droit qui poursuivent la même finalité à savoir la sauvegarde de la dignité humaine doivent être en parfaite harmonisation au bénéfice des victimes de la guerre.

Il est ainsi nécessaire d’une collaboration étroite entre le Comité international de la Croix Rouge (CICR) et les Nations Unis. En effet, la forte participation des civils depuis le déclenchement de la guerre brouille les frontières entre le DIH et le DIDH.

Il est déplorable de constater qu’aucune des deux branches ne semble être pleinement adaptée et applicable de façon satisfaisante.

D’une part, le respect du droit international humanitaire pose difficulté à travers la violation des règles qui sont censées régir un conflit armé. En effet, même s’il ne faut pas s’attendre à ce que le droit international humanitaire conduise au retour à la paix en Ukraine, son plein respect contribuerait à protéger les civils.

Par ailleurs, une des faiblesses du droit international humanitaire résulte des limites de la Cour pénale internationale (CPI). Il faut rappeler que cette Cour composée de 18 juges élus par les États parties à la Convention de Rome est un tribunal international permanent dont le mandat est d’enquêter, d’intenter une action en justice et de juger les personnes suspectées d’implication dans le crime de génocide, des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. La compétence de la CPI est assez limitée. Trois raisons l’expliquent :
- Elle ne peut connaître que de quatre catégories d’infractions, considérées comme les plus graves : les crimes contre l’humanité, les génocides, les crimes de guerre et les crimes d’agression ;
- Elle ne peut intervenir que si le crime a été commis sur le territoire d’un État ayant signé la Convention, ou si le mis en cause est un ressortissant de l’un de ces États.

Cependant, le Conseil de sécurité de l’ONU peut donner compétence à la CPI de manière exceptionnelle lorsqu’un État qui n’a pas ratifié la convention commet des violations graves : cela a été le cas pour le Darfour en 2005 ;
- La compétence de la Cour est complémentaire, c’est-à-dire qu’elle n’est mise en jeu qu’en cas de défaillance de l’État compétent pour juger le criminel.

En effet, le Statut de Rome est signé par 123 pays, mais ni par la Russie ni par l’Ukraine. Un obstacle qui n’en est pas un, puisque le statut de la Cour prévoit qu’elle peut exercer sa compétence lorsqu’un non-membre commet des crimes internationaux sur le territoire d’une nation qui est membre de la CPI ou a formellement accepté la compétence de la juridiction. L’Ukraine l’ayant saisie en 2015 après l’annexion de la Crimée, la CPI a toute autorité d’agir.

Toutefois, on constate une implication de la CPI dans le conflit armé en Ukraine en un temps record avec l’ouverture d’une enquête sur les crimes commis en Ukraine par le procureur de la CPI, Karim Khan. Malgré cet effort au niveau de la CPI, il est nécessaire de constituer un tribunal ad hoc pour juger les crimes commis dans le contexte ukrainien.

D’autre part, les hostilités entre les forces armées russes et les forces armées ukrainiennes témoignent de la violation des droits de l’homme. Or, les lois internationales relatives aux droits humains restent en vigueur et continuent de s’appliquer à tout moment, y compris lors de conflits armés et de situations d’occupation, auxquels s’appliquent également les lois de la guerre.

L’Ukraine et la Russie sont toutes deux parties à de nombreux traités régionaux et internationaux relatifs aux droits humains, notamment, le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP) et la (Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants). Même si L’Ukraine demeure partie à la Convention européenne des droits de l’homme, la sortie de la Russie du conseil de l’Europe le 16 mars 2022 apparaît comme une difficulté majeure dans le cadre du respect des droits humains. Certains droits fondamentaux comme le droit à la vie doive être garantis et les civils doivent être protégés contre des actes de torture ou d’autres mauvais traitements.

Qu’il s’agisse d’une sortie volontaire ou forcée, la situation est analysée comme « une régression du niveau de protection des droits de l’homme » par la doctrine. En ce sens, priver les personnes relevant de la juridiction de la Russie de la protection de la Cour européenne affecte le mécanisme de garantie collective mis en place par la Convention européenne.

Par ailleurs, créée en 1946, la CIJ a pour mission de régler les disputes entre les États en fondant ses conclusions sur les traités et les conventions internationaux. Toutefois, il est peu probable que les décisions de la Cour soient suivies d’effets. En effet, si ses jugements sont sur le papier contraignants, le CIJ ne possède aucun moyen de s’assurer de leur mise en application.

A cet égard, l’Ukraine a déposé plusieurs plaintes contre la Fédération de Russie devant la Cour internationale de justice, l’organe judiciaire de l’ONU chargé de trancher les conflits entre États. Dans sa requête, introduite le 26 février 2022, l’Ukraine conteste la légalité de l’invasion russe et demande aux juges de prendre des mesures conservatoires d’urgence. Dans son ordonnance rendue le 16 mars 2022, la Cour internationale de justice a décidé que « la Fédération de Russie doit suspendre immédiatement les opérations militaires qu’elle a commencées le 24 février 2022 sur le territoire de l’Ukraine ». Si la portée de la décision reste symbolique car sans effet, la rapidité sans précédent avec laquelle elle a été rendue constitue néanmoins un signe fort de la part de la Cour. Rendre effectif juridiquement les décisions des comités des droits de l’homme rendrait la protection efficace.

Face à cette situation, il apparaît nécessaire de constituer une Cour internationale des droits de l’homme dont l’objet sera de garantir le respect des droits fondamentaux de l’homme.

Certes, le droit doit exister mais doit surtout être respecté. Les atrocités doivent cesser, les personnes responsables doivent répondre de leur acte et toutes les mesures requises doivent être prises pour atteindre ce but. La finalité du droit, son essence même, est de limiter la brutalité de la force.

Dès lors, il est nécessaire que les Etats prennent des mesures nouvelles appropriés afin d’œuvrer pour le respect des droits de l’homme au niveau international car l’existence des juridictions spécialisées des droits de l’homme ne suffit pas à assurer l’effectivité des droits humains garantis par les textes conventionnels notamment par les traités internationaux.

Les Etats doivent aussi œuvrer dans le sens d’une cohabitation permanente entre le droit international humanitaire et le droit international des droits de l’homme qui repose sur des logiques différentes malgré certains points communs. A ce stade, l’application des règles relatives au droit international des droits de l’homme apparaît plus appropriée pour les civils combattants dans le cadre du conflit ukraino-russe.

Bibliographie.

- La Russie de Poutine en 100 questions, de Tatianna Kastouéva-Jean, Tallandier
- Dans la tête de Vladimir Poutine, de Michel Elthaninoff, Solin / Acte sud
Atlas Géopolitique d’Yves Lacoste, Larousse
- L’Ukraine de l’indépendance à la guerre, d’Alexandra Goujon, le cavalier bleu
- La protection juridique internationale des droits de l’homme dans les conflits armés, par le haut commissariat des droits de l’hommes, New york et Genève, 2011
- Article du Figaro, Dans les coulisses de l’IT Army, ce groupe de hackers amateurs au service de l’Ukraine, Océane Herrero, 15 mars 2022
- Les Conventions de Genève.

Altina Silva Etudiante en droit public appliqué-Université de Paris Saclay, UVSQ N’nan Tessougue Etudiante en droit de la santé et des biotechnologies - Université de Paris Saclay, Evry Fatou Deme Etudiante en droit pénal des affaires-université de Paris Saclay, UVSQ Lith Mouity Ibouanga Etudiante en droit des affaires - MBA ESG, Paris Mélissa Seeman Pham Etudiante en systèmes juridiques et droits de l’Homme-Université Paris Nanterre

[1La protection juridique internationale des droits de l’homme dans les conflits armés par le haut-commissariat des droits de l’Homme, New York et Genève, 2011.

[2Droit international humanitaire - Philippe Bretton ; Aurélien Lemasson – Octobre 2019 (actualisation : Février 2020).