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S’affranchir de la période d’essai pour attirer les talents ? Par Caroline Diard, Enseignant-Chercheur.
Parution : mercredi 1er mars 2023
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Les managers ont imaginé de nombreuses solutions pour attirer et fidéliser les candidats et éviter les démissions trop nombreuses : conditions de travail revisitées, politique de rémunération attractive, expérience collaborateur. Et si la solution était plutôt la mobilisation des possibilités offertes par le droit social : pas de période d’essai ou une clause de garantie d’emploi ?

Des solutions variées pour contrer l’augmentation des démissions.

La déferlante de démissions qui a démarré en 2021 se confirme en 2022 avec au 3e trimestre, 553 400 démissions (dont 494 400 démissions de CDI) en France métropolitaine (+1,6 % par rapport au trimestre précédent) (DARES 12 janvier 2023 [1]).

Les difficultés d’engagement et la baisse d’implication seraient à l’origine de cette « grande démission » à l’image du mouvement du « big quit ou great resignation » américain [2].

Des salariés, massivement, mettent fin à leur contrat de travail. Les médias ont d’ailleurs largement ressassé les mêmes théories concernant ces départs trop nombreux que les recruteurs peinent à compenser : manque de motivation, politique de rémunération inadaptée, conditions de travail, quête de sens…

Divers scénarii ont été élaborés pour attirer les talents : repenser l’organisation du travail (travail hybride, semaine de 4 jours), redéfinir les missions, réinventer les stratégies de rémunération (primes de bienvenue, primes contractuelles attractives, épargne salariale…).

La marque employeur permet de se démarquer pour attirer les meilleurs et le développement de l’expérience collaborateur permet de fidéliser les collaborateurs en les considérant comme des « clients » internes. L’idée est de développer un fort sentiment d’appartenance.

Les entreprises rivalisent donc d’inventivité pour recruter. Les offres d’emploi se font de plus en plus alléchantes, et transparentes ! Ainsi par exemple, la rémunération est très souvent indiquée alors qu’auparavant ce n’était pas l’usage [3].

Et si la solution était ailleurs ?

Imaginons un monde du travail où les contrats débuteraient sans période d’essai.

Les candidats en rêvent… les entreprises peuvent le faire !

La période d’essai de quoi parle-ton ?

Il peut être prévu entre les parties lors de la conclusion du contrat de travail que l’embauche sera précédée d’une période d’essai afin de permettre à l’employeur de vérifier les aptitudes professionnelles du salarié, et afin de permettre au collaborateur de s’assurer que les conditions d’exécution de ses missions lui conviennent. Il s’agit alors d’ajouter une clause dans le contrat de travail car n’étant pas obligatoire la période d’essai ne se présume pas.

L’employeur a tout intérêt à proposer un essai le plus long possible pour limites les risques et les « erreurs de casting » avec un nouveau salarié. De son côté, le salarié préfèrera qu’elle soit la plus courte possible.

La durée de la période d’essai dépend du statut du nouvel embauché (employé/ouvrier ; technicien/agent de maîtrise ; cadre).

En principe, les durées de période d’essai fixées par la loi ont un caractère impératif, elles doivent donc s’appliquer, sauf :
- si la convention collective est conclue avant le 27 juin 2008 et prévoit des durées de période d’essai plus longues que la loi, dans ce cas, c’est la convention collective qui s’applique ;
- si la convention collective est conclue ou modifiée après le 27 juin 2008 et prévoit des durées de période d’essai plus courtes que la loi, c’est alors la convention collective qui s’applique ;
- si le contrat de travail ou la lettre d’engagement fixe une durée de période d’essai plus courte, ce sont alors ces derniers qui s’appliquent (article L1221-22 du Code du travail).

La période d’essai pourra être renouvelée une fois, à trois conditions : cette possibilité devra être expressément prévue dans le contrat de travail et requérir l’accord écrit du salarié ; la convention collective doit le prévoir.

La durée de la période d’essai, renouvellement compris ne pourra dépasser :
- 4 mois pour les ouvriers et employés (2*2 mois) ;
- 6 mois pour les agents de maîtrise et les techniciens (2*3mois) ;
- 8 mois pour les cadres (2*4 mois).

Pendant cette période, les deux parties peuvent rompre librement le contrat à tout moment (sans motif).

S’il s’agit d’une initiative de l’employeur, le salarié est prévenu dans un délai qui ne peut être inférieur à :
- 24 heures en-deçà de 8 jours de présence ;
- 48 heures entre 8 jours et 1 mois de présence ;
- 2 semaines après 1 mois de présence ;
- 1 mois après 3 mois de présence. La durée initiale de la période d’essai, renouvellement inclus, ne peut pas être prolongée du fait de la durée du délai de prévenance [4].

Pour sa part, le salarié qui met fin à la période d’essai respecte un délai de prévenance de 48 heures. Ce délai est ramené à 24 heures si la durée de présence du salarié est inférieure à 8 jours.

Il s’agit d’une période risquée, une « zone de tous les dangers » tant pour le recruteur que pour le nouveau collaborateur.

En effet, côté employeur, les coûts liés à une rupture de la période d’essai sont conséquents.

En effet, ils correspondent :
- aux coûts liés au départ du collaborateur embauché (a minima temps de travail pour les procédures administratives, au pire risque de conflit) ;
- aux coûts liés à l’absence de collaborateur le temps de recommencer le recrutement ;
- à l’altération de l’image de marque employeur au regard des annonces de recrutement répétées sur un même poste ;
- à une dégradation du climat social, compte tenu du report de charges sur les autres collaborateurs de l’entreprise ;
- à la sollicitation renouvelée des recruteurs, notamment opérationnels
 [5].

Côté collaborateur, le risque est important s’il a démissionné pour s’engager dans ce nouvel emploi. S’il souhaite mettre fin à l’essai, cela produit les effets d’une démission et il ne sera pas indemnisé par pôle emploi sauf exceptions [6].

A l’inverse, si l’employeur est à l’initiative de la rupture de la période d’essai, alors le salarié se trouve dans une situation où il est privé involontairement d’emploi. Dans ce cas, le salarié pourra bénéficier du chômage. Mais l’indemnisation par l’assurance chômage dépendra d’un minimum de 65 jours travaillés.

Si les deux parties sont satisfaites, en revanche, à l’issue de la période d’essai, le salarié est définitivement embauché et la situation ne présente plus de risque.

Un contrat de travail conclu avec une période d’essai (et particulièrement si elle est renouvelable) apparait comme un véritable frein à l’embauche. En effet, les candidats peuvent se montrer particulièrement frileux lorsqu’il s’agira de quitter un emploi stable pour un nouvel employeur qui aura émis une proposition de contrat comportant un essai (concernant l’offre ou la promesse de contrat de travail [7]).

Les employeurs qui innoveraient en s’affranchissant de la période d’essai pourraient attirer davantage en supprimant les risques auxquels sont exposés les co-contractants en cas de rupture anticipée de l’essai.

Une voie alternative : la clause de garantie d’emploi.

Une autre possibilité serait de proposer à l’embauche une clause de garantie d’emploi.

La clause de garantie d’emploi est une clause du contrat de travail par laquelle l’employeur s’engage à garantir un emploi au salarié pendant une durée minimale. S’il rompt le contrat de travail à son initiative pendant cette période, l’employeur, sous certaines conditions, sera redevable au salarié d’indemnités de rupture forfaitaires (éditions Tissot).

Plus connue sous le terme de parachute doré ou, en anglais, golden parachute, concernant les dirigeants, il s’agit d’une clause contractuelle qui fixe les indemnités versées lors d’une éviction suite à un licenciement, une restructuration, une fusion avec une autre société ou même lors d’un départ programmé de l’intéressé. Cette clause prévoit des indemnités vont en complément des indemnités légales auxquelles l’intéressé peut par ailleurs prétendre (indemnités supra légales).

Caroline Diard Enseignant-Chercheur en Management des RH et Droit TBS Education

[2Roudaut, Gaëlle, et Fabienne Ravassard. Impliquer vraiment les salariés. 20 pistes d’action pour renouer la relation entreprise-collaborateurs, Vuibert, 2022, pp. 5-10.

[4Code du travail L1221-25.

[5Diard, Baudoin, Berthet, Aide-Mémoire Ressources Humaines, Dunod, 2022.