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Le salarié qui s’est vu notifier une mise à pied peut-il contester cette sanction ? Par Benjamin Pierrot, Avocat.
Parution : mercredi 1er mars 2023
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Il existe deux types de mise à pied :
- La mise à pied disciplinaire : qui vise à sanctionner le salarié d’une sanction qu’il aurait commise,
- La mise à pied conservatoire : qui vise à écarter un salarié de l’entreprise le temps de la procédure de la licenciement.

Que ce soit dans une situation comme dans l’autre, le salarié peut contester cette décision.

I. La contestation de la mise à pied disciplinaire.

La mise à pied sera qualifiée de disciplinaire si elle vise à punir un comportement fautif du salarié.

Il existe plusieurs arguments de procédure et de fond pour contester une mise à pied disciplinaire.

1) Non-respect de la procédure.

La mise à pied disciplinaire doit toujours être précédée d’un entretien préalable. En pratique, l’employeur doit convoquer son salarié en respectant un délai suffisant entre la convocation et l’entretien. Il doit également indiquer dans ce courrier que le salarié puisse se faire assister par un collègue lors de l’entretien.

Au cours de l’entretien, l’employeur va expliquer ce qui justifierait la mise à pied et le salarié pourra donner sa version des faits.

Par ailleurs, si un règlement intérieur existe, la mise à pied disciplinaire n’est possible que si elle est expressément prévue par le règlement intérieur [1]. Si l’entreprise dépasse 50 salariés et qu’il n’y a pas de règlement intérieur alors l’employeur ne peut pas infliger une mise à pied disciplinaire.

Les faits ne doivent pas être datés de plus de deux mois sinon ils sont également prescrits et ne peuvent être sanctionnés.

2) La sanction doit être proportionnelle à la faute.

En principe, l’employeur est libre de choisir la sanction qu’il notifie à son salarié par rapport aux faits.

Evidemment, ce principe ne l’autorise pas à notifier une sanction qui serait fondée sur un motif discriminatoire.

En revanche, il peut tout à fait sanctionner différemment des salariés ayant participé à une même faute [2] voire ne pas sanctionner un salarié [3].

Dans tous les cas, la sanction doit être proportionnée par rapport aux faits reprochés. A ce titre, le juge opère un contrôle de proportionnalité et peut annuler une sanction trop sévère.

Cependant, il ne peut pas annuler une sanction et la remplacer par une autre qu’il jugerait plus pertinente.

3) Sanction masquant une insuffisance professionnelle de résultats.

Il peut arriver que l’employeur décide de notifier une mise à pied disciplinaire à son salarié pour des faits dissimulant en réalité une insuffisance professionnelle.

L’insuffisance professionnelle consiste en l’incapacité du salarié à exécuter son travail de façon satisfaisante.

Il peut s’agir d’échecs, d’erreurs ou autre négligences imputables au salarié, sans pour autant revêtir un caractère fautif. Elle n’est jamais une faute.

Ainsi, l’employeur qui serait tenté de sanctionner son salarié pour une insuffisance de résultats d’une mise à pied disciplinaire verrait automatiquement sa sanction annulée par le juge.

A titre d’exemple, l’employeur ne peut pas notifier une mise à pied disciplinaire à un salarié pour la simple raison qu’il n’a pas atteint ses objectifs en termes de chiffre d’affaires.

II. La contestation de la mise à pied conservatoire.

La contestation de la mise à pied conservatoire est plus délicate car en réalité l’employeur qui notifie une mise à pied conservatoire a très souvent déjà pris la décision de licencier son salarié pour faute grave.

En effet, la mise à pied conservatoire est une mesure permettant de laisser le temps nécessaire à l’employeur pour choisir la sanction qu’il va prononcer à l’encontre du salarié fautif.

L’article L1332-3 du Code du travail dispose qu’une mise à pied conservatoire ne peut être notifiée à un salarié que dans le cas où il a commis une faute suffisamment grave qui rend la mise à pied indispensable.

La principale contestation réside dans le fait que l’employeur ne doit pas attendre trop longtemps entre la notification de la mise à pied et la convocation à l’entretien préalable.

En effet, une mise à pied conservatoire qui n’est pas suivie immédiatement de l’engagement de la procédure de licenciement est requalifiée par les juges en une mise à pied disciplinaire.

L’employeur ne peut pas ensuite sanctionner une nouvelle fois le salarié en prononçant son licenciement [4].

Le licenciement sera automatiquement sans cause réelle et sérieuse (et ce même si la faute reprochée est prouvée).

En effet, le principe non bis in idem interdit à l’employeur de sanctionner son salarié deux fois pour les mêmes faits. Ainsi, si la mise à pied conservatoire a été requalifiée en une mise à pied disciplinaire, l’employeur ne peut pas sanctionner le salarié pour les mêmes faits car cela reviendrait à sanctionner le salarié une deuxième fois alors qu’il l’a déjà été par la mise à pied disciplinaire.

Il a été jugé que relève du régime de la mise à pied disciplinaire (et non conservatoire) le fait pour l’employeur de laisser s’écouler un délai trop important entre la notification de la mise à pied conservatoire et l’engagement de la procédure de licenciement. En tout état de cause, cela été le cas pour les délais suivants :
- 4 jours [5],
- 6 jours [6],
- 13 jours [7].

Un arrêt récent est venu confirmer cette position pour un délai de 7 jours [8].

Dans tous les cas, si la faute grave du licenciement concomitant n’est pas démontrée, le salarié peut obtenir le paiement de sa mise à pied.

Une exception, si l’employeur démontre que le délai séparant la notification de la mise à pied de la date de convocation à l’entretien préalable est justifié pour mener à bien ses investigations sur les faits reprochés [9]. Dans cette décision, la Cour a approuvé une mise à pied conservatoire d’une durée de 13 jours car l’employeur avait justifié avoir besoin de ce délai pour enquêter sur des faits de détournement de fonds.

En conclusion, que le salarié se soit vu notifier une mise à pied disciplinaire ou conservatoire, des règles existent que l’employeur doit respecter. Si les règles ne sont pas respectées, la mise à pied sera annulée et le salarié indemnisé.

Benjamin Pierrot, Avocat Barreau de Strasbourg

[1Cass. Soc., 26 oct. 2010, n°09-42.740.

[2Cass. Soc 15 mai 1991, n°89-4.501.

[3Cass. Soc., 17 déc. 1996, n°95-41.858.

[4Cass. Soc., 30 oct. 2013, n°12-22.962.

[5Cass. Soc., 27 nov. 2019, n°18-15.303.

[6Cass. Soc., 30 oct. 2013, n°12-22.962.

[7Cass. Soc., 30 sept. 2020, n°18-25.565.

[8Cass. Soc., 14 avril 2021, n°20-12.920.

[9Cass. Soc., 13 sept. 2012, n°11-16.434.