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Journalistes pigistes et/ou intermittents : les effets de la requalification des CDD en CDI. Par Frédéric Chhum, Avocat.
Parution : jeudi 2 mars 2023
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Dans trois arrêts de la Cour de cassation du 8 février 2023 publiés au bulletin, la haute Cour précise les effets de la requalification des CDDU en CDI pour les intermittents du spectacle et ou les journalistes pigistes.

1) Montant minimum de l’indemnité de requalification (article L. 1245-2 du Code du travail).

Dans cet arrêt du 8 février 2022 (n° 21-18.824), la Cour de cassation affirme que le montant minimum de l’indemnité de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud’homale.

Cette moyenne de salaire mensuel doit être déterminée au regard de l’ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu’ils ont une périodicité supérieure au mois.

Mme I a été engagée par la société France télévisions en qualité de cheffe monteuse, suivant plusieurs contrats de travail à durée déterminée, à compter du 22 juillet 2005.

Le 22 septembre 2017, la salariée a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée et en paiement de diverses sommes.
Au visa de l’article L1245-2 du Code du travail, la salariée faisait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de limiter à 1 618,16 euros le montant de l’indemnité de requalification, alors « après avoir constaté, d’une part, que la rémunération de la salariée devait correspondre à un travail à temps complet et, d’autre part, qu’il ressortait du dernier bulletin de salaire de la salariée versé aux débats que le taux horaire de cette dernière était fixé, après déduction de la majoration destinée à compenser les sujétions liées à l’exercice de missions par intermittence, à hauteur de 14,61 euros de sorte que sa rémunération mensuelle s’élevait à 2 215,89 euros ».

La Cour de cassation suit le raisonnement de la cheffe monteuse et casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Au visa de l’article L1245-2 du Code du travail, elle affirme qu’il résulte de ce texte que le montant minimum de l’indemnité de requalification d’un contrat de travail à durée déterminée en contrat de travail à durée indéterminée est calculé selon la moyenne de salaire mensuel, dû au titre du contrat dans le dernier état de la relation de travail avant la saisine de la juridiction prud’homale.

Cette moyenne de salaire mensuel doit être déterminée au regard de l’ensemble des éléments de salaire, y compris lorsqu’ils ont une périodicité supérieure au mois.

La Cour de cassation relève que la Cour d’appel avait fixé la rémunération de base de la salariée à 2 215,89 euros par mois en raison de la requalification de la relation de travail en contrat à durée indéterminée à temps complet. Dès lors, l’indemnité de requalification ne pouvait pas être inférieure à ce montant de 2 215,89 euros.

Cette solution doit être approuvée.

En outre, l‘indemnité de requalification ne peut pas être inférieure au dernier salaire mensuel perçu avant la saisine de la juridiction [1].

Par ailleurs, l’indemnité de requalification doit également tenir compte des heures supplémentaires effectuées par le salarié [2].

Source : c. cass. 8 février 2022 (n° 21-18.824).

2) Les sommes (jours travaillés au-delà du forfait jours de 197 jours) qui compensent la précarité de la situation de CDD restent acquises à la journaliste pigiste.

Dans un arrêt du 8 février 2023 (n° 21-10.270), la Cour de cassation affirme que la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée qui confère au salarié le statut de travailleur permanent de l’entreprise a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait été recruté depuis l’origine dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Il s’ensuit que les sommes qui ont pu lui être versées et étaient destinées à compenser la situation dans laquelle il était placé du fait de son contrat à durée déterminée, lui restent acquises nonobstant une requalification ultérieure en contrat à durée indéterminée.

Dès lors, doit être censuré l’arrêt qui, après avoir prononcé la requalification de ses contrats à durée déterminée d’usage en contrat à durée indéterminée, rejette la demande d’une journaliste pigiste en paiement d’un rappel de salaire au titre de la majoration du salaire journalier prévue par l’accord d’entreprise en cas d’un dépassement d’un certain nombre de jours de travail dans l’année, retient que la salariée ayant perçu au titre de ses piges une rémunération supérieure à celle à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait travaillé en qualité de journaliste permanent, même avec un dépassement du forfait annuel, elle était remplie de ses droits.

Mme D a été engagée en qualité de journaliste pigiste, à compter du mois de septembre 1997, par la société France 2 puis par la société France télévisions suivant plusieurs contrats à durée déterminée d’usage.

Le 20 février 2015, elle a saisi la juridiction prud’homale à l’effet d’obtenir la requalification de ses contrats en contrat à durée indéterminée à temps plein avec reprise d’ancienneté depuis septembre 1997.

La salariée fait grief à l’arrêt de la Cour d’appel de Paris de rejeter sa demande en paiement d’une certaine somme à titre de rappel de salaire en raison du dépassement du nombre annuel de jours travaillés, outre les congés payés afférents, alors que

La salariée a travaillé certaines années pour un volume supérieur à 197 jours par an.

Elle a été déboutée de sa demande en rappel de salaire pour dépassement du nombre annuel de jours travaillés et de congés payés y afférents, aux motifs tirés que :
. sa rémunération perçue au titre des contrats de travail à durée déterminée était bien supérieure à celle versée aux journalistes permanents ; et que
. sur la période réclamée de 2014 à 2016, elle avait perçu au titre de ses piges une rémunération supérieure à celle à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait travaillé en qualité de journaliste permanent, même avec un dépassement du forfait de jours, de sorte qu’elle était déjà remplie de ses droits.

La Cour de cassation casse l’arrêt de la Cour d’appel de Paris.

Au visa des articles L. 1245-1, L1221-1 du Code du travail et l’article 3.1.1 du titre 3 du livre 3 de l’accord collectif France télévisions du 28 mai 2013, la Cour de cassation affirme que la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée qui confère au salarié le statut de travailleur permanent de l’entreprise a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait été recruté depuis l’origine dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Il s’ensuit que les sommes qui ont pu lui être versées et étaient destinées à compenser la situation dans laquelle il était placé du fait de son contrat à durée déterminée, lui restent acquises nonobstant une requalification ultérieure en contrat à durée indéterminée.

Le nombre annuel de jours travaillés des journalistes permanents, qu’ils soient en contrat à durée déterminée ou contrat à durée indéterminée, à l’exception des cadres dirigeants, est fixé à 197, les jours de travail effectués au-delà du décompte annuel en jours travaillés étant indemnisés à 125 % du salaire journalier du collaborateur concerné.

Pour rejeter la demande de la salariée en paiement d’un rappel de salaire au titre des dépassements du nombre annuel de jours travaillés, outre congés payés afférents, l’arrêt retient que s’il est établi que la salariée a travaillé certaines années pour un volume supérieur à 197 jours par an, il ressort également des fiches de paie versées aux débats et du tableau relatif au salaire moyen de référence des permanents de l’entreprise au 31 décembre 2014 que la rémunération perçue au titre des contrats de travail à durée déterminée était bien supérieure à celle versée aux journalistes permanents.

Il constate que sur la période réclamée de 2014 à 2016, la salariée a perçu au titre de ses piges une rémunération supérieure à celle à laquelle elle aurait pu prétendre si elle avait travaillé en qualité de journaliste permanent, même avec un dépassement du forfait de 197 jours.

Il en déduit que la salariée est d’ores et déjà remplie de ses droits.

La requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée qui confère à la salariée le statut de travailleur permanent de la société a pour effet de replacer cette dernière dans la situation qui aurait été la sienne si elle avait été recrutée depuis l’origine dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Les sommes qui avaient pu lui être versées, en sa qualité de pigiste, destinées à compenser la situation dans laquelle elle était placée du fait de ses contrats à durée déterminée, lui restent acquises nonobstant une requalification ultérieure en contrat à durée indéterminée.

Cette décision doit être approuvée.

Source : c. cass. 8 février 2022 (n° 21-10.270).

3) Requalification des CDDU en CDI : l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse est calculée sur la base du salaire moyen perçu par le salarié au titre de son statut d’intermittent du spectacle.

Dans un arrêt du 8 février 2023 (n° 21-17.971), la Cour de cassation affirme que la requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée, qui confère au salarié le statut de travailleur permanent de l’entreprise a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait été recruté depuis l’origine dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

Il en résulte que les sommes qui ont pu lui être versées en sa qualité "d’intermittent", destinées à compenser la situation dans laquelle il était placé du fait de son contrat à durée déterminée, lui restent acquises, nonobstant une requalification ultérieure en contrat à durée indéterminée. Fait l’exacte application de la loi la cour d’appel qui, après avoir prononcé la requalification de la relation contractuelle en contrat de travail à durée indéterminée, décide que le salarié pouvait prétendre au paiement des rappels de primes d’ancienneté, de fin d’année et de sujétion, sans qu’il y ait lieu de tenir compte des sommes versées par l’employeur en exécution des divers contrats à durée déterminée au titre du salaire de base.

M. F a été engagé par la société TV5 Monde en qualité de réalisateur, suivant plusieurs contrats de travail à durée déterminée, à compter du 28 mai 2006.

Le 14 mars 2016, le salarié a saisi la juridiction prud’homale d’une demande en requalification des contrats de travail en contrat à durée indéterminée et en paiement de diverse sommes.

Par lettre du 20 février 2020, l’employeur a informé le salarié de la fin de la relation de travail, à la suite d’incidents d’antenne survenus les 25 et 27 janvier 2019.

La société s’est pourvue en cassation.

Elle reprochait notamment à la Cour d’appel d’avoir calculé l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur la base du salaire moyen perçu par le salarié au titre de son statut d’intermittent du spectacle.

La Cour de cassation rejette le pourvoi de la société.

La requalification de la relation contractuelle en contrat à durée indéterminée qui confère au salarié le statut de travailleur permanent de l’entreprise a pour effet de replacer ce dernier dans la situation qui aurait été la sienne s’il avait été recruté depuis l’origine dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée. Il en résulte que les sommes qui ont pu lui être versées en sa qualité « d’intermittent » destinées à compenser la situation dans laquelle il était placé du fait de son contrat à durée déterminée, lui restent acquises nonobstant une requalification ultérieure en contrat à durée indéterminée.

Selon l’article I/8.3 de l’accord d’entreprise TV5 Monde du 28 décembre 2012 la rémunération prise en compte pour le calcul de l’indemnité de licenciement est, selon le calcul le plus avantageux, la moyenne des rémunérations brutes perçues au cours des douze derniers mois ou celle des trois derniers mois.

Selon l’article L1235-3 du Code du travail, dans sa rédaction issue de l’ordonnance n° 2017-1397 du 22 septembre 2017, en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, et si l’une des parties refuse la réintégration du salarié, le juge octroie une indemnité à la charge de l’employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux exprimés en mois de salaire brut dans les tableaux prévus par ce texte.

La cour d’appel de Paris, qui, pour déterminer le montant des indemnités conventionnelle de licenciement et pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, a pris en compte les sommes perçues par le salarié au titre du salaire de base brut « d’intermittent » qui lui étaient définitivement acquises, a fait l’exacte application des deux textes susvisés.

Cette décision doit être approuvée.

Source : c. cass. 8 février 2023, n° 21-17.971.

Frédéric Chhum avocat et ancien membre du Conseil de l\'ordre des avocats de Paris (mandat 2019 -2021) CHHUM AVOCATS (Paris, Nantes, Lille) [->chhum@chhum-avocats.com] www.chhum-avocats.fr http://twitter.com/#!/fchhum

[1C. cass. 26 avril 2017, n°15-26.817

[2C. cass. 10 juin 2003, n°01-40.779.