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"Zarya of the Dawn" et l’originalité des œuvres réalisées avec intelligence artificielle. Par Efrain Fandiño, Doctorant.
Parution : jeudi 2 mars 2023
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Le 23 février 2023, l’Office du droit d’auteur des États-Unis a rendu une décision portant sur la question de savoir si une bande dessinée, dont toutes les images ont été créées avec le système d’intelligence artificielle Midjourney, était protégeable par le droit d’auteur en tant qu’œuvre originale ou non.
Bien que ce jugement soit spécifique au droit aux États-Unis, nous l’analyserons attentivement en raison de son importance pour les systèmes juridiques d’autres pays comme la France, compte tenu de l’utilisation croissante des systèmes d’IA en tant qu’outils de création.

À l’instar des premières années de la photographie au XIX siècle, la création avec des systèmes d’intelligence artificielle devient de plus en plus une source de contentieux judiciaire et administratif.
En effet, après l’arrêt Tencent contre Yingxun (2019) dans lequel le Tribunal populaire du district de Shenzhen (Chine) a déterminé les conditions dans lesquelles le développeur d’un système d’IA peut être considéré comme auteur de l’IA et de l’œuvre produite par ce système, ou l’arrêt Feilin contre Baidu (2019), dans lequel la cour d’internet de Beijing a refusé la protection d’un texte généré par un système d’IA, le 23 février 2023, l’Office du droit d’auteur des États-Unis a rendu une décision très attendue par les personnes intéressées sur les questions de droit d’auteur liées aux systèmes d’intelligence artificielle.

En l’espèce, l’artiste Kristina Kashtanova a créé une bande dessinée, ayant la particularité que toutes ses images ont été produites de manière automatisée par le système d’intelligence artificielle Midjourney. L’artiste a enregistré cette œuvre auprès de l’Office du droit d’auteur des États-Unis le 15 septembre 2022. Toutefois, le 28 octobre 2022, cette autorité a pris connaissance, par le biais des publications sur les réseaux sociaux, que les images qui composaient la bande dessinée avaient été produites avec IA. Dès lors, elle a décidé de réviser le registre de l’œuvre, en considérant que celui-ci était susceptible d’être annulé, car l’œuvre en question ne remplissait pas les conditions requises pour accéder à la protection du droit d’auteur, à savoir qu’elle doit être le fruit d’un travail intellectuel et créatif humain.

Cette solution soulève la question de savoir si une création d’origine humaine ne représente rien d’autre qu’une discussion sur l’originalité de l’œuvre. En effet, traditionnellement, l’originalité était associée à l’empreinte de la personnalité de la personne physique. À titre d’exemple, nous pouvons citer la définition proposée par le professeur Pollaud-Dulian, selon laquelle le caractère original d’une création de l’esprit réside dans « la reconnaissance de l’expression personnelle et donc du lien qui unit l’œuvre à son auteur » [1]. De même, la Cour de justice de l’Union européenne a affirmé dans une décision du 1er décembre 2011 que « une création intellectuelle est propre à son auteur lorsqu’elle reflète la personnalité de celui-ci […] se manifestant par les choix libres et créatifs » [2]. Ces réflexions sont à notre sens transposables en droit états-unien dans la mesure où, la jurisprudence Feist [3] précise que pour qu’une œuvre puisse être considérée comme originale, elle doit faire preuve d’un minimum de créativité de la part de l’auteur, laquelle peut être discernable à travers les choix créatifs dans la sélection et l’agencement des éléments constitutifs de l’œuvre.

Gardant ces éléments de réflexion à l’esprit, l’Office de copyright a demandé à l’artiste qu’elle fournisse des éléments de preuve supplémentaires pour démontrer que la bande dessinée avait été créée par un auteur humain et non par une machine. Ainsi, la question soulevée dans décision était d’évaluer si la bande dessinée de l’artiste fut-elle le fruit de ses intentions et de ses actions ou si elle résultait des procédés automatisés du système d’intelligence artificielle ?

À partir des éléments fournis par l’artiste, l’autorité du droit d’auteur des États-Unis a rendu une décision bipartite dans laquelle elle a reconnu Madame Kashtanova en tant qu’auteure de la bande dessinée et plus particulièrement du texte de l’œuvre ainsi que de la sélection, de la coordination et de l’arrangement des éléments écrits et visuels de l’œuvre. Cependant, l’autorité compétente en matière de droit d’auteur a également effectué une analyse distincte pour déterminer l’autorat des images générées avec Midjourney, concluant que celles-ci ne pouvaient être considérées comme le fruit d’un travail humain et que, par conséquent, n’étaient pas susceptibles d’être protégées par le droit d’auteur.

Afin d’expliquer la portée de cette décision, nous allons diviser ce texte en deux parties : dans un premier temps, nous nous pencherons sur les raisons qui ont conduit l’autorité états-unienne à rejeter la protection des images générées par le système d’intelligence artificielle (I). Dans un second temps, nous analyserons les critères qui ont permis à l’œuvre de bénéficier de la protection du droit d’auteur, malgré sa composition d’éléments non originaux (II). Il convient de souligner que bien que la décision fut adoptée à la lumière du droit états-unien, nous allons faire référence aux dispositions du droit d’auteur en France, au vu de l’intérêt que pose le statut juridique des œuvres automatisées réalisées avec des systèmes d’intelligence artificielle pour ce système juridique.

I. La non-protection des images générées avec un système d’intelligence artificielle.

D’après les constatations de l’Office états-unien du droit d’auteur, les images produites par Madame Kashtanova à l’aide de Midjourney ne satisfont pas à la condition d’originalité requise pour accéder à la protection du droit d’auteur. Pour parvenir à une telle décision, l’Office a effectué un examen que nous partageons, étant donné que l’autorité a analysé en profondeur le processus de création automatisé pour parvenir à cette conclusion.

L’autorité compétente en matière de droit d’auteur a procédé à l’examen de la plateforme Discord sur laquelle fonctionne une intelligence artificielle. L’examinateur a observé que cette plateforme offre aux utilisateurs la possibilité de fournir des ekphrasis (appelés "prompts" en anglais) qui sont « lus » par l’IA dans le but de générer de nouvelles images. En deuxième lieu, il a été vérifié que les utilisateurs peuvent utiliser d’autres commandes textuelles, soit pour influencer l’image qui sera produite, soit pour ajuster le rapport hauteur/largeur de celle-ci. Une fois que l’utilisateur a reçu une image générée par Midjourney en réponse à une description donnée, il peut se prévaloir d’autres commandes pour créer de nouvelles images liées à la description d’origine, demander la recréation d’une image avec une meilleure résolution ou produire de nouvelles images basées sur la première avec des variations.
L’examinateur précise que Midjourney ne comprend pas les ekphrasis comme des instructions exactes pour générer une image spécifique, car il ne peut pas interpréter la grammaire ou la structure d’une phrase comme le ferait une personne physique. En fait, la machine transforme les phrases en « tokens », qui sont ensuite "comparés" avec les données d’entraînement pour déterminer quels éléments visuels seront reproduits dans l’image générée. Il est important de garder à l’esprit cette particularité, car elle est prise en compte dans l’analyse juridique du processus de création automatisée effectuée sur ce système d’IA.

À partir de ces constats, l’Office du droit d’auteur a conclu que le processus de création automatisée avec Midjourney ne peut pas être original, étant donné que les images sont générées par des procédés guidés par des données d’entraînement, et que le processus de création n’est pas contrôlé par l’utilisateur, car l’image générée par Midjourney ne peut pas être prédite par ce dernier.

Bien entendu, l’autorité reconnaît que les ekphrasis apportés par l’utilisateur ont une influence sur l’image générée par l’IA. Également, l’examinateur reconnaît les efforts de madame Kashtanova en fournissant « des centaines, voire des milliers » de descriptions pour obtenir l’image souhaitée. Cependant l’autorité rappelle que l’auteur ne fait d’effort. Pour être original, il doit également être prouvé que l’image résulte des choix créatifs de l’auteur. Cela étant, dans le cas d’espèce, l’Office considère que la distance entre les directives fournies par l’artiste à la machine et l’image produite par le système d’IA est significative. En conséquence, il est impossible de conclure que l’utilisatrice est la créatrice de l’œuvre.

Nous partageons cette décision de l’autorité états-unienne du droit d’auteur. En effet, les ekphrasis (ou prompts) fournis par l’utilisateur ne sont rien d’autre que des idées, qui ne sont pas protégées par le droit d’auteur conformément à l’article 9 des ADPIC ou à l’article L.112-1 du code de la propriété intellectuelle [4]. Il est important de souligner que Midjourney ne permet pas l’ajout ou la modification directe d’éléments, ce qui implique que l’utilisateur n’a pas la possibilité d’exprimer librement ses choix créatifs. De ce fait, il n’existe pas véritablement un lien entre l’utilisateur et l’œuvre créée, car les éléments stylistiques tels que les couleurs ou la forme des personnages, ainsi que la composition de l’image ne sont pas le résultat des choix de l’utilisateur. Par ailleurs, les actes du développeur lors de la phase de formation du système d’IA ne sont pas pertinents pour l’analyse du processus de création des images de la bande dessinée réalisées avec le système d’IA, étant donné que les images sont le résultat direct de l’utilisation du système par les utilisateurs, qui soumettent des ekphrasis et reçoivent en retour des images générées automatiquement en fonction des données d’entraînement.

Il convient toutefois de noter qu’en droit d’auteur français, l’exécution personnelle du créateur n’est pas une condition requise pour obtenir la qualification d’auteur.
À ce sujet, dans l’affaire Guino [5], la Cour de cassation a reconnu la qualité de coauteur à Richard Guino et au sculpteur Auguste Renoir, en jugeant que bien que Guino ait façonné l’argile et réalisé les actes qui ont mené à la création de la sculpture, les indications données par Renoir étaient représentées sur l’œuvre finale, reflétant ainsi la personnalité de chacun des coauteurs. Nous pouvons également citer une autre décision, dans laquelle, le TGI de Paris [6] a déterminé que la liberté créative de l’auteur est un facteur déterminant pour caractériser l’originalité d’une œuvre. Dans cette affaire opposant le peintre Vasarely et son collaborateur Valluet sur l’autorat de deux tableaux, la juridiction a accordé la qualité de coauteurs aux deux artistes pour la première création, appelée Stri Pauk, car Vasarely avait apporté l’empreinte de sa personnalité à travers les corrections et critiques qu’il avait apportées. Autrement dit, l’activité intellectuelle impliquée dans la création d’une œuvre peut constituer un élément déterminant pour caractériser son originalité. Toutefois, dans la présente affaire, cela n’a pas été le cas. En vérité, l’autorité en matière de droit d’auteur soutient que la fonction du prompt est semblable à celle d’un client qui engage un artiste pour créer une œuvre à partir de directives générales : il s’agit davantage de suggestions que d’instructions contraignantes. Ainsi, à la lumière du droit français, il apparaît que les images de bande dessinée produites à l’aide de l’outil automatisé Midjourney ne peuvent prétendre à une protection, en raison de l’absence de toute contribution personnelle de la part de Mme Kashtanova.

Une dernière question a été envisagée par l’Office du droit d’auteur : la question du retravail. En effet, la génération d’une image à l’aide d’un processus de création automatisée n’est pas toujours la fin du processus de création. Il est fréquent que les créateurs apportent des modifications à l’image dans le but de se rapprocher de leur vision. C’est pourquoi l’Office du droit d’auteur a vérifié si la retouche de plusieurs images était suffisamment significative pour être considérée comme le fruit du travail de l’artiste, conformément aux critères établis pour évaluer l’originalité d’une œuvre. Sa réponse dans le cas d’espèce a été négative, car les modifications apportées à l’image avec Photoshop étaient insignifiantes, voire imperceptibles, ne répondant donc pas à l’exigence de créativité [7] nécessaire pour bénéficier de la protection du droit d’auteur. Il convient de souligner que, malgré cette réponse négative, les modifications apportées peuvent contribuer à la caractérisation de l’originalité d’une œuvre. Pour ce faire, il est nécessaire que ces modifications soient significatives et démontrent l’expression de la personnalité de l’auteur à travers ses choix créatifs et libres. Néanmoins, en ce qui concerne la bande dessinée en question, les éléments de preuve démontrent que les modifications apportées par l’artiste se sont limitées à l’ajustement du contraste des lèvres du protagoniste sur l’une des images, ainsi qu’à la coloration des cheveux d’un personnage de ladite bande dessinée.

Ainsi, voyons-nous que, dans le cas d’espèce, les images générées par le système d’IA ne pouvaient pas être protégées par le droit d’auteur, car elles ne démontraient pas un lien suffisant entre l’auteur et l’œuvre pour en caractériser l’originalité. Il convient de souligner que la décision de l’Office du copyright ne s’étend pas à tous les systèmes d’intelligence artificielle, car, tel qu’il est indiqué par l’autorité, il peut exister des systèmes qui permettent à l’auteur d’exprimer sa vision créative sur l’œuvre.

Ayant vu les raisons du rejet de l’originalité des images générées par l’IA, examinons maintenant les motifs qui ont conduit l’Office du droit d’auteur des États-Unis à reconnaître la bande dessinée objet de la controverse comme une œuvre protégeable par le droit d’auteur.

II. L’originalité d’une œuvre composée d’éléments non originaux.

En dépit de la non-protection des images réalisées de manière automatisée par le système Midjourney, la bande dessinée Zarya of the Dawn s’est vu accorder la protection du droit d’auteur grâce aux éléments originaux qui composaient cette œuvre. En effet, l’Office du droit d’auteur états-unien a établi que Madame Kashtanova avait écrit le texte de la bande dessinée elle-même, sans utiliser d’outils ou de logiciels basés sur l’intelligence artificielle. En conséquence, le texte peut être protégé en tant qu’œuvre littéraire originale. En outre, l’Office a conclu que Madame Kashtanova avait sélectionné et organisé les images et le texte de manière autonome, en suivant l’ordre de narration qu’elle avait choisi. Cette décision permettait donc de protéger l’œuvre en tant que compilation originale.

Ainsi, nous pouvons constater que l’œuvre de Kashtanova est composée d’éléments originaux et non-originaux. Les créations de l’esprit composées par des éléments non originaux ne sont pas une nouveauté en droit français. À l’évidence, un jugement rendu par la Cour d’appel de Paris en date du 4 juillet 2008 [8] a statué qu’un modèle de bijou, dont les éléments composants ont été puisés dans les fonds communs, pouvait être considéré comme original, à condition que la combinaison de ces éléments, bien que connus, présente un caractère d’originalité. Allant dans le même sillage les décisions telles que Football Dataco S.A [9] ou encore de l’arrêt Vente privée [10], ont admis qu’une création peut être considérée comme originale même en présence d’éléments non originaux, si elle résulte des choix créatifs libres de l’auteur.

Ainsi, nous partageons l’idée selon laquelle la protection conférée à la bande dessinée de Kashtanova est analogue à celle des bases de données en matière de droit d’auteur, ce qui signifie que la protection s’applique à la structure globale de l’œuvre, mais pas aux données individuelles qui la composent. En d’autres termes, bien que la structure et la narration de la bande dessinée soient protégées, les images qui la constituent ne le sont pas, prises séparément. Par conséquent, la reproduction d’un certain nombre de pages de la bande dessinée peut constituer une violation du droit d’auteur sur l’ensemble de l’œuvre, en tant que compilation, tandis que la modification d’une image créée avec Midjourney sans l’autorisation de l’auteur ne peut pas être considérée comme une violation du droit d’auteur, car cette image est dépourvue d’originalité.

Certes, cette situation conduit à une protection moindre pour les bandes dessinées créées à l’aide de systèmes d’IA par rapport à celles créées par des artistes avec des outils moins automatisés tels que Sketchbook ou Photoshop. Malgré cela, nous estimons que cette décision est équilibrée, car elle évite de protéger des créations banales, tout en préservant la protection des œuvres originales qui caractérisent des choix libres et créatifs de la part de l’auteur.

Efrain Fandiño Doctorant à l'Université Paris-Cité

[1F. Pollaud-Dulian, « Le droit d’auteur », Economica, 2014, n° 172.

[2CJUE, 01 déc. 2011, C-145/10, obs. F. Pollaud-Dullian, « Portraits photographiques. Genre. Originalité », RTD Com. n° 01, 2012, p. 109.

[3United States Supreme Court, Feist Publications, Inc., v. Rural Telephone Service Co., 1991, obs. J. Ginsburg, « No "Sweat" ? Copyright and Other Protection of Works of Information after Feist v. Rural Telephone », Columbia Law Review Vol. 92, 1992. Disponible sur : https://scholarship.law.columbia.edu/faculty_scholarship/60/. Consulté le 28/02/2023.

[4Il convient de noter que la Cour de cassation a déjà jugé que « la propriété littéraire et artistique ne protège pas les idées ou concepts, mais seulement la forme originale sous laquelle ils sont exprimés » in Cass. 1re civ., 17 juin 2003, No. 01-17.650 ; obs. A. Kéréver, « Œuvres protégées- Condition d’originalité », Revue International du Droit d’Auteur (RIDA) No. 199, p.p. 159-169.

[5Cass. 1re civ., 13 nov. 1973, N° 71-14.469.

[6TGI Paris, 21 janv. 1983, obs. F. Duret-Robert, op. cit., n° 611.26

[7Exigence sous le prisme du droit états-unien

[8CA Paris, 4 juil. 2008, n° 07/11532 ; Obs. F. Pollaud-Dulian, » Originalité. Combinaison d’éléments non protégeables. Arts appliqués. Œuvre publicitaire. Contrat de commande pour la publicité. Slogan. Droit moral. Idée publicitaire », RTD Com. P. 739, 2008.

[9CJUE, 1er mars 2012, Football Dataco Ltd et autres c/Yahoo ! UK Ltd et autres, aff. C-604/10, obs. J. Larrieu, « L’originalité d’un calendrier de matchs de football », Propriété industrielle n° 10, Octobre 2012, commentaire 75.

[10Civ. 1re, 12 mai 2011, Vente privée. com c/Club privé, n° 10-17.852, obs. F. Pollaud- Dulian, « Originalité. Appréciation. Pouvoir souverain des juges du fond. Combinaison », RTD Com n°03, 2011.

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