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La reconnaissance de la faute inexcusable de l’employeur. Par Cécile Villié, Avocat.
Parution : vendredi 3 mars 2023
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Chaque fois que l’employeur a conscience du danger et qu’il n’a pas pris les mesures nécessaires pour en préserver son salarié d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, sa faute inexcusable peut être reconnue.

En cas d’accident du travail ou de maladie professionnelle, le salarié victime a droit à la prise en charge totale des soins et au versement d’indemnités journalières en cas d’incapacité temporaire ou d’une rente, en cas d’incapacité permanente [1].

Ainsi, en principe, la réparation des accidents de travail et maladies professionnelles est forfaitaire et exclut que le salarié agisse en responsabilité civile contre son employeur.

Toutefois en cas de faute inexcusable de l’employeur, la victime peut obtenir :
- Une majoration de la rente ou du capital versé(e) par la CPAM ;
- La réparation de différents préjudices qu’elle a subi selon les règles de responsabilité civile de droit commun [2].

Il convient de préciser que le salarié victime d’un accident de trajet ne peut pas invoquer une faute inexcusable de l’employeur [3].

Définition de la faute inexcusable.

La notion de faute inexcusable de l’employeur a été définie par la jurisprudence. Ainsi, constitue une faute inexcusable, tout manquement de l’employeur à l’obligation légale de sécurité dont il est tenu envers son salarié dès lors que :
- Il avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié ;
- Et n’a pas pris les mesures nécessaires pour l’en préserver [4].

Un lien de causalité est nécessaire entre le manquement de l’employeur et l’accident pour que sa responsabilité soit engagée. La faute inexcusable doit être une cause nécessaire de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle, sans pour autant en être la cause directe et déterminante. Ainsi, il suffit qu’elle ait contribué à l’accident ou la maladie, quand bien même d’autres fautes auraient concouru au dommage.

Charge de la preuve : en principe, il appartient au salarié ou, le cas échéant à ses ayants droit, d’apporter la preuve de l’existence d’une faute inexcusable de l’employeur.

Par exception, celle-ci est présumée :

- Pour les salariés sous contrat à durée déterminée, les salariés mis à disposition d’une entreprise utilisatrice par une entreprise de travail temporaire et les stagiaires en entreprise victimes d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle, alors qu’affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité, ils n’ont pas bénéficié de la formation à la sécurité renforcée prévue par l’article L4154-2 du Code du travail [5].

- Lorsque le salarié victime d’un accident du travail ou d’une maladie professionnelle a lui-même ou par l’intermédiaire d’un membre du CSE signalé à l’employeur un risque qui s’est matérialisé [6].

Procédure.

Le salarié victime dispose d’un délai de deux ans pour agir en reconnaissance d’une faute inexcusable de l’employeur. Le tribunal compétent en la matière est le tribunal judiciaire.

Le point de départ du délai de prescription court à compter, soit :
- Du jour de l’accident ;
- De la cessation du travail ;
- Du jour de la cessation du paiement des indemnités journalières. [7] ;
- Du jour de la reconnaissance de l’origine professionnelle de l’accident [8].

Les rapports entre la caisse primaire d’assurance maladie et l’assuré sont indépendants des rapports entre la Caisse et l’employeur et des rapports entre le salarié et l’employeur.

Dès lors, le fait que le caractère professionnel de la maladie ne soit pas établi entre la Caisse et l’employeur ne prive pas la victime du droit de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, la juridiction étant en mesure, après débat contradictoire, de rechercher si la maladie a un caractère professionnel, et si l’assuré a été exposé au risque dans des conditions constitutives d’une telle faute [9].

Réparation.

Selon l’article L452-3 du Code de sécurité sociale, outre la majoration de rente, le salarié victime peut demander réparation :
- Du préjudice causé par les souffrances physiques et morales qu’il a endurées ;
- Du préjudice esthétique ;
- Du préjudice d’agrément, défini comme l’impossibilité pour la victime de pratiquer régulièrement une activité spécifique sportive ou de loisirs depuis son accident [10] ;
- Du préjudice résultant de la perte ou de la diminution de ses possibilités de promotion professionnelle (la réparation de ce préjudice ne peut intervenir qu’à la condition que l’intéressé produise des éléments établissant que ses chances avaient un caractère sérieux et certain et n’étaient pas seulement hypothétique).

La victime peut également demander réparation des dommages non couverts par le régime légal d’indemnisation des accidents du travail et des maladies professionnelles [11] tels que :
- Le préjudice sexuel ;
- Le préjudice lié à un refus d’assurance pour un prêt immobilier ;
- Les frais d’assistance d’une tierce personne avant la consolidation [12] ;
- Le préjudice d’établissement, consistant en la perte d’espoir et de chance de réaliser un projet familial ;
- Le préjudice permanent exceptionnel, correspondant à un préjudice extrapatrimonial atypique, directement lié au handicap permanent qui prend une résonance particulière pour certaines victimes ;
- Le déficit fonctionnel temporaire, inclus pour la période antérieure à la date de consolidation, l’incapacité fonctionnelle totale ou partielle ainsi que le temps d’hospitalisation et les pertes de qualité de vie et des joies usuelles de la vie courante durant la maladie traumatique [13] ;
- Le préjudice universitaire constitué par les modifications successives d’orientation nécessitées par le handicap du salarié [14] ;
- Les frais d’aménagement du logement, dès lors qu’ils correspondent aux besoins réels du salarié, tels que justifiés par son état de santé [15] et d’acquisition d’un véhicule adapté au handicap [16] ;
- Les frais d’assistance d’un médecin conseil à l’expertise médicale [17] ;
- Les frais de déplacement engagés par le salarié pour se rendre à l’expertise ordonnée par le juge de la Sécurité sociale [18].

Pour l’employeur, la réparation intégrale quasiment intégrale des préjudices du salarié s’ajoute au coût de l’accident du travail ou de la maladie professionnelle.

Précisons que la rente allouée au salarié victime peut être réduite si celui-ci a lui-même commis une faute inexcusable entendue comme une faute volontaire du salarié, d’une exceptionnelle gravité, exposant sans raison valable son auteur à un danger dont il aurait dû avoir conscience [19].

Cependant la faute de la victime n’a pas pour effet d’exonérer l’employeur de la responsabilité qu’il encourt en raison de sa faute inexcusable [20].

Cécile Villié, Avocat - droit du travail Barreau de Paris www.villie-avocat.com [->contact@villie-avocat.com]

[1Art. L431-1 CSS.

[2L452-1 et s. CSS.

[3Cass. 2e civ., 8 juill. 2010, n° 09-16.180 ; Cass. 2e civ., 10 déc. 2008, n° 07-19.626

[4Cass. Soc., 28 fév. 2002, n° 00-13.172 ; Cass. Soc., 8 oct. 2020, n° 18-25.021.

[5Art. L4154-3 C. trav.

[6Art. L4131-4 C. trav.

[7CSS, art. L431-2.

[8Cass. 2e civ., 29 juin 2005, n° 03-10.789 ; Cass. 2e civ., 3 avr. 2003, n° 01-20.872 ; Cass 2e civ., 20 sept. 2005, n° 04-30.055.

[9Cass. Soc., 28 fev. 2002, n° 99-17.201.

[10Cass. 2e civ., 4 avr. 2012, n°11-15.393.

[11Cons. Const., 18 juin 2010, n° 2010-8 QPC.

[12Cass. civ.2., 11 oct 2018, n°17-23.312.

[13Cass. civ.2., 4 avr. 2012, n°11-14.311.

[14Cass. civ.2., 18 mai 2017, n°16-11.190

[15Cass. civ.2., 1er fev. 2015, n°13-17.677.

[16Cass. civ. 2., 30 juin 2011, n°10-19.475.

[17Cass. civ. 2., 18 dec. 2014, n°13-25.839.

[18Cass. 2e civ., 4 avr 2019, n°18-13.704.

[19Cass. 2e civ., 27 janv. 2004, n° 02-30.693.

[20Cass. ass. plén., 24 juin 2005, n°03-30.038.