Village de la Justice www.village-justice.com

[Nouvelle parution] Le devoir de résister : apologie de la désobéissance incivile.
Parution : lundi 13 mars 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/nouvelle-parution-devoir-resister-apologie-desobeissance-incivile,45404.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Pour résister aux injustices, a-t-on le droit d’occuper une usine ou de saccager un restaurant ? Pour défendre nos écosystèmes, a-t-on le droit de détruire des cultures OGM ? Pour lutter contre la ségrégation raciale et protéger les opprimés, a-t-on le droit de créer des milices armées ? Est-il légitime d’enfreindre la loi pour défendre une cause juste ?
Ce best-seller américain vient d’être traduit et adapté pour le lectorat français, pour répondre à ces questions à travers une thèse provocante et engagée...

En revisitant le concept d’obligation politique, Candice Delmas [1] veut montrer dans ce livre (paru en octobre 2022) que le devoir de résister a les mêmes fondements que le devoir d’obéir à la loi.

Des formes de désobéissance incivile, de l’aide clandestine aux migrants aux fuites de documents non autorisées, en passant par l’écosabotage ou les cyberattaques, peuvent parfois être justifiées voire moralement requises, même dans des sociétés démocratiques. C’est par ces moyens illicites et incivils que les Freedom Riders par exemple ont dénoncé la ségrégation aux États-Unis, que #BlackLivesMatter a révélé les violences policières ou #MeToo l’ampleur des phénomènes de harcèlement et de féminicides. L’incivilité interpelle, accuse, rend l’indifférence impossible et force à prendre parti...

Intrigués notamment par le nom de la collection aux Editions Hermann - Collection, "L’avocat du diable", la rédaction du Village de la Justice a interviewé l’auteur pour en savoir un peu plus...

Village de la Justice : A qui s’adresse cet ouvrage très complet ?

Candice Delmas : « J’ai écrit "Le devoir de résister" pour plusieurs publics : les philosophes, politiques, juristes, avocats, activistes, ainsi que les lecteurs et lectrices qui s’intéressent à l’histoire des mouvements d’émancipation et à l’éthique de la résistance.
J’y traite des pratiques et des pensées de la nonviolence et de la désobéissance civile, en particulier dans le mouvement des droits civiques aux États-Unis.
Je montre que l’histoire de ce dernier a été faussée et déformée dans le but de produire un modèle domestiqué et finalement inoffensif de la contestation, lequel sert ensuite à juger les mouvements sociaux contemporains. En somme, il y a un clivage entre la pratique (réelle) et la théorie (idéale) de la désobéissance civile, que j’articule et tente de combler.

"L’objet principal de l’ouvrage est de soutenir l’existence du devoir de résistance."

L’objet principal de l’ouvrage est de soutenir l’existence du devoir de résistance, car celui-ci, quoique central à la pensée et à la pratique militante, n’a pas fait l’objet de discussion philosophique systématique. Je montre que ce devoir fait partie de nos obligations politiques, au même titre que le devoir moral d’obéissance à la loi, et sur la base des principes mêmes qui, selon les philosophes, soutiennent ce dernier.
Dans nos sociétés entachées d’injustice, le devoir de résister constitue une obligation primordiale des citoyens et citoyennes ».

Peut-on être à la fois "dans la Loi" et la contester (pensons par exemple aux sujets environnementaux, qui nécessitent des lois, qui entraînent des procès pour inaction des Etats etc. ) ?

« Oui, tout à fait. Il y a de nombreuses déclinaisons possibles de la contestation. Certaines formes de contestation, telle la dissidence de genre pensée et expérimentée par Paul B. Preciado, visent à changer les croyances, les valeurs et les mœurs plutôt que les lois.
On peut contester les lois ou les normes sans recourir à la désobéissance, par exemple en essayant de convaincre et persuader les autres, en signant des pétitions, ou en votant. On peut aussi contester les lois à partir des ressources mêmes du droit. Les militants américains des droits civiques faisaient appel aux principes de droit constitutionnel fédéral pour opposer la ségrégation raciale dans les états du sud.
De nombreuses organisations écologistes aujourd’hui invoquent les droits humains protégés par le Conseil de l’Europe, dont le droit à la vie, pour défendre l’environnement.

Mais cette stratégie légale nécessite un système de droit efficace et légitime. Si ce dernier vient à manquer, c’est pour un tel système de droit – et la société démocratique qui pourra le mettre en vigueur – que l’on milite ».

C’est quoi, une "loi injuste" ? Où place-t-on le curseur pour savoir si il est légitime de ne pas obéir à une loi ?

« C’est là la question centrale de la désobéissance à la loi, qu’elle soit civile ou incivile ! La préoccupation derrière cette question est la suivante : si chacun se fait juge de la valeur morale des lois et se tient prêt à désobéir toutes les lois qu’il perçoit comme injustes, alors on risque – on est sûr même ! – de glisser de l’état civil à l’état de nature ou à l’anarchie.
Il est donc censé être évident que l’obéissance de chacun à la loi est une nécessité.

Mais ce qui me semble important, c’est d’abord d’interroger les présupposés de cette préoccupation. « En réfléchissant sur la triste histoire de l’humanité », écrivait l’anglais Charles P. Snow, « on arrive à la conclusion que le nombre de crimes atroces commis au nom de l’obéissance dépasse de beaucoup celui des crimes commis au nom de la révolte ».
Il est donc essentiel de penser de manière critique la valeur des lois auxquelles on nous demande de nous soumettre. Comment procéder à cette évaluation critique et déterminer quand il peut être légitime d’obéir ou de désobéir à la loi ?

"Le devoir de résister dégage des critères d’évaluation à partir des valeurs fondamentales de la justice, la dignité, la démocratie et la liberté."

Le devoir de résister dégage des critères d’évaluation à partir des valeurs fondamentales de la justice, la dignité, la démocratie et la liberté ».

Plaideriez-vous pour "moins de loi" ?

« Certains philosophes comme Thomas Hobbes pensent que les lois sont des obstacles à la liberté, car elles interdisent. Mais bien des lois servent au contraire à protéger l’exercice de nos libertés et la jouissance de nos droits. En ce sens, de bonnes lois reconnaissent et fournissent les conditions de possibilité d’une agentivité libre.
Je plaiderais donc plutôt pour de meilleures lois et, pour les obtenir, plus de désobéissance animée par des principes » !

Informations techniques :
- Titre : Le devoir de résister : Apologie de la désobéissance incivile" ;
- Auteur : Candice Delmas ;
- Traducteur : Raphaëlle Théry ;
- Editeur : Editions Hermann - Collection "L’avocat du diable" ;
- ISBN : 9791037019851 ;
- Parution : 26/10/2022 ;
- Nombre de pages : 368 ;
- Prix : 23,00 €.

Rédaction du Village de la Justice

[1Candice Delmas est "Associate Professor of Philosophy and Political Science, Northeastern University - Résidente, Collegium de Lyon, 2022-2023".