Village de la Justice www.village-justice.com

Clauses de sous-location et de calcul de l’indemnité d’éviction : la Cour de cassation s’en remet au contrat.
Parution : lundi 6 mars 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/clauses-sous-location-calcul-indemnite-eviction-cour-cassation-remet-contrat,45417.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

La notification tardive au bailleur d’un acte de sous-location n’est pas sanctionnable si le bail n’a pas prévu de délai. Le bail peut prévoir des modalités particulières de calcul de l’indemnité d’éviction dès lors qu’elles ne limitent pas le droit au renouvellement.

Cet article est issu de la documentation Droit des affaires des Editions Législatives.

Pour tester gratuitement la documentation Droit des affaires pendant 2 semaines, cliquez ici.

Alain Confino
Avocat à la Cour, Spécialiste en droit immobilier (Cabinet Confino)

Bien que la Cour de cassation n’ait pas entendu le doter d’une publicité particulière, l’arrêt qu’elle a rendu le 18 janvier 2023 sur le pourvoi n° 21-22.209 mérite doublement attention.

Un bailleur de locaux commerciaux a notifié à sa locataire un congé triennal pour procéder à la reconstruction de l’immeuble et lui a offert une indemnité d’éviction.

La société locataire, était autorisée par une clause du bail à sous-louer en totalité ou en partie les locaux à une ou plusieurs entités de son groupe, sans être tenue d’appeler le bailleur à concourir à l’acte mais à charge de lui notifier une copie du ou des actes de sous-location.

Le bail étendait aussi au profit de la locataire le bénéfice du droit au renouvellement même si elle ne remplissait pas l’ensemble des conditions du statut – ce qui était pour elle une sage précaution dans la perspective d’une sous-location totale. Les parties étaient en outre convenues que l’indemnité d’éviction éventuellement due à la société preneuse en cas de non-renouvellement du bail par le bailleur serait calculée en fonction des caractéristiques d’exploitation du ou des sous-locataire(s) et devrait être d’un montant suffisant pour permettre à la locataire principale d’indemniser le ou les sous-locataire(s) du préjudice subi par ce(s) dernier(s).

En vertu de cette clause, la locataire avait effectivement consenti à une filiale une sous-location totale des locaux, mais ce n’est qu’après avoir reçu congé qu’elle avait notifié au bailleur une copie du sous-bail.

La locataire et sa sous-locataire ont libéré les locaux après la date d’effet du congé.

Le bailleur a alors contesté à la locataire tout droit à indemnité d’éviction en lui reprochant précisément de ne lui avoir communiqué l’acte de sous-location que postérieurement au congé. Il a en outre soutenu que le départ volontaire du locataire postérieurement à la délivrance du congé privait celui-ci de toute indemnité d’éviction.

Il soutenait encore à titre subsidiaire que la situation du sous-locataire ne saurait être prise en considération pour déterminer le montant de l’indemnité d’éviction due au locataire principal, laquelle qui ne doit réparer que le préjudice qu’il a subi personnellement.

Par arrêt infirmatif du 7 juillet 2021, la cour d’appel de Paris a rejeté l’ensemble de ces moyens.
Sur la sous-location, les juges d’appel ont relevé que la clause du bail n’avait prévu ni délai de notification ni sanction de l’absence de notification, cette formalité étant ainsi purement informative.
Sur l’indemnité d’éviction, ils ont considéré, d’abord, que « les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction, lorsqu’elles n’ont pas pour objet de limiter directement ou indirectement le droit au renouvellement et par voie de conséquence de priver la locataire évincée de son indemnisation en cas de non-renouvellement du bail ou de limiter forfaitairement par avance son indemnisation, ne sont pas contraires à l’ordre public » ; ensuite, que si les stipulations du bail précisaient les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction, « elles n’avaient pas pour objet de priver la locataire évincé de l’indemnisation de son préjudice et ne venaient pas davantage le limiter puisqu’il ne s’agit pas d’une indemnisation forfaitaire ».

Saisie d’un pourvoi par le bailleur qui critiquait ces motifs par deux moyens de cassation, la troisième chambre civile de la Cour de cassation approuve pleinement l’analyse des juges parisiens.

N’étant assortie d’aucun délai ou sanction, l’exigence contractuelle de notification au bailleur de l’acte de sous-location n’avait qu’une valeur informative, peu importe qu’elle ait été faite postérieurement à la délivrance du congé.

Par ailleurs, la haute juridiction rejette le moyen qui critiquait le calcul de l’indemnité d’éviction, en faisant siens, mot pour mot, les motifs de l’arrêt attaqué :
« Les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction, lorsqu’elles n’ont pas pour effet de priver la locataire évincée de son indemnisation en cas de non renouvellement du bail ou de limiter forfaitairement par avance son indemnisation et, par voie de conséquence, de limiter directement ou indirectement le droit au renouvellement, ne sont pas contraires à l’ordre public.
(...) Si (la)clause venait préciser les modalités de calcul de l’indemnité d’éviction, elle n’avait pas pour objet de priver la locataire évincée de l’indemnisation de son préjudice et elle ne venait pas davantage le limiter puisqu’il ne s’agissait pas d’une indemnisation forfaitaire.
 »

Il est déjà assez rare que la haute juridiction reprenne ainsi littéralement des motifs de droit rédigés par des juges du fond.

Mais l’espèce présente un intérêt tout particulier pour les rédacteurs de baux.
La solution adoptée ne prête à aucune discussion pour ce qui est du formalisme des sous-locations. Le plus souvent, la clause d’un bail qui autorise une sous-location, tout en dispensant le preneur de la formalité d’appel du bailleur à concourir à l’acte (prévue par l’article L. 145-31 du code de commerce, mais qui n’a pas un caractère impératif), prévoie la remise au bailleur d’une copie du sous-bail dans un délai généralement bref (de l’ordre de 15 jours à un mois). Mais l’absence de prévision d’un délai pour cette remise ne peut être sanctionnée par le jeu de la clause résolutoire ou par un refus de renouvellement sans indemnité pour motif grave et légitime. La Cour de cassation fait ici prévaloir la convention, dont la cour d’appel n’a fait qu’appliquer les termes clairs.

La solution est en revanche originale pour ce qui est du calcul de l’indemnité d’éviction en présence d’une sous-location totale.

L’on sait qu’en pareille situation, le locataire principal perd son droit au renouvellement au regard de l’exigence, posée par le second alinéa de l’article L. 145-8 du code de commerce, d’une exploitation personnelle et effective du fonds au cours des trois années qui ont précédé la date d’expiration du bail (CA Paris, Pôle 5 ch. 3, 2 déc. 2016, n° 15/12231, Revue des Loyers 2017 p. 21 obs. S. Brenna).

De son côté, le sous-locataire total, bien qu’il n’ait aucun lien de droit avec le bailleur principal, dispose à l’égard de ce dernier, en vertu de l’article L. 145-32 du code de commerce, d’un droit direct à renouvellement « à l’expiration du bail principal », s’il remplit lui-même les conditions d’application du statut.

Toutefois, la jurisprudence admet classiquement qu’il est loisible aux parties d’étendre le bénéfice du statut au locataire principal autorisé à consentir une sous-location totale, dès lors que cette intention est dépourvue d’équivoque, le serait-elle de façon tacite (v. Cass. 3e civ., 4 mai 2011, n° 09-72.550, FS+P+B).

Cette situation emporte une conséquence paradoxale : dès lors que le locataire principal n’exploite pas ou plus de fonds de commerce, il ne peut normalement prétendre à une quelconque indemnité d’éviction, laquelle, aux termes de l’article L. 145-14 du code de commerce, doit être « égale au préjudice causé par le défaut de renouvellement ». En l’absence d’une extension conventionnelle du droit au statut au profit du locataire principal, le titulaire d’une sous-location totale régulièrement autorisée serait seul fondé à faire valoir auprès du bailleur principal son droit direct à renouvellement ou, en cas de refus de renouvellement, son droit à indemnité.

Mais dès lors que le droit au statut a été volontairement étendu au locataire principal, sur quelle base calculer l’indemnité d’éviction et qui, du locataire principal ou de son sous-locataire, peut y prétendre ?

Si l’on a égard au locataire principal, dont le fonds de commerce est par définition inexistant ou disparu à la date du congé-refus, l’indemnité sera égale à zéro ! C’est ce que soutenait le pourvoi dans l’espèce qui a donné lieu à l’arrêt commenté : « l’indemnité d’éviction du preneur sortant ne doit réparer que le préjudice qu’il a subi personnellement ».

Il serait alors logique que ce soit le sous-locataire qui fasse valoir directement son droit à indemnité. Et c’est là que se situe l’originalité de l’espèce commentée : l’indemnité a été ici réclamée par le locataire principal en vertu d’une clause du bail qui précisait les modalités de calcul de l’indemnité : celle-ci était d’ores et déjà fixée « en fonction des caractéristiques d’exploitation de la sous-locataire, pour son activité exercée dans le local donné à bail  » et devait « être d’un montant suffisant pour permettre (au locataire principal) d’indemniser sa sous-locataire du préjudice subi par elle en raison du non-renouvellement  ».

C’est à ce montage contractuel assez inhabituel que la cour d’appel, approuvée en cela par la Cour de cassation, a reconnu un plein effet.

Mais se posait aussi en l’espèce la validité même de l’encadrement du calcul de l’indemnité.

Il est généralement admis que toute clause qui aurait pour objet ou pour effet de limiter par avance le montant de l’indemnité d’éviction ou de le fixer forfaitairement, tomberait, depuis la loi du 18 juin 2014, sous le coup de la sanction du réputé non écrit édictée par l’article L. 145-15 du code de commerce, comme étant susceptible de faire échec au droit au renouvellement, dès lors que l’indemnité doit être évaluée à la date la plus proche du départ du locataire.

Conscients de cet enjeu, les juges parisiens, comme la troisième chambre civile, ont pris ici le soin de préciser, pour valider la clause litigieuse, qu’« elle n’avait pas pour objet de priver la locataire évincée de l’indemnisation de son préjudice et elle ne venait pas davantage le limiter puisqu’il ne s’agissait pas d’une indemnisation forfaitaire ».

Tout en restant orthodoxe au regard du principe constant selon lequel le juge du fond apprécie souverainement le montant de l’indemnité au vu des éléments qui lui sont soumis (Cass. 3e civ., 2 déc. 1998, n° 96-19.917 ; Cass. 3e civ., 30 mars 2017, n° 16-10.513), cette solution, adoptée à l’occasion d’un cas assez original, ouvre la voie à une certaine souplesse dans la rédaction des clauses prévoyant des modalités particulières de calcul de l’indemnité d’éviction.

Cass. 3e civ., 18 janv. 2023, n° 21-22.209, n° 43 F-D

Alain Confino
Avocat à la Cour, Spécialiste en droit immobilier (Cabinet Confino)

Cet article est issu de la documentation Droit des affaires des Editions Législatives.

Pour tester gratuitement la documentation Droit des affaires pendant 2 semaines, cliquez ici.