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Pension alimentaire, comment la calculer pour éviter qu’elle soit source de conflit. Par Barbara Régent, Avocat.
Parution : mardi 7 mars 2023
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Une réponse ministérielle en date du 10 février 2023 apporte d’utiles précisions concernant le calcul de la pension alimentaire, sujet fréquent de litiges entre les parents séparés.

I) Définition de la pension alimentaire.

Communément appelée « pension alimentaire », la contribution à l’entretien et à l’éducation des enfants (CEEE), est ainsi définie dans le code civil :

« chacun des parents contribue à l’entretien et à l’éducation des enfants, à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, ainsi que des besoins de l’enfant » [1].

Cette obligation pèse sur tous les parents, qu’ils vivent ensemble ou qu’ils soient séparés. C’est évidemment dans la seconde hypothèse que les différends apparaissent.
Ce texte précise les critères servant à son évaluation :
- « les ressources respectives des parents » : chacun des parents doit faire la transparence sur tous ses revenus quelle qu’en soit la nature (revenus du travail et/ou du capital, rentes, indemnités pôle emploi, aides sociales et diverses, avantages en nature…). Puis, sont ensuite examinées les charges respectives des ex-conjoints. Le poste budgétaire le plus lourd est fréquemment celui du logement qui peut représenter un tiers des revenus d’un parent (crédit immobilier ou loyer, charges de copropriété, taxe foncière…). Il peut y avoir également des contributions à l’entretien et l’éducation d’enfants d’autres lits, des pensions aux ascendants…. En revanche, les crédits à la consommation, qui ne sont jamais prioritaires sur la dette alimentaire, ne sont pas réellement retenus s’agissant de dépenses superfétatoires.

- les « besoins de l’enfant » : ceux-ci varient selon plusieurs facteurs : la catégorie sociale de l’enfant, son âge, son état de santé, la nature ou le degré de sa scolarisation (école privée ou publique, études supérieures ou non…), ses activités et habitudes familiales (sport, musique, art…).

II) La grille indicative du ministère de la Justice.

En cas de séparation, le montant de la pension alimentaire suscite souvent des désaccords entre les parents. C’est pourquoi le ministère de la Justice a mis en place en 2010 un barème qui prend la forme d’un tableau, mais aussi un simulateur.

Attention, si cette grille et ce simulateur peuvent aider les parents, avec l’aide de leur conseil, à se mettre d’accord, ils ne qu’indicatifs et ne prennent pas en compte un certains nombres de cas particuliers. La grille est par ailleurs très datée, notamment au regard de l’inflation actuelle.

Ce point a été rappelé au Sénat, le 10 février 2023, par le Gouvernement, en réponse au Sénateur Yves Détraigne.
Si concernant le simulateur, il est bien indiqué son caractère indicatif, tel n’est pas le cas du barème. Il mériterait, de mon point de vue, que figurent les mêmes indications que pour le simulateur à savoir que « Ce montant est strictement indicatif », et que « seul un juge peut prononcer le montant définitif de la pension en prenant en compte la situation spécifique des parents ».

Il serait sans doute également utile que ces pages précisent davantage pourquoi le barème ne fait pas apparaître les ressources du parent créancier. Prenons un exemple concret souvent rencontré : un parent qui gagne 2 000 € par mois.
Les ex-conjoints ont deux enfants, le droit de visite et d’hébergement est dit « classique » (un week-end sur deux et la moitié des vacances). Selon cette grille, il devrait verser à l’autre parent une contribution mensuelle de 109 € par enfant. Ce montant est décorélé des ressources du parent créancier et serait donc valable qu’il dispose de faibles ressources (par exemple le SMIC) ou d’un salaire très confortable de cadre supérieure (par exemple 6 000 € par mois). Cette grille suscite donc légitimement des interrogations puisque le Code civil prévoit clairement que la pension alimentaire doit être fixée non seulement en fonction des ressources de celui qui doit la verser (le débiteur), mais aussi en fonction de celles à qui elle est due (le créancier).

En réponse au Sénateur, le gouvernement apporte d’utiles précisions bien que difficiles à vérifier : « Ainsi que le précise la circulaire du ministre de la justice du 12 avril 2010, qui a accompagné la diffusion aux juridictions de la table de référence, cette table est déterminée selon la méthode dite du “pourcentage des revenus”, qui consiste à appliquer au revenu du parent débiteur un coefficient correspondant au coût relatif de l’enfant. Pour les revenus inférieurs à 5 000 euros, c’est-à-dire dans le champ d’application de la table, cette méthode simple produit des résultats identiques à la méthode dite du “partage des revenus”, fondée explicitement sur les revenus des deux parents ».

Cette réponse me semble insuffisante car le barème et le simulateur sont, à mon sens, trop simplistes pour pourvoir apporter une information fiable aux justiciables qui sont souvent induits en erreur par ce qu’ils en déduisent.

Le cas de la résidence alternée.

Dans la question précitée, le Sénateur Yves Détraigne prend l’exemple de la résidence alternée. Il souligne que le barème n’est pas assez explicite, voire peut induire en erreur : « il paraît surprenant qu’il soit proposé, sans aucune explication, un montant de pension à verser en cas de résidence alternée » écrit-il.

Force est de constater que dans la majorité des dossiers qui fixent une résidence en alternance, aucune contribution n’est prévue car les temps de présence sont équivalents ou quasi (50% - 50% ou 45% - 55%), que les ressources des parents sont similaires et que ceux-ci partagent les frais des enfants à parts égales (dépenses exceptionnelles).

En réponse, le Gouvernement fait valoir que « la résidence alternée n’exclut pas, par principe, le versement d’une pension alimentaire. En pratique, une telle pension est versée dans deux hypothèses : lorsque les parents ne s’entendent pas pour partager les frais d’éducation et d’entretien de l’enfant ou lorsque l’un des parents ne peut pas assumer la charge financière de la résidence alternée ».

C’est exact mais là encore il serait sans doute souhaitable que ces précisions figurent sur le site du ministère de la Justice afin d’informer correctement les parents.

On peut déduire qu’une nouvelle table à plusieurs entrées serait nécessaire pour donner une vision plus adaptée des montants à envisager. En effet, il est fréquent que des parents se mettent en tête des montants qui ne correspondent à aucune réalité après avoir été consulter le barème et le simulateur, ce qui peut être bloquant dans le cadre de négociations.

III) Toujours privilégier le dialogue et l’anticipation.

La détermination de la pension alimentaire (ou sa révision) génèrent parfois de vives tensions entre les parents, attisées par les limités du barème ou du simulateur. Celles-ci vont rejaillir sur l’enfant, mélé de près ou de loin au différend de ses parents. Chaque difficulté de communication, qu’elle concerne l’aspect pratique ou financier, perturbe l’enfant et est susceptible de le projeter au cœur d’un conflit parental qui aura des conséquences sur son développement et son équilibre à court, moyen et long terme.

Mais on peut parfaitement éviter ces situations. Comment ?

Le premier conseil concerne la bonne foi et la transparence : dans les échanges avec les avocats et l’autre partie, il est important de communiquer tous ses revenus et toutes ses charges.
Si le dossier se judiciarise, dans tous les cas, le juge pourra y contraindre l’une ou l’autre partie (voire les deux si la dissimulation est réciproque) par ordonnance, y compris en assortissant sa décision d’une astreinte. Il pourra aussi décider d’estimer un montant de pension alimentaire bien plus élevé/ou bien moins élévé que les droits réels en considérant qu’une partie dissimule sa situation et ainsi vouloir la sanctionner. Cette situation aura pour conséquence d’entrainer de multiples procédures par la suite, lesquelles seront plus couteuses et stressantes que d’être transparent dès le début.

Le second conseil est celui d’établir des tableaux individuels et un tableau commun des dépenses afférentes aux enfants (avec pièces justificatives) pour connaître le budget réel des dépenses. Le cumul concret est souvent éloigné de ce que l’on imagine (on se limite trop souvent aux grosses dépenses en faisant l’impasse sur celles du quotidien comme le coiffeur, les livres, l’hygiène, les achats de petit matériel ou de fournitures…) et permet de définir une contribution à l’entretien et l’éducation qui prendra en charge la réalité des besoins des enfants pour calculer la part contributive de chacun « à proportion de ses ressources et de celles de l’autre parent ».

Enfin le dernier conseil, et non des moindres, concerne le dialogue entre les avocats et les parties : Le droit collaboratif et/ou la médiation permettent de co-construire des solutions en prenant en compte tous les paramêtres pour chacun des parents (les difficultés temporaires ou plus pérennes, des aides financières à rechercher pour compenser une période financière compliquée, des dépenses ponctuelles pour les enfants, le choix ou non d’un établissement scolaire et le budget à y consacrer…). On peut tout imaginer ensemble. La communication bipartite permet de bâtir des solutions durables, rapides, efficaces, et moins couteuses pour chacun.

S’agissant des dépenses dites « exceptionnelles », c’est-à-dire non comprises dans la pension alimentaire, elles doivent être anticipées en bonne intelligence : en effet, on connait généralement les besoins majeurs de l’enfant sur l’année à venir (dépenses de sports et loisirs, permis de conduire, déplacement scolaire, cours particuliers…) et il est important de bien programmer les choses pour éviter qu’un parent se sente « pris au piège » au moment de la présentation de la facture par l’autre parent. Dans cette anticipation, ô combien nécessaire, il est légitime de prévoir une « proratisation » s’il existe une disparité de revenus entre les parents.

En clair, prévoir, dialoguer et organiser sont les maîtres-mots qui réduisent les risques de litiges. C’est ainsi que la vie peut être plus sereine pour chacun et que l’on garde l’enfant à l’écart du conflit qui est toujours déstructeur pour sa construction et qui pollue le quotidien des adultes.

Barbara Régent, Avocate au Barreau de Paris, Co-fondatrice de l'association "Avocats de la Paix" https://www.regentavocat.fr/

[1Article 371-2 dudit code.