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La délivrance de la carte de séjour temporaire salarié ou travailleur temporaire. Par Christian Mendy, Avocat.
Parution : vendredi 10 mars 2023
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La récente réforme des modalités d’emploi des étrangers donne lieu de s’interroger sur les conditions actuelles de délivrance (I) et de renouvellement (II) des titres de séjour pour l’exercice d’une activité professionnelle aux étrangers relevant du régime général.
La persistance de la procédure de demande d’autorisation de travail rend toutefois peu lisible la simplification que les pouvoirs publics appelaient de leurs vœux (III).

I - Les conditions de première délivrance des titres de séjour pour l’exercice d’une activité professionnelle salariée.

a) L’autorisation de travail, le préalable à la délivrance de principe de la carte de séjour portant mention "salarié" ou "travailleur temporaire".

Suivant les prescriptions de l’article L421-1 et L421-3 du Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), la carte de séjour temporaire délivrée pour l’exercice d’une activité professionnelle salariée est subordonnée à la présentation d’une autorisation de travail ou un contrat de travail visé par l’autorité administrative compétente.

La procédure de ce titre de séjour est assujettie ainsi au respect d’une procédure. Celle de la délivrance de l’autorisation de travail et celle liée à la délivrance du titre de séjour.

La carte de séjour est instruite et délivrée par le préfet. Quant à l’instruction pour la délivrance de l’autorisation de travail, elle relève, sur délégation du préfet, d’une plateforme à compétence interrégionale, suivant le lieu de résidence du demandeur.

Les pièces à présenter pour toute demande d’autorisation de travail sont fixées par un arrêté daté du 01 avril 2021, publié au journal officiel de la République française du 2 avril 2021.

Selon la nature du contrat dont il est titulaire, l’étranger concerné se voit délivrer un titre de séjour portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire".

Le titre de séjour salarié est délivré aux étrangers titulaires d’un contrat à durée indéterminée, le titre qui porte la mention travailleur temporaire est délivré aux étrangers présentant un contrat de travail à durée déterminée.

Lorsque la situation administrative de l’étranger déjà présent sur le territoire français est régulière, la demande est présentée par l’employeur au préfet du département dans lequel l’établissement employeur a son siège ou le particulier employeur sa résidence, au moyen d’un téléservice dédié. Le préfet, saisi d’une telle demande par l’étranger, est tenu de la faire instruire et ne peut refuser l’admission au séjour de l’intéressé au motif que ce dernier ne produit pas d’autorisation de travail.

L’instruction de la demande d’autorisation présentée par un ressortissant étranger relevant du régime général (dont l’État n’est pas signataire d’une convention bilatérale avec la France) porte désormais sur trois critères, la situation de l’emploi les conditions de rémunération et le respect par l’entreprise de ses obligations légales.

En revanche, lorsque la présence de l’étranger sur le territoire français est irrégulière ou que ce dernier ne présente pas de visa long séjour, le préfet n’est pas tenu d’examiner la demande d’autorisation de travail ou de la faire instruire par le service compétent, préalablement à ce qu’il soit statué sur la délivrance du titre de séjour [1].

S’il consent à cet examen, le préfet transmettra par une messagerie dédiée la demande d’autorisation de travail (formulaire CERFA en version papier) à la plateforme compétente, pour avis.

Toutefois, le préfet n’est pas tenu de demander l’avis de la plateforme interrégionale main d’œuvre étrangère, s’il s’oriente vers un refus de délivrance de titre de séjour.

Dans l’hypothèse où elle est saisie, cette plateforme rend, en principe son avis, sans examiner le critère de l’opposabilité de la situation de l’emploi, lorsque l’emploi envisagé entre dans la liste visée par l’arrêté du 1er avril 2021.

L’autorisation de travail délivrée ainsi que l’avis rendu par la Plateforme ne lient pas le préfet quant à la délivrance du titre de séjour sollicité. En effet, outre les conditions liées à l’exercice de l’activité professionnelle, d’autres exigences sont posées par les textes en ce qui concerne la délivrance du titre de séjour (visa long séjour, ordre public notamment).

A contrario, le préfet ne peut délivrer, sauf erreur de droit, un titre de séjour portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire", sans présentation par l’étranger d’une autorisation de travail [2]. Il lui est toutefois loisible, en cas de refus de délivrance de l’autorisation de travail par la plateforme, d’user de son pouvoir discrétionnaire afin que lui soit délivrée l’autorisation de travail.

b. Exceptions à la détention d’une autorisation de travail.

Certains étrangers détenteurs de certains titres ou justifiant de certaines qualités sont dispensés de l’autorisation de travail, ils sont listés à l’article R5221-2 du Code du travail (20 catégories). Les principaux sont les suivants :
- les ressortissants de l’UE et des autres Etats assimilés,
- le salarié détaché dans certaines conditions,
- le titulaire de la carte de résident,
- le titulaire de la carte de séjour temporaire, carte de séjour pluriannuelle ou du visa long séjour valant titre de séjour/étudiant dans la limite de 60 % de la durée annuelle de travail (964h),
- le titulaire de la carte de séjour temporaire ou visa long séjour valant titre de séjour recherche d’emploi ou création d’entreprise,
- le titulaire de la carte de séjour pluriannuelle bénéficiaire de la protection subsidiaire ou le membre de sa famille,
- le titulaire de la carte de séjour pluriannuelle apatride ou le membre de famille,
- le titulaire d’une autorisation provisoire de séjour ou d’un récépissé portant mention autorise son titulaire à travailler,
- l’étranger entré en France pour exercer une activité professionnelle salariée pour une durée inférieure ou égale à 3 mois (dans certaines conditions),
- le titulaire de la CST ou de la CSP portant mention "vie privée et familiale" - (conjoint d’un ressortissant français, parent d’un enfant français, étranger né en France, dans les conditions de l’article L423-13 du CESEDA, le bénéficiaire du regroupement familial, l’étranger résidant habituellement avec l’un de ses parents depuis au plus tard ses 13 ans, l’étranger confié à l’aide sociale à l’enfance avant qu’il ait atteint l’âge de 16 ans, l’étranger justifiant de liens personnels et familiaux, l’étranger victime de traite ayant déposé plainte ou ayant porté témoignage, le bénéficiaire d’une ordonnance de protection du juge aux affaires familiales, l’étranger admis au séjour pour suivre des soins, le titulaire d’une rente d’accident de travail ou de maladie professionnelle servie par un organisme français.

L’on mesure ainsi l’attrait de la carte portant la mention "vie privée et familiale" délivrée aux catégories d’étrangers listées ci-dessus qui dispense son titulaire de toute demande d’autorisation de travail.

II. Les conditions de renouvellement de la carte de séjour délivrée pour l’exercice d’une activité professionnelle salariée.

L’étranger qui, après avoir obtenu une première délivrance de carte de séjour pour l’exercice d’une activité professionnelle salariée, souhaite se maintenir en France doit solliciter le renouvellement de ce titre de séjour.

Les conditions de renouvellement sont prévues au second alinéa de l’article L433-1 du CESEDA qui pose : "Par dérogation au présent article, la carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" prévue à l’article L421-1, ainsi que la carte de séjour pluriannuelle portant la mention "passeport talent" prévue aux articles L421-9, L421-10, L421-11 ou L421-14, sont renouvelées dans les conditions prévues à ces mêmes articles".

En pratique, lors de tout renouvellement de titre de séjour dont la délivrance est subordonnée à la détention d’une autorisation de travail, il est exigé du demandeur qu’il présente l’autorisation de séjour initiale. Cette autorisation est valable pour l’exercice de l’activité ayant donné lieu à l’établissement du contrat de travail. Tout nouveau contrat doit par conséquent faire l’objet d’une nouvelle demande d’autorisation de travail.

Toutefois s’agissant du titulaire de la carte de séjour salarié privé involontairement de son emploi, la validité de sa carte est prolongée d’une année. A l’issue et à l’occasion du renouvellement suivant, s’il demeure privé d’emploi, le préfet statue sur son droit au séjour pour une durée équivalente à celle des droits qu’il a acquis à l’allocation d’assurance.

III. La persistance de la procédure d’autorisation de travail en porte-à-faux avec la volonté de simplification.

La volonté de simplification des procédures d’instruction et de délivrance des autorisations est la justification principale de la récente réforme de l’emploi des étrangers en France.

Pour autant, dans le fond, les étrangers demeurent assujettis à cette procédure dès lors qu’ils souhaitent obtenir la carte de séjour "salarié" ou "travailleur temporaire".

Ainsi, en cas de changement d’employeur durant la période de validité de la carte de séjour, l’employeur qui souhaite recruter l’étranger doit initier une nouvelle procédure de demande d’autorisation de travail. Dans l’hypothèse où cette autorisation lui serait délivrée, l’étranger devra la joindre à sa demande de renouvellement de son titre de séjour.

En outre, si les renouvellements de titre de séjour dans une catégorie différente de la catégorie initiale (changement de statut) sont autorisés ainsi que le précise la circulaire du 31 juillet 2021, c’est à la condition que l’employeur sollicite l’autorisation de travail à la plateforme compétente.

Il en est notamment ainsi du titulaire de la carte portant la mention "vie privée et familiale" qui sollicite la délivrance d’une carte de séjour portant la mention salarié.

Quand bien même la plateforme instruira la demande sans tenir compte de la situation de l’emploi, il reste que la délivrance du titre de séjour demeure subordonnée à la détention de l’autorisation de travail.

Il en est de même des changements d’emploi au cours de la période de validité d’une carte de séjour temporaire portant la mention "salarié" ou "travailleur temporaire" ou carte de séjour pluriannuelle portant la mention "salarié", une autorisation de travail est également requise. Elle doit être présentée par l’employeur sans que puisse lui être opposable la situation de l’emploi. L’usager la joindra à sa demande de renouvellement de son titre de séjour.

Par ailleurs, des particularités subsistent, s’agissant du renouvellement de la carte de séjour temporaire portant mention "travailleur temporaire". Il n’y a pas lieu de solliciter une nouvelle autorisation de travail dès lors que la précédente couvre toute la période d’exécution du contrat de travail à durée déterminée supérieure à une année. Néanmoins, à l’issue, une nouvelle autorisation de travail sera requise au renouvellement du titre de séjour, en cas de signature d’un nouveau contrat.

De même, en cas de renouvellement d’un contrat de travail à durée déterminée dans les mêmes conditions que le précédent, l’autorisation de travail initialement accordée suffit.

Toutefois et de manière purement formelle, l’employeur devra présenter un dossier de demande d’autorisation de travail sans opposabilité de l’emploi, comprenant notamment l’autorisation de travail initialement accordée et l’avenant au contrat.

L’on peut critiquer cet aspect de la législation qui enferme l’usager concerné dans une procédure permanente de demande d’autorisation de travail à chaque nouveau contrat et appeler que le régime applicable aux étrangers titulaires d’une carte de séjour salarié ou travailleur temporaire soit aligné sur celui du conjoint du titulaire de la carte de résident longue durée/Union Européenne, titulaire de la carte de séjour temporaire "vie privée et familiale".

En effet, plus souple et sans doute mieux adapté, ce régime prévoit qu’à compter de la deuxième année suivant sa délivrance, il n’est pas requis de cet usager, une autorisation de travail. Ce dernier est considéré comme étant définitivement intégré sur le marché de l’emploi français.

Ainsi, en particulier, alors que le marché de l’emploi est bien souvent soutenu par la force de travail des travailleurs temporaires (CDD et intérim), la situation administrative de l’étranger travailleur temporaire l’enferme dans la précarité, laquelle est constitutive d’un frein à son insertion professionnelle définitive sur le marché du travail. Cet état est, en outre, accentué par le fait que le titulaire d’une telle carte ne peut, en l’état actuel de la législation, se voir délivrer une carte de séjour pluriannuelle, l’accès à cette carte lui étant définitivement fermé par la seule détention de la carte de séjour "travailleur temporaire" [3].

Il y a là assurément de quoi alimenter les réflexions pour une meilleure prise en compte de la situation des travailleurs temporaires.

En définitive, la procédure d’attribution de la carte de séjour pour l’exercice d’une activité professionnelle salariée révèle la volonté des pouvoirs publics de rendre attractive l’immigration professionnelle en France. Toutefois, dans la pratique, elle soumet les employeurs et les étrangers concernés à des rigidités persistantes qui lui font perdre lisibilité et cohérence.

Christian Mendy, Avocat Barreau de Metz [->mendychristian@orange.fr]

[1CAA de Lyon, 7ème chambre, 16/02/2023, 22LY01075.

[2Articles L421-1 et L421-3 du CESEDA.

[3L423-1 et L433-5 du CESEDA.