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La modernisation progressive du régime de l’enveloppe Soleau. Par Raphaël Hérimian Avakian, Juriste.
Parution : mercredi 5 avril 2023
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René Char disait que « La poésie, c’est ce qui échappe à la surveillance de la police de la pensée ». Ainsi, le célèbre poète défendait l’idée de protéger la créativité et l’originalité tout en permettant l’affranchissement des contraintes excessives. C’est précisément dans cette logique que l’enveloppe Soleau a été élaborée dans le système de dépôt de brevet, apportant ainsi davantage de souplesse et d’allègement des coûts par rapport à d’autres procédures.

Il est vrai qu’avant sa création, les inventeurs étaient confrontés à des chemins semés d’embûches pour protéger leurs idées. Ils devaient souvent avoir recours à des protections coûteuses assorties d’un processus administratif long et chronophage. De plus, les inventeurs avaient souvent du mal à prouver la date d’invention, ce qui fragilisait la protection de celle-ci et pouvait entraîner de nombreux litiges. En effet, ces mêmes inventions étaient souvent exposées à des investisseurs et des fabricants, parfois crapuleux, qui n’hésitaient pas à abuser de certaines fragilités des systèmes de protection en vigueur et à recourir à la contrefaçon.

Le mécanisme de l’enveloppe Soleau et ses limites.

Ces accumulations de difficultés ont conduit l’inventeur Eugène Soleau à créer en 1912 l’enveloppe portant son nom, qui continue d’être utilisée aujourd’hui. L’enveloppe Soleau permet aux inventeurs d’éviter le dépôt d’une demande de brevet et de réduire les coûts, tout en protégeant leurs créations. L’originalité de ce mécanisme repose sur la preuve de l’antériorité d’une invention, qui fait foi de son dépôt.

L’enveloppe Soleau permet aux inventeurs d’éviter le dépôt d’une demande de brevet et d’amoindrir les coûts tout en protégeant leurs créations avant qu’elles soient dévoilées publiquement. Son originalité réside dans la preuve de l’antériorité de l’invention qui est garantie par les documents déposés dans l’enveloppe Soleau, tels que la description détaillée, les plans et les croquis, qui font foi de la date de dépôt.

Par exemple, un inventeur peut déposer une telle description pour protéger son invention et garantir son antériorité. L’enveloppe Soleau, fermée et cachetée, est par la suite conservée pendant 5 ans par l’Institut National de la Propriété Industrielle (INPI), années durant lesquelles l’enveloppe va faire foi de l’existence d’une invention à une date déterminée.

Si le mécanisme de l’enveloppe Soleau a permis une meilleure protection, une réduction des coûts et une simplification administrative, il ne se substitue pas pour autant à un titre de propriété ou à un brevet. En effet, bien qu’elle permette de prouver l’antériorité, elle ne confère aucun droit exclusif à l’inventeur lui permettant d’empêcher les tiers de copier son invention. L’enveloppe ne permet pas non plus de protéger les inventions déjà connues du public.

L’enveloppe Soleau constitue une alternative au brevet, mais elle ne peut se substituer complètement à celui-ci. Contrairement au brevet, il s’agit d’un moyen de protection limité, similaire à ce qui peut être mis en place dans d’autres pays occidentaux. Néanmoins, d’autres pays ont mis en place des outils similaires, tels que le système de date certaine en Belgique, la procédure « provisional application for patent » aux États-Unis ou encore la « preliminary application ». L’enveloppe Soleau demeure une spécificité française.

La nécessité de moderniser l’enveloppe Soleau.

Mais malgré toutes ces éclatantes qualités de ce mécanisme, il est apparu de plus en plus nécessaire de moderniser un dispositif vieux de plus d’un siècle et de moins en moins adapté à notre époque. L’enveloppe Soleau, outil de simplification, doit faire face à plusieurs écueils rendant son utilisation lente et laborieuse, à commencer par l’utilisation du format papier qui rendait difficile l’accès aux inventeurs étrangers. Le fait de ne pas prendre en compte les innovations technologiques comme les réseaux sociaux et l’essor du numérique rendait également « l’enveloppe à date certaine » décalée par rapport aux réalités de notre quotidien. Enfin, la lenteur du traitement des enveloppes venait non seulement retarder la protection de l’inventeur, mais également contredire l’objectif de simplification administrative du mécanisme.

En réponse à ces difficultés, plusieurs réactions, dont celle de la doctrine, se sont élevées pour souligner la nécessité de moderniser l’enveloppe Soleau, à commencer par les professeurs M. Vivant et J. Azéma. D’autres spécialistes ont également appelé de leurs vœux une réforme de l’enveloppe à date certaine, en publiant des rapports faisant force de propositions.

L’apport de la loi Pacte en 2019.

Loi n° 2019-486 du 22 mai 2019 relative à la croissance et la transformation des entreprises (dite Loi Pacte).

Le MEDEF et l’Union des Fabricants se sont également emparés du sujet en publiant respectivement un rapport en 2017 et 2018 appelant à moderniser l’enveloppe Soleau. Une première initiative a rendu possible en 2018 le dépôt de l’enveloppe Soleau en ligne sur le site de l’INPI, afin de faciliter les démarches des inventeurs et de mettre fin aux dépôts papier. Cette première démarche a permis aux inventeurs d’inclure dans leurs enveloppes Soleau des éléments numériques (vidéos ou images) afin de décrire leur création, mais également de réduire le délai de traitement. Le Conseil de la propriété intellectuelle a emboîté le pas en publiant un avis le 23 janvier 2019 préconisant une modernisation de l’enveloppe Soleau davantage approfondie.

Le législateur a finalement exprimé sa voix à travers la loi Pacte du 22 mai 2019 en modifiant le régime de l’enveloppe Soleau via la délivrance d’un certificat de dépôt.

La loi Pacte a également créé une nouvelle option appelée certificat d’utilité pour protéger les inventions qui ne répondent pas aux critères d’innovation suffisants pour obtenir un brevet, mais qui présentent un intérêt pour l’inventeur. Il est fort probable que cette option soit considérée comme une alternative à l’enveloppe Soleau, en hiérarchisant les besoins de l’inventeur.

Le renforcement du décret de 2023.

Décret n° 2023-166 du 7 mars 2023 relatif aux enveloppes destinées à faciliter la preuve du contenu et la datation certaine des demandes annexes à la propriété industrielle.

Malgré ces avancées législatives, un certain nombre de spécialistes et de mouvements ont jugé que la modernisation de l’enveloppe Soleau était insuffisante et ont réclamé davantage de mesures. En conséquence, des spécialistes et des universitaires ont remis en 2021 un rapport favorable à des initiatives plus vigoureuses au Ministre de l’économie, intitulé Propriété intellectuelle : pour une modernisation de notre dispositif. C’est seulement récemment que les praticiens ont vu leur attente aboutir avec le décret n° 2023-166 du 7 mars 2023.
Ce texte répond en effet à une réflexion de plusieurs décennies sur la nécessité de simplifier et d’harmoniser les procédures de propriété industrielle, notamment celle de l’enveloppe Soleau.

Le décret a pour objectif d’adapter ce mécanisme à l’ère numérique et de renforcer la sécurité juridique des titulaires de droits de propriété industrielle en offrant une protection supplémentaire à leurs innovations. Partant d’une démarche ambitieuse, le décret porte l’espoir de réduire les risques de litiges et de contrefaçon en fournissant une preuve certaine de la date de création des innovations, ce qui constitue une avancée majeure en matière de propriété intellectuelle. L’avenir nous dira si les effets juridiques de ce décret seront à la hauteur des attentes et des ambitions escomptées.

Raphaël A. Hérimian, Juriste Droit des affaires et des nouvelles technologies.
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