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Recours abusif et permis de construire = compétence exclusive du juge administratif ? Par Antoine Louche, Avocat.
Parution : vendredi 10 mars 2023
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La Cour d’appel de Versailles a rendu un arrêt dans lequel elle revient sur la jurisprudence applicable en la matière en considérant qu’à raison de la nouvelle rédaction des dispositions de l’article L600-7 du Code de l’urbanisme, la juridiction judiciaire n’est plus compétente pour connaître du recours abusif dirigé contre un permis de construire.

Il existe un droit au recours. Il s’agit d’un des fondements de notre état de droit. Ce droit trouve naturellement à s’appliquer en matière d’urbanisme opérationnel, soit le contentieux qui concerne les autorisations d’urbanisme (permis de construire, permis de démolir, permis d’aménager, déclaration préalable).

Comme tout droit, un abus est possible. En cas d’abus de droit et si le recours revêt un caractère abusif l’engagement de la responsabilité de son auteur peut être recherchée.

Historiquement, c’est la juridiction judiciaire qui s’est reconnue compétente pour connaître de tels recours.

Elle a fondé sa compétence sur les dispositions de l’article 1382 du Code civil, devenu l’article 1240 du même code. Pour rappel, cet article fixe le principe selon lequel « Tout fait quelconque de l’homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ».

Néanmoins, au regard du nombre de recours qui sont introduit tous les ans en matière d’urbanisme opérationnel, des effets néfastes de ces recours sur la construction, le législateur a progressivement instauré de multiples dispositifs juridiques pour limiter et encadrer la formation de tels recours.

L’obligation de notification des recours prévue par l’article R600-1 du Code de l’urbanisme en constitue un parfait exemple. Pour rappel, à défaut de notifier son recours au bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme contesté et à l’autorité qui l’a délivré, ce dernier est irrecevable. Ce nouveau mécanisme conduisait à ses débuts à un taux d’irrecevabilité de l’ordre de 30% des recours.

Plus récemment, l’ordonnance du 18 juillet 2013 relative au contentieux de l’urbanisme a instauré de nouveaux mécanismes.

Elle a ainsi notamment conduit à la création de l’article L600-7 du Code de l’urbanisme qui a instauré la possibilité pour le bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme de solliciter du juge administratif qu’il constate que le recours dont il fait l’objet est abusif. En pareille hypothèse, le bénéficiaire du permis de construire peut solliciter l’indemnisation des préjudices résultant du recours abusif.

A la suite de l’entrée en vigueur de ce nouvel article L600-7 du Code de l’urbanisme, la jurisprudence a rapidement considéré qu’il existait une dualité de compétence en cette matière.

La Cour de cassation a ainsi considéré qu’ :

« (…) Une cour d’appel décide à bon droit que l’article L600-7 du Code de l’urbanisme, qui permet, dans des conditions strictement définies, au bénéficiaire d’un permis de construire de solliciter, devant le juge administratif saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre ce permis, des dommages-intérêts contre l’auteur du recours, n’a ni pour objet ni pour effet d’écarter la compétence de droit commun du juge judiciaire pour indemniser, sur le fondement de l’article 1382, devenu 1240 du Code civil, le préjudice subi du fait d’un recours abusif (…) » [1].

Plus récemment encore, cette La 3ème chambre civle a considéré qu’ :

« (…) En application des dispositions combinées de ces textes, si, par dérogation au principe selon lequel des conclusions reconventionnelles tendant à ce que le demandeur soit condamné au paiement de dommages-intérêts pour procédure abusive ne sont pas recevables dans une instance en annulation pour excès de pouvoir, le bénéficiaire d’un permis de construire peut solliciter, devant le juge administratif saisi d’un recours pour excès de pouvoir contre ce permis, des dommages-intérêts contre l’auteur du recours, cette faculté, qui n’est ouverte que dans des conditions strictement définies, ne fait pas obstacle à ce qu’une demande de dommages-intérêts soit ultérieurement formée devant le juge judiciaire sur le fondement du droit commun pour indemniser le préjudice subi du fait d’un recours abusif, sous la seule réserve que ne soit pas indemnisé deux fois le même préjudice. (…) » [2].

Ainsi, le bénéficiaire du permis de construire disposait d’un choix. Ce dernier pouvait faire constater le caractère abusif du recours dirigé contre son permis de construire devant le juge administratif ou le juge judiciaire.

Le récent arrêt de la Cour d’appel de Versailles semble revenir sur ce principe.

La Cour a fondé sa position sur l’évolution rédactionnelle de l’article L600-7 du Code de l’urbanisme.

En effet, depuis le 1er janvier 2019 et en application de la loi du 23 novembre 2018 portant évolution du logement, de l’aménagement et du numérique, dite loi Elan, l’article L600-7 est désormais rédigé de la manière suivante : « Lorsque le droit de former un recours pour excès de pouvoir contre un permis de construire, de démolir ou d’aménager est mis en œuvre dans des conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant et qui causent un préjudice au bénéficiaire du permis, celui-ci peut demander, par un mémoire distinct, au juge administratif saisi du recours de condamner l’auteur de celui-ci à lui allouer des dommages et intérêts. La demande peut être présentée pour la première fois en appel ».

Cette nouvelle rédaction a notamment conduit à :

- la suppression de la condition du caractère « excessif » du préjudice ;

- au remplacement de la notion de « conditions excédant la défense des intérêts légitimes » par celle de « conditions qui traduisent un comportement abusif de la part du requérant ».

Il y a donc eu un assouplissement rédactionnel démontrant la volonté du législateur de sanctionner plus souvent les recours abusifs en matière d’urbanisme. Ces éléments sont fondamentaux et conditionnent la position de la Cour d’appel de Versailles.

Cette dernière a notamment fait référence dans sa décision à la position du groupe de travail intitulé « Propositions pour un contentieux des autorisations d’urbanisme plus rapide et plus efficace ».

Ce dernier avait considéré que « la perte d’une voie de recours devant le juge judiciaire est sans incidence, ce dernier n’étant pas le mieux à même d’apprécier le caractère abusif du recours pour excès de pouvoir en annulation d’un permis de construire ».

La motivation de l’arrêt de la Cour est la suivante :

« (…) La cour en déduit que la volonté du législateur était de faire spécialement du juge administratif le juge de la responsabilité en matière de recours abusifs contre un permis de construire, à l’exclusion du juge judiciaire.
A fortiori, le but du législateur étant de raccourcir les délais de règlement des contestations en matière de permis de construire en ce compris la sanction des requérants dont les recours sont «  abusifs  », toute interprétation contraire serait de nature à restreindre, voire réduire à néant, l’effet utile de cette modification législative et finalement ne pourrait que ramener ce contentieux, sans justification ni juridique ni pratique ni économique, à la situation antérieure que le législateur a voulu combattre par cette modification.
En outre, le verbe «  peut  » dans l’expression « peut demander au juge administratif » traduit la possibilité d’introduire une procédure contentieuse pour celui qui l’initie, et non la possibilité de choisir entre le juge administratif et le juge judiciaire.
C’est donc à juste titre que le juge de la mise en état a conclu à son incompétence dans les motifs de sa décision, mais à tort qu’il a prononcé l’irrecevabilité du recours
(…)
 ».

En synthèse, pour la Cour d’appel de Versailles, il convient en application de l’objectif poursuivi par le législateur de limiter autant que possible le temps du contentieux en réservant au seul juge administratif, juge principal et de droit commun en matière d’urbanisme, la compétence exclusive pour connaître des actions accessoires en matière de recours abusif dirigés contre des autorisations d’urbanisme.

La Cour s’est donc déclarée incompétente au profit de la juridiction administrative. Il conviendra de voir si cette position reste isolée ou si au contraire elle est suivie par d’autres Cour d’appel et par la Cour de cassation.

Références : CA Versailles, 25 octobre 2022, n°21/03384 ; Civ1, 16 novembre 2016, n°16-14152 ; Civ3, 5 novembre 2020, n°19-18.636.

Antoine Louche, Avocat Barreau de Lyon Avocat associé chez Altius Avocats www.altiusavocats.fr

[1Voir notamment Civ1, 16 novembre 2016, n°16-14152.

[2Civ3, 5 novembre 2020, n°19-18.636.