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L’évaluation du risque de confusion par le TUE. Par Florence Chapin, CPI.
Parution : lundi 13 mars 2023
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En décembre 2022, le Tribunal de l’Union européenne a examiné l’évaluation du risque de confusion dans le cadre du litige opposant les titulaires des marques "Well and Well" et "WellBe Pharmaceuticals". Florence Chapin en expose les conclusions.

Dans l’affaire Pharmadom/Office de l’Union européenne pour la propriété intellectuelle (EUIPO) (affaire T-644/21, 21 décembre 2022), le tribunal a examiné l’évaluation du risque de confusion à la lumière de la compréhension que le public concerné peut avoir des marques en conflit.

En bref :

- La chambre de recours a rejeté une opposition à l’encontre de WellBe Pharmaceuticals fondée sur la marque antérieure Well and Well, toutes deux couvrant des produits/services identiques.

- Le tribunal a estimé que le terme "well" serait compris par au moins une partie du public concerné comme signifiant "bon" et faisant référence à la notion de "bien-être".

- La chambre de recours n’a pas commis d’erreur d’appréciation en concluant qu’il n’y avait pas de risque de confusion.

Contexte de l’arrêt.

Le 26 septembre 2017, Wellbe Pharmaceuticals SA a déposé une demande d’enregistrement d’une marque de l’Union européenne auprès de l’EUIPO pour le signe figuratif suivant, couvrant les classes 3, 5, 10, 35 et 42 :

Le 26 décembre 2018, Pharmadom, titulaire de la marque française antérieure Well and Well, couvrant également les classes 3, 5, 10, 35 et 44, a formé opposition contre la demande de marque litigieuse.

Le 11 mai 2020, la division d’opposition a partiellement accueilli l’opposition, reconnaissant le risque de confusion entre certains produits des classes 3, 5 et 10 et certains services des classes 35 et 42.

Wellbe a formé un recours contre la décision de la division d’opposition.

La chambre de recours a accueilli la demande au motif qu’il n’y avait pas de risque de confusion, même si tous les produits et services en cause étaient identiques. Pour parvenir à cette conclusion, elle a constaté que :

- La marque antérieure n’avait, dans l’ensemble, qu’un degré moyen de distinctivité inhérente ;

- Il n’y avait qu’un degré inférieur à la moyenne de similarité visuelle et phonétique entre les signes en cause ; et

- Les signes n’étaient pas conceptuellement comparables, sauf pour la partie du public pertinent pour laquelle ils pouvaient être considérés comme similaires.

Compte tenu de ce qui précède, Pharmadom a saisi le tribunal pour solliciter l’annulation de la décision de la chambre de recours.

Recours devant le tribunal.

Compte tenu de la date de dépôt de la demande d’enregistrement en cause (à savoir le 26 septembre 2017), qui est déterminante pour l’identification du droit applicable, les faits de l’espèce étaient régis par les dispositions du règlement n° 207/2009.

Pharmadom a fait valoir, en substance, que, contrairement à ce que la chambre de recours avait constaté, l’élément verbal "well" présentait un degré moyen de caractère distinctif, même si cet élément verbal était susceptible d’être compris par une partie du public pertinent. Elle a également mis en avant le fait que la connaissance d’une langue étrangère ne peut être présumée, à moins que le mot soit très élémentaire et couramment utilisé par le public concerné. En conséquence, Pharmadom a affirmé que ce mot était dépourvu de sens pour une partie substantielle du public concerné et que, par conséquent, il présentait un degré moyen de caractère distinctif. La demanderesse a également fait valoir que la répétition du mot "well" dans la marque antérieure augmentait son caractère distinctif.

En outre, Pharmadom a fait valoir que la chambre de recours avait commis une erreur en concluant que le public pertinent percevait la marque dans son ensemble : la chambre aurait, selon elle, dû constater que le public pertinent diviserait la marque demandée en "well" et "be", car le mot "well" est distinctif. Par conséquent, elle a affirmé qu’il existait des similitudes entre cette marque et la marque antérieure, qui contient également le mot "well".

De manière surprenante, la chambre de recours avait estimé que, pour des raisons d’économie de procédure, il n’était pas nécessaire de comparer les produits et services en cause, mais qu’il était possible de fonder son raisonnement sur le postulat que ces produits et services étaient identiques.

En comparant les signes, la chambre de recours avait constaté que l’élément verbal "well" présentait un faible degré de distinctivité pour la partie du public pertinent qui le comprendrait comme signifiant "bon" ou comme une référence à la notion de "bien-être".

Elle a ainsi estimé que ce mot était descriptif des produits et services en cause et que pour le public concerné qui ne comprenait pas l’anglais, cet élément verbal avait un degré moyen de distinctivité. La marque antérieure, prise dans son ensemble, avait donc un degré de distinctivité moyen pour l’ensemble du public pertinent.

Dans ces conditions, la chambre de recours avait rappelé une jurisprudence constante selon laquelle, lorsque les signes sont constitués à la fois d’éléments verbaux et d’éléments figuratifs, l’élément verbal du signe est en principe plus impactant pour le consommateur dans la mesure où le public n’a pas tendance à analyser les signes et se réfère plus facilement aux produits ou services en question en citant leur nom qu’en décrivant l’élément figuratif de la marque. Bien que, selon cette jurisprudence, le consommateur moyen perçoive normalement une marque dans son ensemble et ne se livre pas à une analyse de ses différents détails, il n’en demeure pas moins que, lorsqu’il perçoit un signe verbal, il le décompose en éléments qui, pour lui, suggèrent un sens spécifique ou lui rappelle des termes connus.

La chambre de recours avait également rappelé l’approche juridique du tribunal selon laquelle un public pertinent composé de professionnels de la santé est en mesure de comprendre le sens du mot anglais "well" puisque ces professionnels ont, en général, une bonne connaissance de l’anglais et peuvent, en tout état de cause, comprendre facilement le sens de certains mots du langage courant.

La chambre de recours avait alors considéré que, pour la partie du public pertinent qui comprendrait la signification de l’élément verbal "well", cet élément aurait un faible degré de distinctivité, alors que, pour le public qui ne comprendrait pas l’anglais, il aurait plutôt un degré de distinctivité moyen.

Lors de l’évaluation du risque de confusion, les questions publiques pertinentes

A la lumière de ce qui précède, le tribunal a estimé que les conclusions de la chambre de recours devaient être confirmées, étant donné que l’élément verbal "well" sera compris par une partie au moins du public concerné comme un mot anglais signifiant "bon" et comme faisant référence au concept de "bien-être". Par conséquent, l’élément verbal "well", en ce qui concerne la partie du public qui comprend sa signification en anglais, présente un faible degré de distinctivité par rapport aux produits et services liés au bien-être physique d’une personne.

La chambre de recours a concentré son analyse sur l’élément commun "well" et ignoré les éléments ayant un caractère distinctif plus faible, le risque de confusion étant évalué par rapport aux éléments distinctifs et dominants.

La chambre de recours avait conclu à l’absence de risque de confusion entre les signes en conflit en considérant que, même si les signes en cause avaient une chaîne de lettres en commun, ces lettres n’étaient pas suffisantes pour justifier l’existence d’un risque de confusion, même pour le public qui faisait preuve d’un niveau d’attention moyen à l’égard de certains des produits en cause. La chambre de recours a tiré ces conclusions en tenant compte du faible degré de similitude visuelle et phonétique et du fait que les signes en cause ne présentaient aucune similitude conceptuelle, sauf pour une partie du public concerné - à savoir celle qui saisirait le sens de l’élément verbal "bien" dans les deux signes. Par conséquent, elle a exclu tout risque de confusion pour l’ensemble des produits et services couverts par les marques en cause, qui ont été jugées identiques, et pour l’ensemble du public pertinent, y compris celui qui ne comprend pas la signification de l’élément verbal "well".

Le tribunal s’est rangé aux arguments de la chambre de recours et a rejeté le recours de Pharmadom, estimant qu’il n’y avait pas de risque de confusion entre les signes.Bien que la décision soit finalement fondée sur une jurisprudence établie, on peut s’interroger sur le raisonnement initial retenu dans le cadre de la décision d’opposition.

Florence Chapin, Conseil en Propriété Industrielle - Marques, Dessins et Modèles, Novagraaf France Novagraaf - Conseils en Propriété Intellectuelle Brevets - Marques - Dessins & Modèles https://www.novagraaf.com/fr