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Action en extension par le mandataire liquidateur contre la société de location des actifs du liquidé. Par Laurent Latapie, Avocat.
Parution : jeudi 16 mars 2023
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Une société d’exploitation dans le monde du cirque se retrouve en liquidation judiciaire. L’intégralité des actifs de ladite société sont loués à une autre entité, appartenant à la même famille. Le mandataire liquidateur engage une action en extension pour récupérer les actifs loués.
Quelles sont ses chances de succès ? il y a-t-il des échappatoires ?

Il convient de s’intéresser à un arrêt qui a été rendu par la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, le 2 mars 2023, n° RG 22/02342, qui vient aborder le cas particulier de l’action en extension engagée par un mandataire liquidateur d’une société en liquidation judiciaire.

Les critères de l’action en extension.

Rappelons que l’action en extension est clairement réglementée au visa de l’article L.621-2 du Code du Commerce qui édicte :

« Le tribunal compétent est le tribunal de commerce si le débiteur exerce une activité commerciale ou artisanale. Le tribunal judiciaire est compétent dans les autres cas.
A la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du débiteur ou du ministère public, la procédure ouverte peut être étendue à une ou plusieurs autres personnes en cas de confusion de leur patrimoine avec celui du débiteur ou de fictivité de la personne morale.
Dans les mêmes conditions, un ou plusieurs autres patrimoines du débiteur peuvent être réunis au patrimoine visé par la procédure, en cas de confusion avec celui-ci. Il en va de même lorsque le débiteur a commis un manquement grave aux obligations prévues à l’article L. 526-13 ou encore une fraude à l’égard d’un créancier titulaire d’un droit de gage général sur le patrimoine visé par la procédure.
Pour l’application des deuxième et troisième alinéas du présent article, le président du tribunal peut ordonner toute mesure conservatoire utile à l’égard des biens du défendeur à l’action mentionnée à ces mêmes alinéas, à la demande de l’administrateur, du mandataire judiciaire, du ministère public ou d’office.
Le tribunal ayant ouvert la procédure initiale reste compétent pour ces demandes. Lorsque le débiteur soumis à la procédure initiale ou le débiteur visé par l’extension exerce une profession libérale soumise à un statut législatif ou réglementaire ou dont le titre est protégé, le tribunal statue en chambre du conseil après avoir entendu ou dûment appelé l’ordre professionnel ou l’autorité compétente dont, le cas échéant, il relève
 ».

L’action en extension avec confusion des masses actives et passives.

Il convient de rappeler que la confusion de patrimoine peut ainsi résulter de la confusion des comptes ou de flux financiers anormaux ou de relation financière anormale, mais il peut également s’agir de rapporter la preuve de l’absence de toute indépendance financière.

La notion d’exploitation commune peut aussi être envisagée lorsque les deux sociétés ont œuvré ensemble à la réalisation d’un but commun.
De ce fait, l’exploitation commune apparait comme une application de la confusion des patrimoines.

Les flux financiers anormaux ou l’indépendance financière
Il a ainsi pu être jugé que s’il y lieu de déposer le bilan de la société qui dirigeait, les deux dirigeants ont créé une autre société en transmettant l’actif de la première par le biais de la sous-traitance, c’est à bons droits que le Tribunal a prononcé la confusion des patrimoines des deux sociétés en cause afin de sanctionner le comportement de leurs dirigeant.

La jurisprudence a également pu admettre la présence de flux financiers anormaux entre les deux entités distinctes en présence d’opérations financières croisées dépourvues de contrepartie entre les deux sociétés.

La jurisprudence a ainsi précisé les critères propres à caractériser une confusion de patrimoines, l’extension de la procédure à d’autres personnes résulte bien de l’imbrication totale des éléments d’actifs et de passifs de différentes personnes du fait de l’impossibilité de distinguer le patrimoine propre de chaque entreprise ou de ré-établir la composition respective de chaque patrimoine.

L’action en extension pour absence de contrepartie.

La jurisprudence est également venue sanctionner par l’extension de procédure les mouvements de fonds anormaux qui se caractérisent par l’absence de contrepartie, comme des avances de trésorerie d’une entreprise à une autre hors de proportion de ses possibilités financières ou bien encore l’identité des associés ou dirigeants de plusieurs entreprises, l’identité de siège social ou encore l’interpénétration économique telle qu’une entreprise soit sous la dépendance totale de l’autre.

La jurisprudence venant également rappeler que l’action en extension est fondée lorsque l’absence de contrepartie caractérise les relations financières anormales au sens de la jurisprudence.

En effet, la jurisprudence est venue considérer que la normalité se déduit d’abord de l’absence de toute contrepartie, laquelle doit s’apprécier au regard de l’ensemble des relations nouées entre les sociétés.
Selon la Cour de cassation, l’existence prolongée de flux financiers anormaux caractérisés par des transferts de fond sans aucune contrepartie d’une société vers une autre est de nature à révéler la confusion des patrimoines de ces deux société [1].

Dans un autre arrêt, en date du 5 juillet 2005, les hauts Magistrats approuvent la Cour d’Appel d’Orléans d’avoir étendue la procédure d’une association à une autre association constatant l’apport d’une créance en compte-courant sans contrepartie et substituant aux critères de flux financiers normaux employés par les Juges du fond celui de relation financière anormale [2].

La notion de relation financière anormale est sanctionnée, vise à sanctionner la pratique consistant à laisser filer des créances sans jamais réagir et permet de prendre en considération des situations où il n’existe pas véritablement de flux mais des avances de fond sans remboursement antérieur, tout comme des abandons de créances, une renonciation à percevoir des loyers, la perception de loyers anormalement bas, l’utilisation d’une structure par le personnel de l’autre tel que le rappel d’ailleurs la Revue des Sociétés confusion des patrimoines au sein d’un groupe (Revue des Sociétés 2006.281).

Quels sont les faits ?

Ainsi, dans cette affaire, et par jugement en date du 16 septembre 2019, sur déclaration de cessation des paiements, le Tribunal de Commerce avait ouvert à l’égard de la société SPC une procédure de liquidation judiciaire convertie le 21 octobre 2019 en procédure de liquidation judiciaire simplifiée.

Qui peut agir en extension de procédure collective ?

Par jugement en date du 7 février 2022, le Tribunal de Commerce avait, à la demande du mandateur liquidateur, ordonné l’extension de la procédure de liquidation judiciaire à l’encontre de la société SPC à la société F Location, après avoir constaté une confusion des patrimoines des deux sociétés.
En effet, le Tribunal de Commerce avait constaté que la société SPC, dont l’actif était inexistant au jour de l’inventaire, avait conclu avec la société F Location un contrat de location de matériel moyennant un loyer mensuel initial de 2 000 € réduit ensuite selon avenant à la somme de 1 000 €.

Il était alors relevé que le loyer facturé à la société SPC constituait l’unique ressource de la société F Location, laquelle ne justifiait de l’existence d’aucun autre contrat pouvant démontrer l’existence d’une multiplicité de locataires.
Le Tribunal a également souligné la modicité du loyer, qui n’avait en outre pas toujours été payé, puisque la somme due au 30 septembre 2018 était de 36 000 € et n’avait fait l’objet d’aucune déclaration passible de la société débitrice.

Le Tribunal de Commerce en a alors déduit, de l’ensemble de ces éléments, l’existence d’un flux financier anormal entre les deux sociétés témoignant d’une organisation destinée à mettre à l’abri les éléments d’actifs nécessaires à l’activité du cirque de la famille F.

C’est dans ces circonstances que la société F Location avait interjeté appel de la décision afin de venir contester cette demande aux fins d’extension.

La contestation de l’action aux fins d’extension.

La société F Location ayant effectivement frappé d’appel la décision rappelant, pour expliquer l’absence de matériel d’exploitation et d’animaux au sein de la société SPC, l’appelant faisait valoir qu’il était impossible pour chaque société de cirque d’acheter et d’avoir et d’avoir son propre matériel, en conséquence le recours à la location de matériel est une pratique assez courante.

La société F Location soutenait qu’elle avait une activité propre et distincte de celle de la société SPC et que le fait que la location de matériel s’effectue au bénéfice des membres de la même famille F. ne suffit pas à caractériser la fictivité dès lors que ses membres sont différents et ont des activités différentes.

Une absence de fictivité commerciale, même entre les membres d’une même famille.

Elle conteste également l’existence de flux anormaux arguant d’une contrepartie à la location consistant dans l’entretien des véhicules loués et rappelant que la mise à disposition de quelques éléments d’actif est insuffisant à caractériser une relation financière anormale.

La société F Location rappelant alors que les bilans démontrent l’existence d’une relation contractuelle avec la société SPC qu’il y a bien eu un avenant permettant une baisse de loyer découlant d’une conjoncture intrinsèque au mouvement du cirque, mouvement des gilets jaunes, mouvement terroriste, mouvement écologique et aggravé par le litige commercial opposant la société C. avec une enseigne de cirque extrêmement connue.

L’appelant rappelait également que le passif avait considérablement réduit pour être de seulement de plus de 100 000 €, alors que le passif initial déclaré était beaucoup plus important et, in fine, le conseil de la société F Location avait également fourni un état des immobilisations des actifs qui montrait bien que les actifs avaient une valeur résiduelle comptable proche du néant et que la spécificité des véhicules fort anciens et entretenus justement par le locataire, à savoir la société SPC, étaient réservés à une activité très spécifique liée au monde du cirque et qu’il n’avait dès lors aucune valeur intrinsèque.

Un passif important de liquidation judiciaire, facteur d’action en extension ?

La Cour rappelle qu’il résulte des dispositions combinées du second alinéa de l’article L121-2 et du premier de l’article L141-1 du Code du Commerce que la liquidation judiciaire d’un débiteur peut être étendue à une ou plusieurs personnes en cas de confusion du patrimoine.

La confusion des patrimoines s’entend de l’imbrication inextricable des comptes et/ou de relations financières anormales notamment caractérisées par un mélange patrimonial et par un déséquilibre patrimonial significatif tendant à une absence de contrepartie.

En l’espèce, il est établi et il n’est pas contesté que la société SPC qui a été immatriculée le 24 mars 2016, soit 4 mois avant la liquidation judiciaire de la société FPSC, gérée par Madame LF., et qui a déclaré dans le cadre de la procédure collective ne détenir aucun actif, ne disposait pas du matériel nécessaire à l’exercice de son activité, lequel était mis à la disposition par la société F Location, gérée par la même Madame LF., dans le cadre d’un contrat location.

Il convient de relever à cet égard qu’il est produit un contrat de location conclu le 1er avril 2015 entre la société F Location, dénommée loueur, et la société FPS, autre société de cirque dénommée locataire, société ayant fait l’objet d’une procédure de liquidation judiciaire en date du 21 juillet 2016, prévoyant un loyer mensuel de 3 413,00 € HT ainsi qu’un document intitulé « avenant au contrat de location » signé en date du 1er août 2016, conclu le 1er octobre 2017, entre la société F Location et la fameuse société SPC, désormais en liquidation judiciaire dans le Var, aux termes duquel le montant de la location était ramené à 1 000 €.
Qu’il n’était pas justifié de l’existence de ce contrat signé en date du 1er août 2016.

Une société de location au cœur de différentes sociétés d’exploitation ?

En tout état de cause, il n’est pas contesté que le montant du loyer a été ramené de 2 000 € à la somme mensuelle de 1 000 € au dernier trimestre de l’année 2007 pour justifier de la modicité de cette somme, la société F Location invoque l’existence d’une contrepartie consistant en la prise en charge par le locataire de l’entretien du matériel ne rapporte cependant pas la preuve de cette contrepartie, dont l’origine contractuelle est invérifiable faute de production de contrat de location du 16 août 2016.

Par ailleurs, il apparait que la société SPC a cessé de s’acquitter du paiement de ce loyer qu’ainsi, selon le rapport du mandataire liquidateur, le montant des impayés au 26 juillet 2018 s’élevait à 36 000 €, somme n’apparaissant même pas dans la comptabilité de la société F Location et n’ayant pas davantage été déclarée par cette dernière à titre de créance dans le cadre de la procédure collective.

Enfin, il y a lieu de constater que la société F Location ayant pour activité, selon son KBIS, « la location de matériels de toute opération industrielle, commerciale et financière, mobilière et immobilière pouvant se rattacher directement ou indirectement à l’objet social et à tout objet similaire et connexe » ne produit aucun élément ou pièce de nature à démontrer qu’elle avait d’autres clients que la seule et unique société SPC.

Outre l’absence d’une multiplicité de locataires qui démontre une interdépendance financière, ainsi que l’absence de contrepartie financière et de mise à disposition du matériel caractérisée par la modicité d’un loyer dont le paiement n’était pas honoré à 36 000 € à la date du 26 juillet 2018 et correspondant à une créance que la société F Location a purement et simplement abandonnée en ne la déclarant pas à la procédure collective de la société SPC permet de caractériser dans un contexte familial, propre aux différents dirigeants des différentes entités appartenant tous à la même famille, une confusion de patrimoines justifiant l’extension de la procédure de liquidation judiciaire de la société SPC à la fameuse société F Location.

Ainsi, dans cet arrêt de la Cour d’Appel d’Aix-en-Provence, en date du 2 mars 2023, la Cour d’Appel confirme en tous points cette action en extension et vient illustrer par cette nouvelle jurisprudence l’hypothèse des actions en extension reliées à des flux anormaux entre les différentes entités lorsque celles-ci ne sont pas forcément dans une relation de société mère fille, mais bel et bien de sociétés interdépendantes pour lesquelles la même famille de dirigeants avait effectivement pour habitude d’exploiter, certes dans une activité économique très particulière qui est relative au monde du cirque mais pour laquelle malheureusement le Tribunal de Commerce, tout comme la Cour d’Appel, se sont interrogés quant aux liens d’interdépendance financière entre une société de l’action d’un côté et, de l’autre, une société de cirque déficitaire qui s’est retrouvée en location judiciaire.

Dès lors, cette jurisprudence est intéressante et rappelle en pratique que le mandataire liquidateur peut lancer une procédure en extension avec confusion des patrimoines et rappelle en tant que de besoin que les relations que peut avoir le débiteur avec les autres membres de sa famille et les autres entités commerciales qu’il peut avoir au sein de cette même famille, ils doivent être effectivement organisés intelligemment pour justement permettre au mandataire liquidateur d’envisager une action en extension qui a fait mouche dans cette affaire.

Laurent Latapie, Avocat à Fréjus et Saint-Raphaël, Docteur en Droit, Barreau de Draguignan www.laurent-latapie-avocat.fr

[1Cour de cassation, chambre commerciale, 7 janvier 2003, Bull. JOLY 2003-80, page 407.

[2Cour de cassation, chambre commerciale, 5 juillet 2005, n°02-10.233.