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Travailleurs indépendants : attention à la requalification de la relation en contrat de travail. Par Cécile Villié, Avocat.
Parution : jeudi 16 mars 2023
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L’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs.

Selon une jurisprudence constante, l’existence d’une relation de travail salariée ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs [1].

Ainsi, à titre d’exemple, un contrat de « véhicule équipé taxi » ou encore un contrat de sous-traitance peuvent être requalifiés par les juges en contrats de travail.

La charge de la preuve.

Conformément à l’article 1353 du Code civil, la charge de la preuve de l’existence d’un contrat de travail incombe en principe à celui qui s’en prévaut, à savoir le plus souvent, le travailleur.

Toutefois, le Code du travail institue une présomption de salariat au bénéfice :
- des journalistes professionnels ;
- des artistes du spectacle ;
- des mannequins ;
- des personnes occupées dans les exploitations ou entreprises de travaux forestiers.

Il ne s’agit que d’une présomption simple, pouvant être renversée par la preuve contraire que le travailleur n’est pas salarié.

A l’inverse, l’article L8221-6, I du Code du travail établit une présomption de non-salariat pour :
- les personnes physiques immatriculées au registre du commerce et des sociétés, au répertoire des métiers, au registre des agents commerciaux ou auprès des Urssaf pour le recouvrement des cotisations d’allocations familiales ;
- les personnes physiques inscrites au registre des entreprises de transport routier de personnes, qui exercent une activité de transport scolaire [2] ou de transport à la demande [3] ;
- les dirigeants des personnes morales immatriculées au registre du commerce et des sociétés et leurs salariés.

Toutefois, il ne s’agit là encore que d’une présomption simple qui peut être combattue, l’existence d’un contrat de travail pouvant être établie lorsque la personne fournit

« directement ou par une personne interposée des prestations à un donneur d’ordre dans des conditions qui les placent dans un lien de subordination juridique permanente à l’égard de celui-ci » [4].

Les critères du contrat de travail.

Selon la jurisprudence, trois critères cumulatifs sont nécessaires pour établir l’existence d’un contrat de travail :
- une rémunération ;
- une prestation ;
- un lien de subordination.

S’agissant de la rémunération, sa nature et son montant importent peu.

Ainsi, il peut s’agir d’une rémunération sous forme d’argent ou en nature, fixe ou sous forme de commissions ou de remboursement de frais professionnels.

Aussi, la rémunération versée peut entrainer la requalification en contrat de travail même si elle est inférieure au SMIC.

S’agissant de la prestation de travail, celle-ci consiste en l’exercice d’une activité en vue de la production, au profit d’une autre personne, d’un bien ou d’un service, en principe à destination de sa clientèle.

La jurisprudence adopte une conception large de cette notion. Ainsi, la participation à une émission de télévision peut constituer une prestation de travail.

S’agissant du lien de subordination, élément déterminant du contrat de travail, la jurisprudence a abandonné la notion de dépendance économique au profit d’un lien de subordination juridique caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et d’en sanctionner les manquements [5].

Ainsi, le lien de subordination nécessite de la part du donneur d’ordre :
- un pouvoir de direction,
- un pouvoir de contrôle ;
- et un pouvoir de sanction.

Les juges du fond ont recours à la méthode du faisceau d’indices pour établir l’existence d’un lien de subordination. À cet égard, le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail.

Statuant sur la qualification d’un contrat liant un livreur à une plateforme numérique, la Cour de cassation a approuvé la décision d’une cour d’appel d’avoir qualifié en contrat de travail la relation liant un chauffeur VTC à la société Uber [6].

Il avait été constaté que :
- le chauffeur n’avait aucune clientèle propre, ne fixait pas librement ses tarifs ni les conditions d’exercice de sa prestation de transport ;
- il se voyait imposer un itinéraire particulier dont il n’avait pas le libre choix et pour lequel il pouvait être sanctionné de manière tarifaire en cas de non-respect ;
- la société avait la faculté de déconnecter temporairement le chauffeur de son application à partir de trois refus de courses ;
- le chauffeur pouvait perdre l’accès à son compte en cas de dépassement d’un taux d’annulation de commandes ou de signalements de « comportements problématiques ».

Ainsi, il a pu être déduit de l’ensemble de ces indices, l’existence d’un lien de subordination.

Toutefois, dans un arrêt récent du 13 avril 2022 [7], la Cour de cassation considère cette fois qu’il n’y a pas lieu de requalifier en un contrat de travail la relation liant un chauffeur VTC à une plateforme numérique en l’absence d’élément caractérisant un lien de subordination.

La cour d’appel avait retenu :
- que le chauffeur n’avait pas le libre choix de son véhicule ;
- qu’il y avait interdépendance entre les contrats de location et d’adhésion à la plateforme ;
- qu’il existait un système de géolocalisation en temps réel de chaque véhicule connecté ;
- qu’il existait un système de notation du chauffeur par les personnes transportées permettant à la société d’infliger d’éventuelles sanctions ;
- que le montant des courses était fixé par la société.

Pour la Cour de cassation, ces éléments étaient en l’espèce insuffisants pour caractériser l’existence d’un lien de subordination.

Les effets de la requalification.

Au titre de l’exécution du contrat, le salarié pourrait solliciter un rappel de salaire et primes, notamment si la rémunération versée ne correspond pas aux minimas légaux ou conventionnels, ainsi qu’un rappel des congés payés afférents.

Récemment, par un arrêt du 2 février 2022, [8] la Cour de cassation a jugé que :
- La requalification d’un contrat de sous-traitance en contrat de travail ne permet pas de considérer que les stipulations par lesquelles les parties ont fixé un taux horaire par heure travaillée au titre d’une prestation de service correspondent au salaire horaire convenu ;
- En l’absence d’autres éléments permettant de caractériser un accord des parties sur le montant de la rémunération, la cour d’appel a pu retenir que le salaire de référence devait être déterminé en considération des dispositions de la convention collective applicable.

Au titre de la rupture du contrat, le salarié pourrait contester tant la procédure (1 mois de salaire) que le fondement de la rupture de son contrat.

Il pourrait notamment solliciter une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, revendiquer le versement d’une indemnité de licenciement et d’une indemnité compensatrice de préavis.

L’employeur pourrait également être sanctionné au titre du travail dissimulé (indemnité de 6 mois de salaire) s’il s’est soustrait intentionnellement aux obligations qui pèsent sur lui [9].

La requalification de la relation en contrat de travail aura également des conséquences en matière de protection sociale. L’employeur s’expose en effet à des redressements de cotisations sociales et à des majorations spécifiques en cas de travail dissimulé qui s’ajouteront aux majorations de retard de droit commun.

Au demeurant, l’ensemble du droit du travail aura vocation à s’appliquer et l’employeur encourt le risque d’être condamné à payer des dommages et intérêts pour violation des durées maximales de travail et des règles sur le repos.

Cécile Villié, Avocat - droit du travail Barreau de Paris www.villie-avocat.com [->contact@villie-avocat.com]

[1Cass. soc., 17 avr. 1991, n° 88-40.121 ; Cass. soc., 19 déc. 2000, n°98-40.572 ; Cass. soc., 9 mai 2001, n° 98-46.158.

[2C. éduc. art. L214-18.

[3C. transports art. L3111-12 et L3111-13.

[4C. trav., L8221-6, II.

[5Cass. soc., 13 nov. 1996, n° 94-13.187.

[6Cass. soc., 4 mars 2020, n° 19-13.316

[7Cass. soc. 13 avril 2022 n° 20-14.870

[8Cass. soc., 2 fév. 2022, n° 18-23.425.

[9C. trav., art. L8221-6.