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Homoparentalité et projet commun d’enfant : que faire en cas de refus d’adoption ? Par Caroline Elkouby Salomon, Avocat.
Parution : vendredi 17 mars 2023
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Le législateur a voulu régler la délicate question des mères dites « sociales » « interdites de filiation » en permettant à celles-ci de saisir le juge d’une demande d’adoption de l’enfant, malgré le refus de la mère biologique.

Quelles sont les conditions pour adopter un enfant ?

L’adoption peut être demandée :

- Par un couple marié non séparé de corps, deux partenaires de Pacs ou deux concubins. Aucune condition d’âge n’est exigée si le couple est en mesure d’apporter la preuve d’une communauté de vie au moins d’un an.

- Par toute personne seule âgée de plus de 26 ans, qu’elle soit célibataire, mariée, pacsée, divorcée ou veuve. Si l’adoptant est marié ou pacsés, le consentement de l’autre membre du couple est nécessaire.

La condition d’âge n’est pas exigée en cas d’adoption de l’enfant du conjoint, du partenaire de Pacs ou du concubin.

Lorsque la filiation de l’enfant est établie à l’égard du parent biologique, il est nécessaire de donner le consentement à l’adoption. Celui-ci peut être rétracté pendant un délai de deux mois.

Quelle est la procédure pour adopter l’enfant ?

Il faut dans un premier temps consulter un Notaire pour régulariser le consentement à l’adoption. Ce dernier constatera la non-rétractation à l’adoption du parent biologique à l’issue d’un délai de 2 mois.

Il faut ensuite prendre rendez-vous avec un avocat afin qu’il vous aide à rassembler les justificatifs et pièces exigées. Il adressera une requête au tribunal (chambre du conseil) qui rendra un jugement d’adoption. La représentation par avocat n’est cependant pas obligatoire.

Y-a-t-il une possibilité de passer outre le refus de consentir à l’adoption par la mère biologique ?

Pour les enfants conçus à la suite d’une Procréation Médicalement Assistée (PMA) à l’étranger :

Le législateur a voulu régler la délicate question des mères dites « sociales » « interdites de filiation » à l’égard de l’enfant en raison de l’opposition de la mère biologique, notamment du fait d’une séparation très conflictuelle du couple.

La loi bioéthique du 2 août 2021 a ouvert, jusqu’au 3 août 2024, la possibilité pour la mère sociale, d’adopter l’enfant, malgré le refus de la mère biologique, sous réserve d’apporter :
1) La preuve du projet parental commun ;
2) La preuve de l’assistance médicale à la procréation (PMA) réalisée à l’étranger avant le 2 août 2021.

Le refus de la mère biologique ne devra pas être justifié par un « motif légitime ». Il y a, à l’heure où est écrit cet article, très peu de jurisprudence pour préciser ce qu’est concrètement un motif légitime. Le juge appréciera au cas par cas.

L’adoption sera prononcée si le motif légitime n’est pas retenu et s’il est prouvé que l’adoption est conforme à l’intérêt de l’enfant, ou que la protection de ce dernier l’exige. Toutefois la loi refuse que la mère biologique invoque, pour refuser l’adoption, « l’absence du lien conjugal », ou « la condition de durée d’accueil de l’enfant au foyer de l’adoptant ».

Le tribunal pourra alors prononcer l’adoption s’il estime que le refus est contraire à l’intérêt de l’enfant.

L’adoption aura les mêmes conséquences qu’une adoption classique de l’enfant du conjoint et établira donc la filiation.

Pour les autres enfants conçus autrement que par une PMA à l’étranger (PMA en France, importation de paillettes, donneur connu etc.) ou si le délai de trois ans pour agir sur le fondement de la bioéthique précitée est expiré :

La loi bioéthique du 2 août 2021 ne s’appliquera pas. Pour demander l’adoption de l’enfant, le juriste va « tâtonner » : il est envisageable d’agir sur le fondement de l’article 348-6 du Code civil (en cas de refus par la mère biologique de consentir à l’adoption) ou sur le fondement de l’intérêt supérieur de l’enfant à voir sa filiation établie.

La mère sociale peut envisager de saisir le juge d’une demande d’adoption de l’enfant, malgré le refus de la mère biologique, sous réserve d’apporter :

1) L’implication de la mère sociale dans le projet parental (par exemple : durant la grossesse, au moment de la naissance, les premiers mois de la vie de l’enfant, la constitution d’un dossier d’adoption avec la mère biologique, le lien affectif entre l’enfant et la mère sociale etc… sans que cette liste d’exemple ne soit exhaustive).

2) Un désintéressement de l’enfant de la mère biologique au risque d’en compromettre la santé ou la moralité.

Sur la condition de désintéressement, les décisions jurisprudentielles sont diverses. Dans une décision du Tribunal judiciaire de Béthune du 7 juillet 2021, le juge avait considéré que « le refus de consentir à l’établissement de la filiation de l’enfant avec « sa mère sociale » était de nature à compromettre son équilibre psychologique et qu’en ce sens, la mère biologique compromettait sa santé ou sa moralité ».

Dans une décision du 29 septembre 2021, le Tribunal judiciaire de Paris avait écarté la condition de désintéressement en considérant qu’elle n’était pas applicable en l’espèce. Il avait prononcé l’adoption par la mère sociale en procédant à un contrôle de conventionnalité en utilisant l’article 8 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme sur le droit à la vie privée et familiale. L’enfant doit avoir le droit d’établir sa filiation.

Dans ces deux décisions, le tribunal a prononcé l’adoption de l’enfant par la mère sociale en estimant que le refus de la mère biologique était contraire à l’intérêt de l’enfant.

La jurisprudence n’a donc pas tranché sur ce point et le juge appréciera au cas par cas. À notre connaissance il n’y a pas encore de décision de cour d’appel, certains dossiers sont en cours.

Si l’adoption est prononcée, elle aura alors les mêmes conséquences qu’une adoption classique de l’enfant du conjoint et établira donc la filiation.

La mère sociale peut-elle voir l’enfant malgré le refus de la mère biologique ?

L’article 371-4 du Code civil permet au juge aux affaires familiales de fixer les modalités des relations entre l’enfant et un tiers, comme par exemple la mère sociale, en particulier lorsque ce tiers a résidé de manière stable avec lui et l’un de ses parents, a pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation, et a noué avec lui des liens affectifs durables.

Il est admis par la jurisprudence que l’ex compagne/ex conjointe de la mère biologique puisse bénéficier d’un droit de visite et d’hébergement.

En cas de rupture brutale, cette procédure peut se faire en urgence dans le cadre d’une procédure à bref délai.

Caroline Elkouby Salomon Avocat au Barreau de Paris Spécialisée en droit de la famille, des personnes et du patrimoine Associée du cabinet BES Avocats www.bes-avocats.com