Village de la Justice www.village-justice.com

Loi sur le devoir de vigilance : retour sur la décision du Juge des référés. Par Natal Yitcko, Avocat.
Parution : jeudi 16 mars 2023
Adresse de l'article original :
https://www.village-justice.com/articles/loi-sur-devoir-vigilance-faut-retenir-decision-juge-des-referes,45541.html
Reproduction interdite sans autorisation de l'auteur.

Par deux ordonnances du 28 février 2023, le premier vice-président du Tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé a déclaré irrecevables les demandes formées par plusieurs associations visant à enjoindre à la société TotalEnergies EP de respecter ses obligations au titre de la loi n°2017-399 du 27 mars 2017 sur le devoir de vigilance et de suspendre les travaux afférents à deux de ses projets en Ouganda.

Il ressort de cette affaire que par des courriers du 24 juin 2019, six associations (Survie, Navoda, CRED, Les amis de la Terre France, Nape et Afiego) ont critiqué le plan de vigilance pour l’année 2018 de la société TotalEnergies EP et l’ont mise en demeure de se conformer à ses obligations résultant de la Loi sur le devoir de vigilance, concernant deux de ses projets de développement pétrolier Tilenga et Eacop en Ouganda et en Tanzanie.

Considérant que la réponse de Total-Energies en date du 24 septembre 2019 était insuffisante, les associations l’ont assigné en référé par actes du 29 octobre 2019 devant le Président du Tribunal judiciaire de Nanterre aux de fins de :
- « mettre en conformité son plan de vigilance avec la loi, en y faisant figurer tous les risques d’atteintes graves associés aux projets » ;
- mettre en œuvre de manière effective des « mesures de vigilance raisonnable », y compris des mesures d’urgence telles que « le versement immédiat des compensations et des distributions de nourriture pour les communautés privées de leurs moyens de subsistance » ;
- « suspendre les travaux afférents aux projets ».

A l’issue de plusieurs décisions relatives à la compétence du tribunal et de l’entrée en vigueur de la loi n°2021-1729 du 22 décembre 2021, dite loi pour la confiance dans l’institution judiciaire, laquelle donne compétence exclusive au Tribunal Judiciaire de Paris pour statuer sur les affaires portant sur le devoir de vigilance, le Président du Tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent au profit de celui du Tribunal judiciaire de Paris.

C’est dans ce contexte qu’a été saisi le vice-Président du Tribunal judiciaire de Paris statuant en référé.

Par deux décisions du 28 février 2023, le juge des référés du Tribunal Judiciaire de Paris a déclaré irrecevables les demandes formées par les associations d’enjoindre à Total-Energies d’exécuter ses obligations en matière de vigilance et tendant à voir suspendre les travaux afférents aux Projets au motif de l’absence de mise en demeure préalable à la saisine du juge des référé de Total-Energies par les associations, en violation des dispositions de l’article L225-102-4 du Code de Commerce.

Alors concrètement, que peut-on retenir de ces deux premières décisions rendues par le Vice-Président du Tribunal judiciaire de paris statuant en référé ?

En premier lieu, ce n’est qu’une mesure provisoire qui ne permet pas de régler définitivement le litige.

Dans cette décision, le Juge des référés souligne que si une société n’a pas établi de plan de vigilance ou lorsque celui-ci est sommaire, le juge des référés pourra enjoindre à la société d’établir, de publier ou de mettre en œuvre de façon effective un plan de vigilance. En revanche, il indique qu’il ne peut pas procéder à l’appréciation du caractère raisonnable des mesures adoptées par le plan, « lorsque cette appréciation nécessite un examen en profondeur des éléments de la cause relevant du pouvoir seul du juge du fond ».

Au regard de cette décision, le juge considère qu’il n’est pas outillé pour se prononcer sur le contenu du plan de vigilance : il convient donc de s’interroger sur la manière dont les juges du fond pourront apprécier la conformité des plans de vigilance qui leur seront soumis, s’ils étaient saisis.

En second lieu, on observe que pour la première fois, dans une décision de justice, on trouve une définition de la RSE, rattachée aux droits de l’Homme. En effet, il ressort de la décision que :

« La responsabilité sociale des entreprises, qui participe de cette évolution, désigne un concept selon lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec les parties prenantes, initialement à partir d’une démarche volontaire progressivement complétée par un cadre légal et réglementaire visant à mieux encadrer les mesures déployées et à l’évaluation de leur efficacité » (Extrait de la décision, P.15).

Natal Yitcko Avocat au Barreau de Paris Société d'avocats Chatel et Associés [->avocats@cabinetchatel.fr]