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Financement des start-up au moyen de BSA AIR : le bon mourra deux fois. Par Michel Ferrand, Avocat.
Parution : lundi 20 mars 2023
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Les investisseurs finançant une start-up au moyen de BSA AIR peuvent craindre des opérations de capital ultérieures dilutives. Il est tentant d’inclure dans le BSA AIR un autre bon, relutif, survivant à la conversion du BSA AIR en actions, et protégeant les investisseurs initiaux.

La recherche de financements par les start-ups est un parcours d’obstacles et un pari sur l’avenir. Les entrepreneurs convainquent les investisseurs de financer leur croissance en prenant en considération les perspectives de succès de l’entreprise.

Cependant, n’est jamais absente la perspective d’un échec qui, sans être définitif, peut amener l’entreprise à solliciter à nouveau des fonds dans une perspective de rebond, alors que sa situation s’est dégradée par rapport au moment de l’investissement initial.

I- La crainte de la dilution ultérieure, souci majeur de l’investisseur.

Cette perspective de dégradation fait courir le risque, pour les premiers investisseurs, de se retrouver dilués au moment de la seconde opération sur capital, les seconds investisseurs demandant une décote par rapport aux premiers investisseurs en considération de l’état dégradé de la société et du pouvoir de négociation qu’ils détiennent puisque, en l’absence de leur investissement, la société court le risque d’être perdue.

Conscients de ce risque, les premiers investisseurs peuvent être alors tentés de rechercher une garantie de non dilution ou de moindre dilution pour parer aux exigences des investisseurs en second.

II- La survie du bon relutif, inclus dans le BSA AIR.

Le moyen d’y parvenir est d’inclure dans le BSA AIR un droit à souscrire des actions additionnelles décotées égalisant le prix par action des premiers investisseurs avec celui payé par les investisseurs en second, venus au secours de la société.

Le sujet est d’autant plus pressant lorsqu’une société se finance par BSA AIR. En effet, la caractéristique de ce titre est de ne pas figer la valorisation précise de la société au moment où l’investissement est effectué. Lors de l’émission de BSA AIR la société et les investisseurs définissent un tunnel de valorisation avec un plancher et un plafond et se réservent le droit de figer la valeur des actions qui seront ultérieurement émises en fonction d’un événement ultérieur, fréquemment une augmentation de capital, qui permettra de figer le prix par action. Cette valorisation a posteriori de l’investissement initial a pour mérite de différer dans le temps la négociation sur la valorisation de la société et de sécuriser rapidement les fonds nécessaires au développement de la société.

Son corollaire est de moins s’appesantir sur l’analyse de la valorisation de la société lors du premier investissement, celle-ci étant remise à plus tard, et donc d’exposer plus gravement l’investisseur au risque d’avoir mésestimé la situation de la société et de se retrouver surpris si une opération de capital ultérieure révélait une valorisation inférieure à celle attendue.

Germe alors l’idée d’intégrer dans le premier titre reçu par l’investisseur initial un second lui permettant de se « reluer » lorsque la seconde opération de capital se révèle décevante.

La conséquence en est que contrairement à l’usage courant, les BSA AIR émis ne meurent pas au moment de la conversion en actions de la société puisqu’ils survivent dans le but de permettre la relution ultérieure si la situation de la société se dégrade.

Ce bon dans le bon doit évidemment être borné dans le temps et son exercice doit être assujetti à la survenance d’événements déterminés pour ne pas faire peser sur la société le risque d’une indétermination de sa table de capitalisation qui ne pourrait que lui nuire à l’occasion de ses tours de financement ultérieurs.

III- Les limites du bon relutif.

Cet outil n’est pourtant pas une parade absolue protégeant les premiers investisseurs de toute déconvenue économique.

Dans le cas où la situation de la société se dégraderait au point de devenir désastreuse, il n’est pas certain qu’une deuxième opération d’investissement surviendra, et la perte de la société n’est pas exclue.

Sans en arriver à cette extrémité, si l’intervention d’un second investisseur permet de préserver la survie de la société, et même de permettre un nouveau développement, cet investissement surviendra en pleine connaissance de l’existence du bon relutif survivant et une négociation pourra s’engager entre les seconds investisseurs et les premiers concernant l’exercice de ce bon, les seconds investisseurs pouvant choisir d’investir à condition de laisser dépérir le premier ou d’en limiter l’usage. Certes, cette renonciation ne peut être qu’individuelle et il n’est pas exclu que certains des premiers investisseurs refusent de céder à la pression des seconds. Dans ce cas se posera la question du recours à une assemblée spéciale des porteurs des BSA AIR dont l’objectif sera de réduire l’efficacité de leur bon relutif par modification du contrat d’émission. Cette assemblée a pour mérite de modifier le bon lui-même plutôt que de requérir d’acquiescement des premiers investisseurs un par un et cette modification serait acquise si les deux tiers des votants à l’assemblée spéciale sont en faveur de la modification.

Enfin, le premier investisseur à qui il est offert de majorer sa participation au capital de la société n’a aucun intérêt à augmenter sa participation dans une société qui périclite. Ce qui peut aussi constituer un frein à l’exercice du bon relutif.

L’ingénierie de haut de bilan permet d’ajuster au mieux les contraintes des entreprises en quête d’investissement et les desiderata de ceux qui les financent. Il faut néanmoins garder à l’esprit que quel que soit la sophistication des outils mis en œuvre, la seule recette de l’investissement réussi reste la solidité d’un projet et la confiance en ceux qui le portent.

Michel Ferrand, Avocat au barreau de Paris Cabinet Enthémis https://enthemis.com