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Comment faire face à un contrôle des délais de paiement par la DGCCRF ? Par Jocelyn Goubet, Avocat.
Parution : lundi 20 mars 2023
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Erigés par tous les gouvernements successifs comme une priorité pour lutter contre les difficultés de trésorerie des entreprises, les contrôles des délais de paiement des entreprises par l’administration peuvent donner lieu à des sanctions particulièrement sévères en cas de non-respect. Panorama de la procédure de contrôle par l’administration, des arguments pouvant être invoqués par l’entreprise contrôlée, et de ses moyens de recours contre une décision de sanction.

Régulièrement identifiés comme un risque pour l’ensemble de l’économie française en raison du risque de contagion des difficultés de trésorerie, les délais de paiement entre entreprises font l’objet d’un contrôle sévère par la DGCCRF (Direction générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des fraudes).

L’article L441-16 du Code de commerce prévoit, en cas de non-respect des délais de paiement, des sanctions pouvant monter jusqu’à 75.000 euros pour une personne physique, et deux millions d’euros pour une personne morale [1].

Surtout, le plafond de sanction est porté à cent cinquante mille euros pour une personne physique et quatre millions d’euros pour une personne morale en cas de réitération dans un délai de deux ans après la première décision de sanction.

Les contrôles sont nombreux, faciles à mener pour l’administration, et conduisent à de nombreuses décisions de sanctions publiées régulièrement sur le site Internet de la DGCCRF [2].

Afin de maximiser les chances de l’entreprise contrôlée, la mobilisation de l’ensemble des équipes, ainsi que de ses conseils, sera déterminante pour apporter à l’administration dès le début de l’enquête l’ensemble des éléments et éclaircissements demandés, et réduire ainsi le risque de sanction financière.

1. La procédure de contrôle et de sanction par l’administration.

Concrètement, le contrôle de l’administration débute par une analyse du grand livre fournisseurs de l’entreprise contrôlée, sur la base duquel les agents de la DGCCRF sélectionnent un échantillon de factures sur une période donnée, et calculent les délais de paiement effectifs de l’entreprise en prenant en compte les dates d’enregistrement et de paiement des factures indiquées en comptabilité.

En principe, les factures de fournisseurs étrangers, et les factures intragroupe sont exclues du périmètre du contrôle.

A l’issue du contrôle, l’entreprise se voit notifier par l’administration (i) un projet de décision de sanction fondé sur (ii) un procès-verbal présentant une synthèse de l’ensemble des éléments relevés par la DGCCRF lors de son contrôle, et notamment la période contrôlée (en général d’une année), le nombre de factures contrôlées, le montant total de celles-ci, le nombre de factures considérées comme ayant été payées en retard, le montant total de celles-ci, les retards de paiement constatés, et la rétention de trésorerie ainsi obtenue.

Commence alors une phase contradictoire. L’entreprise dispose d’un délai de 60 jours pour faire valoir, par écrit ou par oral, ses observations en réponse aux constatations de la DGCCRF ainsi qu’à son projet de sanction. La préparation d’observations écrites en réponse est bien évidemment à privilégier afin de répondre de la manière la plus détaillée possible aux constatations de la DGCCRF.

La mobilisation des services internes de l’entreprise sera déterminante dans l’issue de la procédure de contrôle par l’administration, en présentant l’ensemble des pièces susceptibles de justifier des éventuels retards de paiement.

Néanmoins, il existe assez peu de moyens retenus par l’administration pour justifier l’existence d’éventuels retards de paiements. Le défaut ou le retard de communication de la facture par le fournisseur ou le prestataire n’est notamment pas admis.

Rappelons en effet que l’article L441-9 du Code de commerce précise que le vendeur est tenu de communiquer la facture dès la réalisation de la livraison ou de la prestation de service, mais également qu’elle doit être réclamée par l’acheteur.

L’administration parle ainsi de coresponsabilité.

Ainsi, l’administration exigera des preuves de relances par l’entreprise contrôlée de ses fournisseurs pour l’établissement des factures manquantes.

De fait, les éléments admis par l’administration pour justifier d’éventuels retards de paiement seront notamment l’existence de relances pour l’établissement de factures, d’avoirs venant en déduction des factures, ou encore de litiges sur la réalisation des commandes ou l’exécution des prestations.

A contrario, l’ensemble des justifications avancées par l’entreprise contrôlée et relative notamment à son organisation interne, ou aux retards de paiement subis par ses propres clients seront systématiquement écartées.

Dans ces circonstances, on comprend mieux le rôle déterminant joué par les services de l’entreprise contrôlée. Il conviendra en effet de reprendre facture par facture, avec les opérationnels, l’historique de chaque dossier afin de reconstruire les conditions pratiques dans lesquelles une relation commerciale avec un fournisseur ou un prestataire a été exécutée.

A l’issue de cette phase contradictoire, la DGCCRF adoptera une décision définitive dans laquelle elle répond aux arguments avancés par l’entreprise contrôlée, et peut éventuellement adapter le montant de l’amende initialement proposé. Le critère principal pour déterminer le montant de la sanction reste le montant de la rétention de trésorerie [3].

Indépendamment du risque de sanction financière, les entreprises s’exposent également à un risque de condamnation à faire publier, à leurs frais, la décision de sanction. Cette mesure d’inspiration anglo-saxonne peut avoir des conséquences concrètes dans les relations d’une entreprise avec ses partenaires commerciaux, voire même dans ses relations internes. En tout état de cause, la sanction est systématiquement publiée sur le site Internet de la DGCCRF sous la forme d’un communiqué.

2. Les recours disponibles et les moyens invocables.

Deux voies de recours distinctes s’ouvrent à l’entreprise condamnée (i) un recours administratif, et (ii) un recours contentieux devant les juridictions administratives.

Le recours administratif peut être gracieux, devant l’administration qui a adopté la décision de sanction, ou hiérarchique, devant le Ministre de l’économie et des finances.

En pratique, le recours gracieux, devant la même autorité que celle qui a adopté la décision contestée, a peu de chance d’aboutir à une réduction du montant de l’amende prononcée.

A contrario, un recours hiérarchique devant le Ministre de l’économie permet de soulever d’autres arguments économiques, auxquels le Ministre sera plus sensible, et qui peuvent permettre une réduction du montant de la sanction.

Surtout, une fois ces voies de recours devant l’administration épuisée, l’entreprise sanctionnée pourra encore contester la décision devant les juridictions administratives.

La décision de sanction adoptée par l’administration étant motivée, sa motivation peut être critiquée point par point devant les juridictions administratives.

Jusqu’à maintenant, on observe une certaine frilosité des juridictions administratives à aller au-delà des moyens accueillis par l’administration pour justifier certains retards de paiement. Les juridictions administratives reprennent ainsi l’obligation pour l’acheteur de réclamer la communication des factures de son fournisseur [4].

Néanmoins, le contrôle du juge est particulièrement utile pour apprécier la proportionnalité de la sanction prononcée par l’administration par rapport d’une part aux manquements constatés, et d’autre part à la situation individuelle de l’entreprise.

Les juridictions administratives procèdent ainsi à un contrôle de la proportionnalité des sanctions prononcées par la DGCCRF au regard des caractéristiques des éléments retenus par l’administration [5].

Le 12 juillet 2022, le Tribunal administratif de Paris a encore rappelé que

« le respect du principe de proportionnalité d’une sanction financière s’apprécie au regard de la gravité des manquements commis, de la durée de la période durant laquelle ces manquements ont perduré, du comportement de la société et de sa situation financière » [6].

La prise en compte de la situation individuelle de l’entreprise exige de se pencher sur « la situation économique de l’entreprise et le secteur où elle intervient » [7]. Ainsi, tout élément de nature à documenter les difficultés économiques ou financières de l’entreprise peut être utilement communiqué (documentation comptable, situation du carnet de commandes, etc.) mais également plus globalement son secteur et l’économie de manière plus générale.

On regrettera cependant les solutions hâtivement retenues par les juridictions administratives et prétendant écarter l’application de certaines règles fondamentales telles que le droit au procès équitable. Le combat pour la protection effective des droits fondamentaux des entreprises est encore loin d’être achevé.

Jocelyn Goubet, Avocat à la Cour Barreau de Paris

[1En fonction de la situation, l’administration peut également adresser à l’entreprise contrôlée un avertissement, ou une injonction, sans appliquer d’amende.

[2Sanctions - Délais de paiement | economie.gouv.fr

[3Voir les Lignes directrices publiées sur le site Internet de la DGCCRF LD_sanctions_delais_paiement.pdf (economie.gouv.fr).

[4Cour administrative d’appel de Paris, 30 janvier 2023, 21PA04834 ; Cour administrative d’appel de Paris, 14 octobre 2021, 20PA01924.

[5Cour administrative d’appel de Nancy, 6 juillet 2021, 19NC00777 ; Cour administrative d’appel de Paris, 7 juillet 2020, 18PA03828.

[6Tribunal administratif de Paris, 12 juillet 2022, n°2013288 ; voir aussi Cour administrative d’appel de Bordeaux, 17 décembre 2021, 19BX03016.

[7Cour administrative d’appel de Marseille, 25 février 2019, n°18MA0194.